Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à St Jean-Baptiste de la Salle – 32e dimanche du Temps Ordinaire – Année B
Dimanche 11 novembre 2012 - St Jean-Baptiste de la Salle (Paris XV)
– 1 R 17, 10-16 ; Ps 145, 5-10 ; He 9, 24-28 ; Mc 12, 38-44
Frères et Sœurs,
Á mesure que nous approchons de la fin de l’année liturgique, l’évangile de saint Marc s’approche naturellement aussi de la fin du ministère public de Jésus. Ces ultimes chapitres commencent par l’arrivée de Jésus à Jérusalem et son entrée dans le Temple. Dimanche dernier l’évangile évoquait la figure de ce scribe qui avait demandé à Jésus quel était le plus grand commandement. Nous comprenons à travers cette question comme à travers l’offrande de la veuve aujourd’hui, que l’évangile veut, d’une certaine façon, mettre en évidence ce qui constitue le cœur de la démarche du croyant. Il veut nous mettre devant la radicalité du choix auquel le Christ va être confronté, par son arrestation, son procès, sa Passion, sa mise à mort, et nous faire comprendre que cette offrande, dont l’épître aux Hébreux nous dit que c’est l’unique sacrifice qui peut sauver le monde, nous renvoie à ce qui est le cœur de notre foi en Dieu.
Nous sommes entrés il y a quelques semaines dans l’Année de la foi à l’invitation que le Pape nous a proposée précisément pour remettre les chrétiens devant l’essentiel de leur relation avec Dieu et de leur vie baptismale. L’essentiel, c’est quelquefois plus facile à dire qu’à identifier et à mettre en œuvre ! L’épisode de l’offrande de la veuve au Temple est éclairé par la rencontre de la veuve de Sarepta qui faisait l’objet de la première lecture. Elie lui demande de sacrifier tout ce qu’elle a pour vivre. Il lui reste juste de quoi faire un pain en attendant de mourir. Elie le lui demande en promettant que Dieu l’assistera autant que nécessaire. Dans le passage d’évangile, la veuve dans le Temple vient apporter au trésor sa très modeste offrande. Il est probable qu’elle accomplit ce geste en présence d’un certain nombre de témoins et de scribes qui paradent devant les autres, en la jugeant de façon sévère, puisqu’elle n’apporte pas le dixième ou le centième de ce qu’eux-mêmes ont donné, alors que leurs richesses se constituent en dévorant le bien des veuves.
Cette présentation de l’offrande de la veuve dans le tronc du trésor concentre notre regard sur cette question : que sommes-nous appelés à donner ? Non pas en offrande financière, mais en offrande personnelle, en offrande de notre propre liberté ! Nous sommes conduits à revoir notre manière de vivre, à relire notre manière de mettre en œuvre la foi. Nous devons bien constater -et peut-être cela sera-t-il le fruit principal de l’Année de la foi- que très souvent notre réponse à l’appel de Dieu se situe dans ce que l’évangile appelle le superflu, ce qui relève, pourrions-nous dire aujourd’hui, de la culture du loisir. Dans notre vie, quand nous nous sommes occupés des choses « importantes » comme le travail, l’économie, la gestion de nos biens, la réussite de notre famille, l’aide que nous pouvons apporter aux uns ou aux autres, etc., quelle place reste-t-il à Dieu ? Certes, les casuistes avaient bien trouvé la formule pour nous aider à supporter cette difficulté : notre manière de répondre à Dieu c’est d’assumer notre devoir d’état. Sans doute, mais la relation d’amour gratuit qui nous unit à Dieu ne se résume pas à notre devoir d’état.
Il y a un moyen très simple de repérer ce qui se passe dans notre vie : c’est de regarder la manière dont nous utilisons notre temps. Quel temps réservons-nous pour le Seigneur ? Vous qui êtes ici vous pouvez déjà dire que vous avez réservé pour Lui le temps de la messe du dimanche ! Mais il y a beaucoup de chrétiens qui n’ont pas cette possibilité parce qu’ils ont d’autres choses à faire beaucoup plus importantes, et donc cette activité considérée comme accessoire, ou « de loisir » passe après ! Comment peut-on dire que le Seigneur est le centre de notre vie alors qu’il est logé à la périphérie ? L’exemple de cette veuve qui par ses deux piécettes ne donne pas simplement son superflu en préservant son nécessaire, mais donne tout ce qu’elle a pour vivre, est une façon pour le Christ de nous acculer à cette question radicale : qu’est-ce que cela veut dire pour moi aujourd’hui d’essayer de vivre de la foi ? Le « juste vivre par la foi » : qu’est-ce que cela signifie ? Quelle est notre capacité à préserver un temps honnête et juste pour entretenir notre relation avec Dieu ?
Si l’Église nous invite à prier chaque jour, matin et soir, c’est pour nous aider à exprimer d’une façon consciente le sens que nous voulons donner à tout ce que nous vivons ; par exemple, en commençant la journée, en prenant un moment devant le Seigneur pour lui offrir ce que nous allons vivre, pour donner un sens à ce que nous allons faire. Ce temps de prière peut être court, il peut se faire n’importe où, mais l’important c’est qu’il se fasse, et pas seulement comme une activité secondaire que l’on peut effacer sans dommage. C’est à travers cet engagement du cœur que l’on donne tout à Dieu, que l’on donne le sens de notre communion à la volonté de Dieu dans nos activités quotidiennes. Ainsi, notre vie de chrétien, à travers les activités normales d’une existence humaine, va prendre le sens d’une offrande réelle, d’un sacrifice véritable offert à Dieu et en conséquence, nous les vivrons autrement.
Que cette année de la Foi soit pour nous l’occasion de faire le point sur cet aspect axiologique. Comment orientons-nous vraiment notre vie vers ce don total de nous-mêmes ? La véritable foi, c’est de croire que c’est par Dieu que nous vivons, c’est pour Dieu que nous vivons, c’est grâce à Dieu que nous vivons, quoique nous fassions comme nous le dit saint Paul : « Tout ce que vous faites : manger, boire, ou n’importe quoi d’autre, faites-le pour la gloire de Dieu » (1 Co 10, 31). Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris