Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à Saint-Paul – Saint-Louis à l’occasion de l’inauguration de la façade rénovée de l’église - 2e dimanche de l’Avent – Année C

Dimanche 9 décembre 2012 - Saint-Paul – Saint-Louis (Paris 4e)

Avec le temps de l’Avent, temps de préparation et d’espérance, nous reprenons conscience que le Christ apparaît comme le point de rencontre entre le don que Dieu fait aux hommes de son Fils unique, le Verbe Incarné et la liberté humaine appelée à se convertir pour accueillir ce don.

 Ba 5, 1-9 ; Ps 125, 1-6 ; Ph 1, 4-6.8-11 ; Lc 3, 1-6

Frères et Sœurs,

Nous sommes engagés depuis une semaine dans le chemin de la venue du Christ. Le chemin, qui tient une place importante dans la liturgie de ce dimanche, peut avoir des fonctions et des significations variables. Le chemin dont nous parle le prophète Baruch, c’est celui par lequel les déportés d’Israël vont pouvoir rejoindre Jérusalem, c’est le chemin du retour, du pèlerinage et de la renaissance. Les juifs ont été déportés après une défaite militaire, voilà qu’ils sont ramenés chez eux, non pas par une victoire militaire, mais par la puissance de Dieu. Car Dieu va non seulement tracer le chemin à travers le désert, mais encore le rendre praticable en abaissant les collines, en comblant les ravins, en aplanissant les sols. Les juifs sont partis dans les larmes, ils reviennent en chantant. Leurs pères sont partis écrasés par la défaite, ils reviennent tous joyeux de retrouver leur terre, leurs villes et de restaurer l’alliance avec Dieu.

Dans l’évangile de saint Luc, la parole de Dieu s’inscrit elle aussi sur le terrain historique, non pas celui d’un grand combat et d’une grande défaite, mais sur le terrain politique du moment, en énumérant les chefs et les responsables qui gouvernent cette région. Á ce moment-là, le prophète Jean-Baptiste n’annonce pas la victoire d’Israël, mais il annonce un chemin. Ce chemin ne va pas ramener les déportés de jadis, mais ce sera le chemin par lequel va venir le Sauveur. Et s’il y a des œuvres à accomplir pour aplanir ce chemin, pour le rendre plus praticable, pour rendre le peuple plus accessible à la Parole de Dieu, ce sont les destinataires qui en sont responsables. Car ce chemin ne traverse pas le désert mais les ténèbres dans lesquelles le peuple est plongé, il traverse l’oubli de la Parole de Dieu et de l’Alliance, il traverse les erreurs dans lesquelles ils ont sombré par leur manière de vivre.

Redresser le chemin, aplanir les obstacles, combler les ravins : apparemment ce n’est plus Dieu qui prépare le chemin pour son peuple, c’est le peuple qui est appelé à préparer le chemin pour son Dieu. Et cette préparation c’est, comme nous l’indique l’évangile, la conversion des cœurs. « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route, tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées, les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies » (Lc 3, 5), c’est le baptême de conversion pour le pardon des péchés auquel Jean-Baptiste appelle le peuple qui l’écoute.

Délibérément j’ai voulu mettre en lumière le paradoxe que présente ce chemin. En effet, le prophète Baruch nous dit que c’est Dieu qui le travaille, l’aplanit, le rend praticable pour son peuple, alors que l’évangile de Luc, par la bouche de Jean-Baptiste, nous dit que c’est au peuple de le préparer pour que le Seigneur vienne. Il ne s’agit pas d’une contradiction ou d’un renversement de l’approche de la foi. Il s’agit au contraire de prendre conscience que la venue du Christ est à la fois un don de Dieu, celui qu’il envoie dans le monde, celui qui va être le Verbe incarné, Dieu vivant au milieu des hommes, et en même temps un appel à tous les cœurs, à toutes les libertés à se convertir et à lui laisser la voie libre pour se rendre accessibles à cette visite du Messie. L’événement en lui-même est un événement unique : le Verbe de Dieu s’incarne et vient partager l’existence humaine. Cet événement se réalise dans un double dynamisme de la puissance miséricordieuse de Dieu qui d’une part ne cesse de mettre en œuvre de nouveaux moyens pour atteindre les hommes -en ces temps qui sont les derniers comme nous dit l’épître aux Hébreux : « ayant épuisé tous les moyens précédents, il vient lui-même en son Fils » (Héb 1, 2)-, et d’autre part met en lumière la disposition des cœurs pour accueillir et reconnaître ce don de Dieu.

Le temps de l’Avent, temps de préparation, temps d’attente et d’espérance, nous le vivons sous la double lumière de cette puissance miséricordieuse de Dieu qui vient à nous et nous appelle à la conversion. Il n’y a pas de compétition, il n’y a pas de concurrence ! On ne va pas dire : « si c’est Dieu qui fait le travail, je n’ai rien à faire ! » Et « si c’est moi qui fais le travail, Dieu n’a rien à faire. » Nous sommes unis dans la même perspective et le même objectif que le Fils de Dieu puisse venir en ce monde et qu’il y soit accueilli. Dieu prépare le chemin, non seulement pour le retour d’Israël mais aussi pour l’envoi du Messie qui va venir en ce monde. Et nous préparons le chemin non seulement pour nos pérégrinations, mais encore pour accueillir Celui qui vient nous sauver. Cette convergence de l’œuvre de Dieu et de la conversion des hommes se trouve éclairée par la parole du Christ lui-même quand il dira : « Je suis le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6). En Lui, toute la miséricorde et tout l’amour de Dieu se livrent à l’humanité. En Lui, toute la capacité d’accueil de l’humanité est portée à son maximum pour que ce don de Dieu soit reçu, reconnu et servi.

Frères et sœurs, dans chacune de nos paroisses tout au long de cette année nous allons, à l’invitation du Pape Benoît XVI, vivre l’Année de la foi, c’est-à-dire raviver cette conscience que la vie chrétienne n’est pas simplement une sorte de morale que l’on choisirait parmi d’autres, mais qu’elle est une œuvre de Dieu. Nous allons renouveler cette certitude que notre attachement à la personne du Christ n’est pas simplement le fruit d’une conscience particulièrement éclairée, mais qu’elle est la réponse de la conversion de notre vie, au don magnifique que Dieu nous fait en son Fils.

En ces jours où nous nous préparons à célébrer la nativité du Christ et l’espérance rendue visible au milieu des hommes, que Dieu nous donne de vivre dans la joie le temps de l’attente. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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