Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - 50 ans de l’ouverture du Concile Vatican II, lancement de l’Année de la Foi - 26e Dimanche Temps Ordinaire - Année B

Dimanche 30 septembre 2012 - Cathédrale Notre-Dame

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Pas plus que les disciples, l’Eglise n’est propriétaire de la mission confiée par le Christ. Il s’agit d’abord de discerner ce que Dieu opère dans l’histoire des hommes. C’est ce que promeut Vatican II en rappelant que l’Eglise reconnaît et honore tout ce qu’il y a de bon dans l’homme.

 Nb 11, 25-29 ; Ps 18, 8.10.12-14 ; Jc 5, 1-6 ; Mc 9, 38-43.45.47-48

Frères et Sœurs,

En poursuivant la lecture continue de l’évangile de saint Marc dimanche après dimanche, nous sommes entraînés ces semaines-ci sur le chemin par lequel Jésus prépare ses disciples à leur mission. Après la confession de foi de Césarée et la première annonce de la Passion, après le débat pour savoir qui serait le plus grand, ce soir, la discussion s’ouvre à l’initiative de Jean et porte sur ce que l’on pourrait appeler « le droit d’exclusivité des disciples ».

Ce débat est éclairé par la lecture du livre des Nombres, où nous voyons comment deux des disciples de Moïse, Eldad et Médad reçoivent l’Esprit, alors qu’ils n’ont pas participé à la réunion de la tente de la rencontre, au cours de laquelle les 70 ont reçu l’esprit pour prophétiser. Et voilà qu’Eldad et Médad se mettent à prophétiser au grand scandale des « bons », de ceux qui estiment qu’ils sont les bons, puisqu’ils étaient présents à la tente de la rencontre et ils viennent par la bouche de Josué exprimer leurs doléances à Moïse : « comment est-ce possible ? Ces hommes n’étaient pas avec nous et se mettent à prophétiser ! » Et Moïse leur répond : « Serais-tu jaloux pour moi ? Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux, pour faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! » (Nb 11, 29). Dans cette lecture du Livre des Nombres, la mission de Moïse et de ces 70 qui l’ont suppléé, nous voyons comment déjà s’annoncent l’orientation et la visée universelle de la vocation d’Israël. Non seulement Moïse ne veut pas réduire le don de l’Esprit à ceux qu’il a choisis, mais il voudrait que tout le peuple devînt prophète. Et progressivement, on découvrira que la vocation de ce peuple élu, c’est d’être l’avant-garde, le prototype d’une humanité nouvelle qui embrasse toutes les nations.

Dans la discussion de Jésus avec ses disciples nous sommes devant le même phénomène. Entendez bien ce que dit l’évangile de Marc : « il n’est pas de ceux qui nous suivent » (Mc 9, 38), cet homme qui chasse les esprits au nom de Jésus. Mais ceux qui suivent Jésus ce sont ses disciples. Le disciple c’est celui qui suit, et ceux qui suivent les disciples ce sont les disciples des disciples ! Il y a là un lien, une communion, une orientation commune, et donc, ceux qui ne suivent pas, ce ne sont pas des disciples. Ils ne peuvent donc pas invoquer le nom de Jésus puisqu’ils ne sont pas disciples et moins encore invoquer la puissance du Christ pour chasser les esprits mauvais, dont on sait que dans l’évangile de Marc certains résistaient aux disciples, ce qui indique que leur don n’était pas permanent et universel !

Que sommes-nous invités à comprendre à travers cela ? La mission confiée par Jésus aux disciples ne les établit pas dans une exclusivité, comme si, en les choisissant et en les instituant -ce qu’il fait effectivement dans l’Évangile- Jésus leur donnait une sorte de capacité de s’approprier cette mission. Et cette difficulté, nous devons l’entendre non seulement de la part des douze à l’égard du Christ, mais de la part des chrétiens à l’égard de l’Église, et même de l’Église à l’égard de Dieu ! Nous sommes invités à entrer dans un effort d’interprétation, pour comprendre que ce que nous percevons comme une obligation de moyen, ne limite pas Dieu dans sa capacité d’agir. S’il est vrai que nous avons besoin de savoir où frapper, où nous adresser, ce que nous devons faire pour essayer de vivre dans la fidélité à Dieu -et l’Église nous fournit ces moyens en nous transmettant la Parole du Christ, en nous ouvrant la vie sacramentelle, en nous permettant d’être réconciliés et de rentrer en grâce auprès de Dieu-, tous ces moyens que l’Église nous donne, ne font pas de nous des propriétaires exclusifs de la grâce. Ils font de nous des bénéficiaires associés à la communion ecclésiale, gratuitement, sans mérite de notre part. Mais cela ne signifie pas que Dieu s’interdise d’agir en-dehors, cela ne signifie pas que nous ayons le pouvoir de fermer la Porte de la Foi, là où Dieu veut l’ouvrir. Autrement dit, l’élection que Dieu a faite de son Peuple, que Jésus a faite de ses disciples, la mission qu’il leur a confiée, ne les rend pas propriétaires de Dieu. Leur mission leur donne un pouvoir d’annonce de l’Évangile, un pouvoir de médiation, un pouvoir d’appel, la capacité d’ouvrir les richesses de l’Église à ceux qui ne les possèdent pas. Mais elle ne leur donne pas la capacité de fermer la générosité de Dieu, de bloquer les capacités de Dieu à toucher le cœur de l’homme. C’est notre propre expérience ! Combien de fois avons-nous été touchés directement par une Parole que Dieu adressait à notre cœur ? Combien de fois avons-nous été bouleversés par un événement que nous avons vécu sans qu’il y ait de cause directe de la part de l’Église ? La mission de l’Église n’est pas d’empêcher la richesse de Dieu de se manifester. C’est au contraire de reconnaître qu’elle a un charisme certain de vérité pour discerner ce que Dieu fait dans l’histoire des hommes, pour faire ressortir les signes de la miséricorde et du pardon de Dieu agissant au cœur des hommes.

Frères et sœurs, en célébrant l’anniversaire de l’ouverture du Concile Vatican II, il me semble que cet évangile nous adresse un message très particulier, à nous qui sommes disciples du Christ, appelés et choisis pour être son Corps au milieu de l’humanité, dans une société où beaucoup de nos contemporains ignorent tout de Dieu, du Christ, de l’Église, et où nous pouvons devenir, pour eux, les messagers d’une espérance. Tout ce qu’il y a de bon dans l’homme nous voulons le reconnaître, l’honorer et le promouvoir comme le Concile nous y invite, à la suite de saint Paul. Il ne s’agit donc pas de devenir les représentants d’une exclusion, d’une fermeture, d’un rejet. Nous sommes disciples de celui qui a ouvert ses bras sur la croix pour apporter le Salut au monde entier. Qu’il nous donne d’élargir nos tentes, comme dit le prophète Isaïe, d’élargir l’espace de notre cœur, pour que notre amour soit sans cesse provoqué à aller vers l’univers entier et retenu de se refermer sur lui-même.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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