Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe du soir de Pâques
Dimanche 12 avril 2009 - cathédrale Notre-Dame
– Ac 10, 34a.37-43 ; Ps 117, 1-4.16-17.22-23 ; Col 3, 1-4 ; Lc 24, 13-35
Frères et sœurs,
Nous voici au terme de la semaine sainte !
Cette nuit, nous avons célébré la Résurrection du Christ et les portes de l’Église se sont ouvertes aux nouveaux chrétiens qui ont reçu le baptême un peu partout dans le monde, à Paris et ici dans cette cathédrale.
D’une certaine façon, la liturgie de ce soir de Pâques nous permet d’achever le cheminement spirituel que nous avons été invités à parcourir. En effet, pour la première fois, l’évangile nous présente le Christ ressuscité lui-même, qui rejoint les deux disciples sur le chemin d’Emmaüs. Les récits que nous avons médités cette nuit et ce matin faisaient état de la découverte du tombeau vide, mais ne relataient pas de rencontre avec le ressuscité.
Or, les deux disciples d’Emmaüs ont justement entendu, tout comme les douze, ces descriptions du tombeau vide. Et cependant, alors qu’ils avaient certainement été très bien préparés par le Christ lui-même, cela n’a pas suffit à les convaincre que les choses s’étaient effectivement accomplies selon ce que Jésus avait prédit. A trois reprises au court de son ministère sur les chemins de Galilée, il avait annoncé son arrestation, sa condamnation, sa mise à mort et sa résurrection. Les disciples ont été témoins de l’arrestation, du procès, de la condamnation et de l’exécution. Mais ils n’ont pas compris que tous ces événements devaient déboucher sur sa résurrection. Pour eux, que le tombeau soit vide ou ne le soit pas, l’histoire est terminée. Ils rentrent chez eux tous tristes et déçus parce qu’ils avaient cru que Jésus était le Messie qui rétablirait le Royaume d’Israël.
Que leur a-t-il manqué pour qu’ils passent de la constatation du tombeau vide à la foi ? Quelle est cette petite étincelle particulière, que le disciple que Jésus aimait a reçu devant le tombeau vide, lorsque, selon les mots de l’évangile de Jean, « il vit et il crut » (Jn 20, 8). Eux aussi ont vu, mais ils n’ont pas cru. Et ils sont repartis. On pourrait dire que quelque chose de l’avenir du monde est en train de se jouer dans cette rencontre sur le chemin d’Emmaüs : ou bien tout est fini, il n’y a plus rien à attendre et à espérer et le passage de Jésus au milieu des hommes a été un beau rêve mais reste sans suite ; ou alors les événements qui se sont déroulés à Jérusalem ont été le point de départ de quelque chose de nouveau, qui va marquer les siècles à venir.
Mais comment entrer dans l’intelligence de ces événements ? Comment être plus que des témoins, même bienveillants, qui enregistrent des faits mais qui n’en perçoivent pas le sens ? L’évangile de saint Luc nous montre que c’est le Christ ressuscité lui-même qui donne aux disciples d’interpréter les évènements. Cela est primordial. Jésus est le pédagogue de la foi. L’Evangile révèle trois aspects déterminants de l’expérience qui va conduire les apôtres de la connaissance des événements à la reconnaissance de sa Résurrection.
– Le premier de ces éléments tient à cette présence mystérieuse du Christ à leur côté sur le chemin. Jésus ressuscité leur donne l’intelligence des écritures et leur permet de relire les événements qui se sont déroulés à Jérusalem à la lumière de ce qui avait été annoncé depuis Moïse et les prophètes, et par là de les comprendre. C’est là une certaine anticipation de la Pentecôte, quand l’Esprit du ressuscité sera donné aux disciples pour leur faire comprendre tout ce que Jésus leur avait dit. Les évangiles font ce travail de relecture : dans les récits de la passion du Christ, ils citent abondamment les textes de l’Ancien Testament pour montrer comment les oracles prophétiques trouvent leur réalisation dans la mort de Jésus « selon les Ecritures » (1 Co 15,3). Pour comprendre ce qui s’est passé et pour saisir le sens de la mort et la résurrection du Christ, il faut lire ces événements à la lumière de toute la révélation de l’Alliance de Dieu avec le peuple d’Israël et en particulier de ce qui avait annoncé concernant le serviteur souffrant du livre d’Isaïe. Nous aussi, nous devons nous plonger dans la connaissance de la Parole de Dieu telle qu’elle nous est livrée dans l’Ecriture et transmise par l’Église. Sans cela nous restons des « cœurs lents à comprendre » (Lc 24, 25). Les deux disciples eux aussi connaissaient les Ecritures. Comme les juifs de l’époque ils en savaient même une bonne partie de mémoire. Mais ces textes ne déploient pas toute leur fécondité s’ils ne sont pas éclairés par le Christ.
