Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – 22e dimanche du temps ordinaire – Année B
Dimanche 2 septembre 2012 - Cathédrale Notre-Dame de Paris
Notre fidélité à la parole de Dieu ne se mesure pas d’abord par nos pratiques rituelles mais par l’orientation de notre cœur, c’est-à-dire avant tout par l’amour que ces actes sont appelés à exprimer.
– Dt 4, 1-2.6-8 ; Ps 14, 1-5 ; Jc, 1, 17-18.21b-22.27 ; Mc 7, 1-8.14-15.21-23
Frères et Sœurs,
Ce dimanche nous reprenons la lecture continue de l’évangile de saint Marc, après l’interruption inscrite dans la liturgie par la lecture du chapitre 6 de l’évangile de saint Jean au cours des semaines écoulées. Nous voici rentrés dans l’évangile de saint Marc avec une controverse assez vive qui ne peut pas ne pas nous interroger. Celle-ci porte très précisément sur une question posée à travers la liturgie de ce jour : qu’est-ce que cela veut dire « mettre la Parole en pratique » ? En effet, nous sommes invités aussi bien par le livre du Deutéronome que par l’épître de saint Jacques à accueillir la Parole dans nos cœurs, mais toujours avec l’impératif de mettre cette Parole en pratique, c’est-à-dire non pas simplement l’accueillir dans nos cœurs et la garder précieusement comme un trésor privé, mais la mettre en œuvre à travers notre manière de vivre, et forcément, mettre en œuvre la parole de Dieu à travers notre manière de vivre, c’est poser des actes, accomplir des gestes, peut-être se laver les mains, purifier la coupe, etc.
Ainsi, les préceptes reçus de la tradition des anciens ont bien été établis pour exprimer à un certain moment de l’histoire du peuple d’Israël ce que voulait dire « mettre en pratique la parole de Dieu ». Quelle est donc la faute, l’erreur, le glissement qui s’est introduit progressivement, pour aboutir à ce conflit que l’évangile nous rapporte entre les pharisiens et Jésus ? Que peut-on reprocher aux pharisiens ? Certainement pas leur désir très vif d’être le plus possible fidèles à la Loi ! Mais ce désir s’est exprimé et a pris forme dans une quantité de prescriptions -plus de 600- dont chacune d’entre elles sert de test. Mais pour mesurer quoi ? La mémoire ? Ceux qui n’ont pas oublié ce qu’il faut faire ? La docilité ? Ceux qui acceptent de faire ce qu’on leur demande ? La crainte que la relation de chacun avec ce qui l’environne soit une source d’impureté et de faute ?
Mais la véritable fidélité à Dieu c’est la fidélité à sa Parole, à sa présence, à son action dans le cœur de l’homme. Et nous voyons -l’évangile le souligne- comment progressivement, des pratiques tout à fait compréhensibles à un moment de l’histoire comme une mise en œuvre concrète des commandements de Dieu, se sont progressivement substituées à la Parole qui en a été le fondement. D’ailleurs, ce que les pharisiens reprochent aux disciples ce n’est pas d’être infidèles à la parole de Dieu, c’est d’être infidèles à la « tradition des anciens », expression reprise deux fois dans ce récit. Comme si progressivement cette tradition des anciens en était venue à devenir le fondement de la fidélité à Dieu à la place de sa propre parole.
Nous mesurons bien quand nous examinons notre propre manière de vivre, comment nous pouvons, sans malice, simplement en nous laissant porter par les circonstances ou par l’histoire, accorder à des gestes, à des signes, à des paroles, à des rites, une puissance qui n’appartient qu’à Dieu. Nous mesurons comment nous pouvons juger de l’extérieur le cœur de nos semblables, simplement parce qu’ils ne sont pas conformes à notre manière de comprendre la tradition des anciens, comme si la fidélité à Dieu se réduisait à une série de gestes, de paroles, de démarches, dont on ne voit plus le fondement.
Ce que Jésus veut rappeler à la foule et qu’il rappelle à ses disciples, c’est que ce qui donne le sens de l’existence humaine ce ne sont pas les gestes extérieurs, c’est l’orientation du cœur, c’est le cœur comme siège de la liberté, et de la volonté qui anime, définit et conserve l’orientation de vie dans la fidélité à la parole de Dieu.
C’est du dedans de l’homme que viennent le bien et le mal ! Ce n’est pas de l’extérieur ! Et nous pouvons mieux mesurer ainsi combien beaucoup de nos contemporains, des chrétiens ou des non-chrétiens, finissent par accorder plus d’importance à ce qui vient du dehors qu’à ce qui vient du dedans, comme si c’était le monde qui conduisait notre vie ou la déterminait, alors que c’est notre liberté qui donne sens au monde. Nous ne pouvons pas vivre en disciples du Christ comme si tout ce qui nous entoure était une source de malheur, une source d’erreur, une source de péché. Le péché n’est pas dans les choses, il est dans le cœur. Le malheur n’est pas dans les choses, il est dans le cœur. Vouloir que l’extérieur conditionne notre fidélité à Dieu, c’est renoncer à sa Parole qui doit être le fondement de notre vie.
Nous voyons bien comment des traditions ou des comportements perdent leur sens dès l’instant où l’on ne sait plus pourquoi on les accomplit. On peut faire un signe de croix qui n’a aucun sens. Tous les gestes que nous faisons dans la prière n’ont pas de sens en eux-mêmes. Ils ont un sens parce qu’ils expriment ce que nous essayons maladroitement de dire à Dieu à travers notre prière, et c’est ce dynamisme de notre cœur qui leur donne du sens.
Dans les dimanches qui suivent nous poursuivrons la lecture de la lettre de saint Jacques, et je vous conseille si vous avez quelques loisirs, de relire cette lettre pour mesurer combien cette exigence de mettre en pratique la parole de Dieu ne s’accomplit pas par des gestes rituels mais par l’offrande de notre vie à travers des actions quotidiennes évidemment, mais il ne faut pas que nos actions quotidiennes deviennent plus importantes que l’amour qu’elles doivent exprimer.
Demandons au Seigneur qu’il purifie nos cœurs pour que vraiment sorte de notre cœur et de notre bouche ce qui est bon pour l’homme et non pas ce qui est mauvais. Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.