Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Solennité de la Dédicace de la cathédrale

Notre-Dame de Paris – Samedi 16 juin 2012

La cathédrale Notre-Dame est comme le signe de l’Eglise en ce monde. Si ce signe ne suffit pas en lui-même à ouvrir les cœurs à l’accueil de Dieu, il nous incombe cependant de le déployer en y manifestant la vie du Peuple que Dieu rassemble.

 Ap 21, 9b-14 ; Ps 83 ; 1 P 2, 4-9 ; Jn 10, 22-30

Frères et Sœurs,

Les Juifs qui voyaient Jésus aller, venir et enseigner sous la colonnade de Salomon se demandaient de quel droit il pouvait s’adresser aux hommes dans le lieu Saint s’il n’était pas le Messie. Et ils lui posaient cette question : « Combien de temps vas-tu nous laisser dans le doute ? Si tu es le Messie, dis-le nous ouvertement ! » (Jn 10, 24). La réponse de Jésus nous aide à comprendre qu’il y a une interaction étroite entre, d’une part, le signe donné par Dieu et, d’autre part, l’ouverture du cœur, de l’intelligence et de la liberté de ceux à qui ce signe est destiné. La question des Juifs laisse supposer qu’il serait possible à Dieu d’imposer ce qu’Il veut (les signes) sans que la liberté humaine ne soit sollicitée pour entrer dans sa volonté et reconnaître le signe. C’est pourquoi Jésus répond aux juifs qu’ils ont reçu tout ce qui est nécessaire puisqu’ils ont entendu ses paroles et vu ses signes. Mais, pour que ces signes et ces paroles prennent la plénitude de leur sens, il faut que leur cœur soit ouvert et que leur liberté se mette en mouvement : « Je vous l’ai dit, et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père, voilà ce qui me rend témoignage. » (Jn 10, 25)

La mission de l’Église dans le temps des hommes n’est pas de se substituer à la liberté des hommes. On n’impose pas la foi, pas plus que la reconnaissance de la parole de Dieu. On propose la foi. On annonce la Parole de Dieu. On essaye, autant que cela est donné, de lui rendre témoignage. Mais ni cette proposition, ni cette annonce, ni ce témoignage ne peuvent faire l’économie de la liberté intérieure de ceux à qui ils sont proposés. On peut répéter indéfiniment l’Évangile et montrer indéfiniment les signes de la charité. Mais si ceux qui sont les auditeurs de l’Évangile et les témoins de la charité ne sont pas prêts à laisser leur vie être transformée par ce qu’ils entendent, ils refuseront d’accueillir Dieu. « Ils ne l’ont pas cru parce que leurs œuvres étaient mauvaises » nous dit l’évangile de saint Jean (3, 19).

La cathédrale Notre-Dame est dressée au centre de la ville comme un signe, comme une parole. D’ailleurs, il en est ainsi de toute église. Mais cette fonction est plus imminente pour la cathédrale qui est la première église du diocèse. Elle symbolise l’Église, le Peuple que Dieu a constituée en assemblant comme des pierres vivantes ceux et celles qu’il a associés pour construire le Peuple de Dieu, et le Temple de l’Esprit dont il est à la fois l’architecte et le réalisateur.

Ainsi la cathédrale signifie que l’Église existe. Mais nous comprenons bien qu’il ne suffit pas d’avoir une cathédrale aussi belle que l’est Notre-Dame, ni qu’elle soit dressée au centre de la cité pour que tout le monde reconnaisse que le Christ est le Messie. Il ne suffit même pas pour cela que nous nous efforcions de vivre ici une prière intense et belle.

Sur les millions de visiteurs qui parcourent chaque année les travées de cette cathédrale, beaucoup ignorent tout du Christ. Beaucoup ne sont pas disposés à le reconnaître. Mais notre responsabilité n’est pas de nous substituer à leur liberté. Notre mission est de déployer le sens de cet édifice par notre activité, par le témoignage que nous rendons, par la vie interne de la cathédrale, par la mise en valeur de la Parole de Dieu, en rendant visible le Peuple chrétien des assemblées quotidiennes et, d’une manière plus particulière encore, celui des assemblées dominicales. C’est déjà une très lourde responsabilité. À quoi bon répéter en effet que cette cathédrale est magnifique, si elle ne permet pas de rendre visible un peuple vivant, si nous ne sommes que les gardiens d’un monument historique qui n’aurait rien à voir avec le Corps de ceux que le Christ rassemble.

Nous héritons du signe de Notre Dame de ceux qui nous ont précédé dans la foi depuis plus de huit siècles, et même plus si l’on considère les églises qui ont précédé cette cathédrale sur cet emplacement. Le signe de Notre-Dame est pour nous une grâce et une mission. C’est une grâce, car il soutient notre intelligence, notre vision chrétienne, notre adhésion à l’Église. C’est une mission, car il nous incombe de donner à Notre-Dame sa pleine vitalité pour que ceux qui voient ce signe dressé reconnaisse la présence de Celui qui ne fait qu’un avec le Père, et dont la communion avec le Père fonde la communion ecclésiale.

Nous vivons cette responsabilité avec joie, nous qui nous rassemblons si souvent ici : les chanoines qui y sont attachés par la mission de la prière, les chapelains, les servants d’autel, les musiciens, les chantres, le personnel et les volontaires bénévoles. Tous permettent que ce lieu soit un lieu vivant, accueillant et significatif de l’amour de Dieu pour les hommes.

Pour terminer, je voudrais proposer à votre méditation quelques phrases que le cardinal Pacelli, futur Pie XII, a prononcées ici même le 13 juillet 1937, et qui nous ouvre largement la perspective de cette grâce et de cette mission : « Au milieu de la rumeur incessante de cette immense métropole, parmi l’agitation des affaires et des plaisirs, dans l’âpre tourbillon de la lutte pour la vie, témoin apitoyé des désespoirs stériles et des joies décevantes, Notre-Dame de Paris, toujours sereine en sa calme et pacifiante gravité, semble répéter sans relâche à tous ceux qui passent : orate frateres, “priez mes frères”, elle semble, dirais-je volontiers, être elle-même un orate fratres de pierres, une invitation perpétuelle à la prière ». Que le Seigneur nous donne de répondre généreusement à cette invitation en unissant chaque jour notre prière à celles qui s’expriment sous ces voutes. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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