Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Ordinations diaconales des Missions Etrangères de Paris – 25e Dimanche temps ordinaire – Année B

Samedi 22 septembre 2012 - Cathédrale Notre-Dame

S’engager vers le sacerdoce par le premier pas du sacrement de l’ordre qu’est le diaconat, c’est s’engager à devenir serviteur à l’exemple du Christ, faire le choix de la dernière place qui sera en réalité la première.

Ordinations diaconales de Joseph de Dinechin (Toulon), Nicolas de Francqueville (Rouen), Antoine Meaudre (Versailles), Pierre Nguyen Duc Tin (Pontoise), Camille Rio (Le Havre)

 Sg 2, 12.17-20 ; Ps : 53, 3-4.5.6 et 8 ; Jc 3, 16–4, 3 ; Mc 9, 30-37

Frères et sœurs,

Nous poursuivons la lecture de l’évangile de saint Marc et ce dimanche nous arrivons à la deuxième annonce de la Passion de la part du Seigneur. L’évangile souligne que les disciples ne comprenaient pas ses paroles et qu’ils avaient peur de l’interroger. Qu’y avait-il donc de si extraordinaire qu’ils ne puissent pas comprendre ? Quelle crainte les habitait pour qu’ils ne puissent pas poser de question à Jésus ?

Pierre au nom de tous a déclaré : « Tu es le Christ le Fils du Dieu vivant », et aussitôt après quand Jésus lui a annoncé qu’il prenait le chemin de Jérusalem, il s’est mis en travers de sa route. C’était le signe que le chemin ouvert devant le Messie, le chemin à travers lequel il allait manifester sa véritable identité de serviteur de Dieu, était incompréhensible pour ceux qui l’entouraient. Ils n’étaient pas sans attente et ils n’étaient pas sans idée sur ce que devait être le Messie, mais l’image qu’ils s’en étaient faite, était celle d’un Messie glorieux et triomphant, pas celle d’un serviteur souffrant.

Vous qui êtes venus aujourd’hui participer à cette ordination, soit parce que vous êtes un ami des Missions Etrangères, soit parce que vous connaissez l’un ou l’autre des ordinands, peut-être portez-vous, vous aussi quelque chose que vous ne comprenez pas. Vous avez connu ces hommes dans leur enfance, dans leur jeunesse, vous avez découvert leurs talents, leurs qualités, leurs capacités humaines, et vous pouviez imaginer bien sûr, comme eux-mêmes pouvaient l’imaginer, qu’ils pourraient prendre leur place dans ce que nous appelons « l’échelle sociale » ! On pourrait monter quelques degrés pour se rapprocher du sommet, peut-être pas jusqu’en haut parce que, lorsqu’on arrive en haut du sommet de l’échelle, quelque fois on bascule ! Il vaut mieux rester en-deçà du sommet, mais avant d’atteindre le somment on peut progresser quand même dans l’échelle sociale, et il n’y a pas de honte, ni de scrupule à désirer réussir son existence, désirer contribuer par notre activité, nos travaux au bien-être de nos contemporains, et si possible, au nôtre également !

Et ce programme, même s’il était virtuel, plus ou moins caressé pendant un certain nombre d’années, le voilà qui s’arrête là, dans cette cathédrale, par une démarche complètement incompréhensible. Ils ne veulent pas monter dans l’échelle ! Et non seulement ils ne veulent pas monter mais ils veulent se mettre au service des autres et ils choisissent un chemin défini par la pauvreté, la chasteté et l’obéissance. Tout ce que tout le monde abhorre ! Personne n’a envie d’être pauvre, personne n’a envie d’obéir, et personne n’a envie d’être chaste. Alors si vous ne comprenez pas, ne soyez pas surpris, ne soyez pas scandalisés, ne soyez pas horrifiés ! Les Apôtres n’ont pas compris pourquoi Jésus, pour sauver le monde, au lieu de mobiliser les forces combattantes disponibles pour chasser les Romains, prenait le chemin de Jérusalem pour donner sa vie, comme le dernier des bandits !

S’engager vers le sacerdoce par ce premier pas du sacrement de l’Ordre qu’est le diaconat, c’est s’engager à devenir un serviteur parmi les serviteurs. Et pour imaginer, ou pour représenter, ou pour illustrer quelle est la véritable place du serviteur, Jésus a pris l’exemple des enfants qui étaient autour de lui. Remarquez bien qu’il n’a pas condamné leur ambition ! Il ne leur a pas dit : c’est mauvais de vouloir être le premier ! Mais il a changé le contenu. Jésus ne nous demande pas de renoncer à progresser dans notre vie. Il ne nous demande pas de renoncer à désirer d’être heureux, il ne nous demande pas de renoncer à désirer de faire quelque chose de grand, mais il nous explique que le bonheur, la grandeur, c’est l’inverse de ce que l’on croit. Et donc en vous appelant au diaconat, vous n’êtes pas appelés à renoncer au désir d’être le premier, mais vous êtes appelés à reconnaître que le premier, c’est le dernier. Et que vous devez cheminer, au long de votre vie, vers cette dernière place qui sera la première.

Vous savez que l’un des objectifs, l’un des leitmotivs du Père de Foucauld, à partir du moment de sa conversion, a été de trouver cette dernière place. Parce qu’il pensait, à juste titre, que c’était celle où il serait le plus près de Jésus. Il l’a cherchée à Nazareth, dans la cabane que lui avaient prêtée les Clarisses, puis il l’a cherchée à Tamanrasset. Tous nous sommes invités à chercher cette dernière place. Et donc, la réponse que vous avez faite en vous avançant pour le diaconat, n’est pas un renoncement à l’ambition de réussir votre vie, c’est un choix de reconnaître que la réussite de votre vie n’est pas le sommet de l’échelle sociale.

Comment peut-on comprendre encore, à l’heure où tout le monde nous explique que la mission de l’Église en France est compromise par la pénurie de prêtres, que les diocèses dont vous êtes issus ou auxquels vous êtes rattachés, comme beaucoup de diocèses français, vivent avec difficulté l’épreuve de la réduction du presbyterium, que vous engagiez votre vie pour aller annoncer l’Évangile à l’autre bout du monde ? Comme si le bout du monde n’était pas au coin de la rue, et comme si dans les diocèses de Rouen, du Havre, de Versailles, de Fréjus ou de Pontoise, il n’y avait pas assez d’asiatiques pour satisfaire votre désir d’annoncer l’Évangile aux peuples d’Asie ! Quel besoin avez-vous d’y aller ? Vous pourriez faire cela chez nous, tranquillement ! Et comme cela ne prendrait pas tout votre temps, vous pourriez en plus faire des choses utiles pour votre Église française, ce qui serait encore beaucoup plus beau ! Comment comprendre ce choix, cet appel ? Et surtout comment comprendre la logique qui a présidé depuis les temps de la fondation de la Société des Missions Etrangères à l’engagement que ces prêtres ont pris d’être pour toujours au service de l’Évangile dans ces pays lointains et principalement en Asie, même s’ils ont très tôt compris qu’il fallait susciter un clergé local qui prendrait la relève, et qui « parlerait le chrétien » dans les langues du pays ? Mais avant que l’on arrive à ce beau résultat, que d’années il fallait passer, que de dizaines d’années, que de siècles, que de martyrs il a fallu pour que progressent peu à peu, non seulement une Église des étrangers, mais une Église autochtone, dans sa culture ! Vous me permettrez, puisque nous avons la chance de célébrer cette ordination avec Mgr Ramousse, de le saluer, et à travers lui de saluer toute cette Église du Cambodge qui a tant souffert.

Mais je ne voudrais pas seulement faire du départ de ces hommes, un emblème particulier aux Missions Etrangères de Paris. Ce qu’ils manifestent à travers leur engagement dans la société des MEP et ce que la société des MEP met en évidence dans notre Église, c’est la logique interne du Christianisme, c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’Église quand on se referme sur soi-même. La seule raison d’être de l’Église, c’est la mission que le Christ lui a confiée d’annoncer l’Évangile à toutes les Nations. Ce qui justifie son existence et ce qui lui donne son dynamisme et son sens, cela n’est pas d’enterrer les talents qu’elle a reçus pour les restituer indemnes à la fin des temps, et se voir condamner par le Maître, c’est au contraire d’investir ces talents, de les répandre, de les offrir, de les faire fructifier en prenant le risque d’échouer, et c’est un risque qui n’est pas marginal, quand l’échec, c’est la mort ! Mais il faut quand même savoir si nous sommes envoyés par le Christ pour tous les hommes, ou si Jésus a fait une petite affaire pour la France ? Ce n’est pas la même chose !

Les Églises d’où viennent ces hommes ne pâtiront pas de leur départ, au contraire, elles en seront vivifiées, pour autant que quelques liens subsisteront et qu’elles participeront de quelle que façon à leur mission. Elles en seront vivifiées parce que leur départ élargit l’horizon de notre Église. Il met en œuvre concrètement sa dimension universelle, il fait vraiment apparaître ce que veut dire être une Église catholique.

Alors, frères et sœurs, je vous invite à rendre grâce pour les fruits que leur ministère va porter, soit dans les pays où ils seront envoyés, et que vous connaîtrez dans quelques dizaines de minutes, soit dans les pays d’où ils sortent, et que vous connaissez déjà puisque vous en êtes !

Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement. Si vous entrez dans ce dynamisme de la miséricorde et de la générosité de Dieu, nul doute qu’il répondra par un surcroît de générosité à l’égard de notre propre Église en France.

Frères et sœurs, pendant quelques instants de silence, je vous invite à prier pour ces hommes, pour les Églises auxquelles ils vont être envoyés, et pour les Églises d’où ils sortent. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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