Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe de clôture de l’année de la Famille Hospitalière de Saint Jean de Dieu
Samedi 9 juin 2012 - à la clinique St Jean de Dieu (Paris VII)
– 1 Co 12 ; Mc 3, 20-35
Frères et Sœurs,
Ce passage de l’évangile de saint Marc exalte l’unité et la communion : devant les agissements des membres de sa famille qui veulent le faire passer pour un fou, puis devant les accusations des scribes qui prétendent qu’il agit au nom de Béelzéboul (Mc 3, 21-22), Jésus annonce la force et l’efficacité de l’unité. Alors que le prince de ce monde, « s’il est dressé et divisé contre lui-même, ne peut pas tenir » (Mc 3, 26), les hommes qui se tiennent dans l’unité bénéficient de toute la force nécessaire pour mener à bien leur vie et leurs projets.
Évidemment, la question qui surgit aussitôt est de savoir quelle sera la communauté sur laquelle va s’appuyer cette unité. Très naturellement, nous pensons que la famille est la cellule de référence de l’unité. Elle en est d’une certaine façon le paradigme, car les liens de famille ne sont pas des constructions humaines, mais tiennent à la reconnaissance d’une communion constitutive. Ils reposent sur l’unité biologique qui se déploie dans des relations affectives élaborées entre les membres d’une même famille.
Or, l’évangile que nous avons entendu nous situe devant une dislocation, ou du moins une redéfinition, des liens familiaux. La famille de Jésus le déclare fou afin de le soustraire au mouvement que provoquent son comportement et ses discours. Nous savons que les divisions peuvent détruire une famille (« si une famille se divise cette famille ne pourra pas tenir » (Mc 3, 25)). Ici, la division n’est pas à imputer à la responsabilité de Jésus, mais à celle des membres de sa famille qui sont venus pour l’empêcher d’agir.
En contrepoint de cette famille défaillante, cet épisode fait apparaitre une nouvelle forme de famille : celle des disciples de Jésus. « Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère » (Mc 3, 35) dit le Seigneur. Dans les premiers chapitres de l’évangile de saint Marc, cette nouvelle forme de communion autour de Jésus est en train d’apparaître et de croître. Dès le début de sa vie publique, Jésus rassemble autour de lui des disciples qui le suivent. Il leur fait découvrir peu à peu comment la relation entre eux et lui va devenir aussi importante et même plus que la communion familiale. Cette communion n’est pas basée sur l’unité biologique ou affective des membres, mais sur l’orientation commune pour accomplir la volonté de Dieu.
Cette unité est singulière et l’épitre de saint Paul en exprime la spécificité à travers l’image du corps humain. Les liens entre les disciples du Christ ne sont pas de l’ordre de la solidarité, même si c’est une vertu humaine tout à fait louable. Il ne s’agit pas de construire des relations sociales meilleures entre des hommes de bonne volonté, mais de vivre, au-delà de la simple solidarité, une véritable communion organique. Entre la main, l’œil ou l’oreille, il y a plus que de la solidarité, il y a une communion existentielle profonde parce qu’ils appartiennent au même organisme. De même, la communion entre ceux qui sont baptisés dans le Christ n’est pas de l’ordre des alliances électives, où chacun choisit de se faire proche de tel ou tel en fonction de ses idées, de ses comportements ou de ses attraits… Il s’agit d’une communion de tout l’être puisque Dieu « a voulu qu’il n’y ait pas de division dans le corps » (1 Co 12, 25), et qu’il fait des baptisés « le Corps du Christ, les membres de ce corps » (1 Co 12, 27). Le baptême dans le Christ nous engendre dans une famille dont l’unité n’est pas à construire, mais est donnée dès le départ. Même si le péché reste au cœur de l’homme et qu’il nous arrive de distordre cette unité et de transformer ce Corps en clans, cette unité fondatrice reste au cœur de notre être de baptisés.
En plaçant sous le patronage de la Famille Saint Jean de Dieu cette année de réflexion, vous avez voulu faire comprendre que les liens qui vous unissent ne sont pas de l’ordre d’une alliance technique ou institutionnelle. Votre communion ne vient pas de ce que vous travaillez tous dans des structures qui se rattachent à l’ordre hospitalier de saint Jean de Dieu, mais de ce que vous êtes associés au charisme de saint Jean de Dieu dans le service des malades, des handicapés, ou des personnes rejetées. Il ne s’agit pas simplement d’une alliance opérationnelle, mais d’une participation libre et profonde au dynamisme propre de ce charisme de saint Jean de Dieu. La conviction d’appartenir à cette communion vous constitue responsables les uns des autres et responsables de ceux dont l’existence est rendue difficile par la maladie ou le handicap.
Ainsi, cette longue méditation de l’année de la Famille hospitalière, sous le patronage de saint Jean de Dieu, est une façon de mieux comprendre comment la communion essentielle qui existe entre les membres de l’Église peut être à la fois un signe et une espérance pour le monde, et pour ceux qui n’y participent pas encore. Demandons au Seigneur que les établissements qui vivent sous le patronage de saint Jean de Dieu puissent manifester que l’exercice de la médecine et des soins, et l’accompagnement des malades et des handicapées requièrent non seulement une qualification technique nécessaire, mais plus profondément une qualité nouvelle de relation entre les membres d’un même corps. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris