Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe de minuit. Noël 2012
Cathédrale Notre-Dame de Paris - lundi 24 décembre 2012
Messe de Minuit - Diffusée en direct sur France 2 et en Eurovision.
UNE NUIT DE LUMIERE.
(Lectures : Isaïe 9, 1-6 ; Tite 2,11-14 ; Luc 2, 1-14)
1. LA NUIT SUR LE MONDE.
La nuit de Bethléem voit se lever la lumière du soleil de justice, Celui qui dira de Lui-même : « Je suis la lumière du monde ». Celui qui naît dans l’obscurité de Bethléem, inconnu de tous, sauf de quelques bergers, vient pour illuminer la terre. Il accomplit ainsi la prophétie d’Isaïe : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière. Sur les habitants du pays de la mort, une lumière a resplendi. » C’est à Israël que fut envoyée en premier cette lumière dans la nuit. Mais la vocation d’Israël est de vivre l’Alliance avec Dieu comme un signe destiné à toutes les nations. C’est donc aussi sur la nuit du monde que se lève cette lumière. De quelque façon, la nuit de Bethléem est le signe des ténèbres dans lesquelles se débat l’humanité jusqu’à la fin des temps. Elle est le signe de notre nuit en ce jour de 2012. Elle rassemble dans ses ténèbres toutes les misères de l’humanité et toutes les expériences du pays de la mort.
Il serait trop long et fastidieux de dresser la liste des malheurs des hommes. Ils sont présents chaque jour par les informations qui nous font proches des grands événements. Mais comment oublier ce soir les peuples massacrés et dispersés par les guerres qui ensanglantent le globe ? Comment oublier nos frères chrétiens d’Orient, soumis à des pressions diverses et, parfois, à la persécution ouverte ? Comment oublier les « laissés pour compte » de notre société, premières victimes de la crise économique, qui vivent d’expédients, refoulés sur les marges des rendements financiers ? Comment oublier enfin dans cette nuit où la sainte famille ne trouve pas de place dans la salle commune de l’auberge, les immigrés qui errent à travers nos pays opulents sans trouver de place dans nos nations, nos entreprises et nos foyers, nos esprits et nos cœurs ?
Non, la nuit n’est pas seulement symbolique, elle est bien réelle. L’humanité vit bien dans le pays de la mort, même si elle essaye de l’oublier.
2. LA PORTE DE LA FOI.
Le Pape nous a invités à vivre une année de la foi, à franchir ensemble la porte de la foi, comme nous l’avons fait symboliquement à l’instant en entrant dans la cathédrale. C’est le Christ qui est Lui-même la porte (comme il nous le dit dans l’évangile de saint Jean), la porte par laquelle nous accédons à la victoire de l’amour sur l’indifférence, à la victoire de la vie sur la mort.
La porte ouverte est la brèche par laquelle le Sauveur entre dans notre monde et, avec lui le salut vient briser le cycle clos de la fatalité. Désormais, l’homme n’est plus abandonné au pouvoir de la mort, l’homme ne peut plus être négligé, il est devenu un être précieux puisque Dieu l’a aimé au point de prendre chair pour le sauver. Aucun homme ne peut plus être abandonné au bord du chemin, car tout homme est appelé à entrer dans la vie de Dieu et à être reconnu comme un frère, puisque Jésus s’est fait son frère.
C’est une espérance extraordinaire qui vient crever la chape de plomb des malheurs humains, « le joug qui pesait sur nos épaules ». Nous ne serons jamais plus des condamnés en sursis, nous sommes devenus des « sauvés » en puissance, des vivants, des bienheureux. Si nous n’étions pas habités par cette certitude que l’amour puissant et miséricordieux du Père prend lui-même en main notre avenir en Jésus, comment pourrions-nous nous réjouir et faire la fête ? Quel goût d’amertume sur nos lèvres si nos banquets et nos friandises n’étaient qu’un ersatz de joie pour nous faire oublier la réalité ! Quels lendemains pâteux et tristes, si nous ne pouvions croire au signe qui nous est donné : « un nouveau-né emmailloté dans une mangeoire » !
3. LA PUISSANCE DE L’ENFANT.
Nous sommes ici au cœur même du mystère de l’Incarnation. Notre foi, c’est de reconnaître la puissance de Dieu, révélée en son Messie, dans la faiblesse de cet enfant nouveau-né. En Israël, soumis aux Romains, beaucoup rêvaient d’un messie de gloire qui viendrait avec la toute-puissance divine balayer les ennemis d’Israël. Ils attendaient que Dieu sauve son peuple à mains fortes et à bras étendus. Ils n’imaginaient pas que Dieu nous aime au point de vouloir nous sauver en respectant et en sollicitant notre liberté et notre conversion.
Le Messie, dont témoignent les évangiles, n’est pas une star ou un puissant de ce monde, c’est un enfant emmailloté dans une mangeoire. A qui ce signe peut-il parler ? Sans doute pas aux esprits en quête d’un « nouvel âge » de la religion, séduits par le goût des spiritualités indéfinies qui flattent nos bons sentiments sans jamais demander que notre liberté soit sollicitée ni que nous changions de vie. Finalement ils aiment mieux un Jésus superstar, Robin des Bois de la religion qu’un véritable envoyé de Dieu, Dieu lui-même fait homme.
Ce nouveau-né peut-il parler à nos esprits façonnés par une culture qui a peur des enfants. Une naissance peut-elle être une bonne nouvelle quand l’attente d’un enfant est devenue une hantise identifiée à une catastrophe grave dont on doit se prémunir par tous les moyens et se débarrasser quand ce malheur n’a pu être évité ? Ce nouveau-né peut-il être vraiment accueilli par une culture qui transforme les enfants en bien de consommation au service des désirs des adultes ?
Pour reconnaître le signe de l’enfant nouveau-né, nous devons nous convertir. Non seulement abandonner nos fantasmes sur un salut magique qui nous éviterait toute responsabilité, mais encore changer notre regard sur la vie telle que nous la recevons et que nous devons en assumer la responsabilité.
4. LE SEUIL DE L’ANNÉE DE LA FOI.
La porte ouverte devant nous est le chemin par lequel le Christ entre dans notre monde et vient y apporter le salut. Elle est aussi le chemin que nous sommes invités à prendre pour le suivre. Par cette célébration solennelle de la Nativité, nous entrons dans une année de la foi, une année de conversion. C’est un temps de joie exceptionnelle, un temps où une nouvelle chance nous est donnée de laisser derrière nous nos pratiques mauvaises et devenir vraiment, comme nous y invitait saint Paul tout à l’heure, « un peuple ardent à faire le bien ». Cette année s’ouvre devant nous comme le chemin d’un renouveau de notre vie chrétienne.
Nous pouvons vraiment faire la fête et nous réjouir, malgré les malheurs des temps, si nous sommes prêts à changer nos manières de vivre et à nous laisser conduire par ce nouveau-né. Nous pouvons vivre dans l’allégresse, si nous acceptons qu’il bouscule notre vie et nous fasse réviser l’échelle de nos valeurs. Nous pouvons sortir de la crainte et entrer dans la véritable espérance, si nous sommes prêts à prendre notre part du combat pour la justice et la vérité.
Le message d’espérance de ce soir, c’est que ce chemin est ouvert à tout homme et à toute femme, quels que soient son âge, son passé, ses faiblesses, ses échecs ou ses réussites, sa tristesse ou son désespoir. Tous et chacun peuvent changer de vie et devenir vraiment ce « peuple de Dieu purifié » qui devient témoin du salut, qui annonce à tous : Aujourd’hui vous est né un Sauveur !
+ André cardinal VINGT-TROIS, Archevêque de Paris