– Le deuxième moment de cette entrée dans la foi est le repas partagé avec le Christ à l’auberge d’Emmaüs. Le repas est le lieu de la reconnaissance du ressuscité dans plusieurs récits de l’Evangile. Ici les mots employés par l’évangile de saint Luc sont exactement les mêmes que dans le récit de la Cène et de l’institution de l’Eucharistie, « il prend le pain, il le rompt, il le bénit et il le leur partage » (Lc 24, 30). Les deux disciples avaient probablement participé au dernier repas de Jésus, ou du moins l’avaient-ils entendu décrit. Ils découvrent brusquement que cet inconnu qui les a accompagnés fait exactement la même chose que Jésus avait fait à la Cène. Leurs yeux s’ouvrent et ils le reconnaissent. Ceci signifie que si nous voulons connaître le Christ ressuscité, nous ne pouvons pas nous passer de la célébration de l’eucharistie. En-dehors de celle-ci, on peut saisir des idées sur le Christ, des images ou une certaine silhouette du ressuscité. Mais la personne du Christ toute entière est livrée dans l’eucharistie.
– Le troisième vecteur de la reconnaissance et de l’intelligence de la Résurrection passe par le témoignage des apôtres. Les deux disciples, tout émerveillés de comprendre qu’ils ont partagé le repas avec celui que tout le monde croyait mort et qui s’est montré vivant, font demi tour et se précipitent à Jérusalem pour annoncer l’aventure exceptionnelle qui leur est arrivée. Remarquons que le récit de l’évangile ne suit pas la logique à laquelle nous aurions pu nous attendre. Quand les deux disciples arrivent à Jérusalem et trouvent les onze apôtres et leurs compagnons, le lecteur s’attend à lire : « et ils leur racontèrent ce qui leur était arrivé. » En fait nous lisons : « Ils trouvèrent les onze apôtres et leurs compagnons qui leur dirent : ‘c’est vrai, le Seigneur est ressuscité il est apparu à Simon-Pierre’ » (Lc 24, 34). Les disciples d’Emmaüs ont certes vécu une rencontre tout à fait authentique avec le Christ. C’est vraiment lui qu’ils ont reconnu à la table d’Emmaüs. Et pourtant, ce n’est pas eux qui vont expliquer aux onze que le Christ est ressuscité, mais les onze qui le leur annoncent. Les apôtres d’une certaine façon confirment l’authenticité de ce qu’ils ont vécu. Celle-ci ne vient pas de leur récit. C’est le témoignage des apôtres qui authentifie leur expérience. C’est parce que le ressuscité est apparu à Pierre que ce qu’ils ont vu et vécu est garanti : « A leur tour ils racontaient ce qu’il s’était passé sur la route et comment ils l’avaient reconnu quand il avait rompu le pain » (Lc 24, 35). Ainsi, le témoignage authentique sur la résurrection du Christ vient de ceux que Jésus lui-même a institués pour en être les témoins, c’est-à-dire des apôtres. Nous savons d’ailleurs que tout de suite après Pâques, le collège apostolique va se reconstituer lorsque Mathias est choisi pour remplacer Judas, pour être fidèle à l’institution du Christ.
Ces dernières semaines ont été publiés des sondages dont l’objectif est évidemment de nous démontrer la disparition annoncée du christianisme alors même que celui-ci est toujours bien vivant. On nous dit par exemple que seulement 10% de catholiques croiraient à la Résurrection. Ainsi, 90% de ceux qui sont venus ce soir dans cette cathédrale, seraient là par erreur ! Ce que ces sondages pensent nous faire découvrir est en fait bien connu depuis longtemps, depuis la route d’Emmaüs : il n’est pas facile de comprendre et d’expliquer la Résurrection. Et il n’est absolument pas surprenant que des chrétiens sincères et honnêtes dans leur suite du Christ se posent beaucoup de questions sur la Résurrection, et bien souvent ne soient pas capables d’y répondre. Mais l’Evangile ne nous propose pas un stock de réponses toutes faites pour répondre point par point. Il nous donne les clefs pour croire à la Résurrection : l’éclairage de l’Ecriture, l’expérience sacramentelle et la communion apostolique. Si nous nous laissons imprégner de la tradition biblique, si nous participons régulièrement à l’eucharistie, si nous vivons dans la communion avec le Pape et les évêques, nous porterons les questions qui surgiront toujours dans la foi à la Résurrection. Croire au Christ mort et ressuscité, c’est une adhésion du cœur à celui qui est venu nous rejoindre sur nos routes et qui ouvre nos intelligences à la compréhension des événements de nos vies.
Frères et sœurs prions pour que le Christ ressuscité continue d’accompagner son Église sur les chemins de l’histoire. Qu’il demeure présent à notre cœur et à notre esprit et continue à nous enseigner et à nous partager le pain de la vie. Qu’il fortifie l’assurance du témoignage apostolique à travers les lieux et les temps. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris