Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Baptême du Seigneur – Année C

Dimanche 13 janvier 2013 - Cathédrale Notre-Dame

Le baptême de Jésus est la première manifestation de la divinité du Fils de Dieu. En priant son Père, il nous révèle que notre prière nous met aussi dans l’attitude de fils de Dieu. Le baptême, avec la Parole du Père et le signe de l’Esprit, n’est pas pour Jésus le moyen de prendre conscience de sa divinité, mais de rendre cette réalité publique. La visibilité de notre propre baptême est manifestée par notre vie dans l’Eglise.

 Is 40, 1-5.9-11 ; Ps 103, 1-4.24.25.27.30 ; Tt 2, 11-14 et 3, 4-7 ; Lc 3, 15-16.21-22

Frères et Sœurs,

Le baptême de Jésus, que nous commémorons aujourd’hui, clôt d’une certaine façon le cycle de la manifestation du Verbe de Dieu dans notre chair dont nous avons commencé la célébration avec la fête de la Nativité. Dans la nuit de Bethléem, les anges ont désigné l’enfant nouveau-né, en appelant les bergers à venir l’adorer comme le Sauveur annoncé à Israël. Les Mages, dont nous avons fait mémoire dimanche dernier pour l’Épiphanie, venaient à la recherche du roi d’Israël, et c’est à lui qu’ils ont apporté leurs présents dans la grotte de Bethléem.

Avec le baptême du Christ, c’est une nouvelle caractéristique de la personne de Jésus qui nous est présentée et manifestée par l’événement lui-même : il est le Fils de Dieu. Il n’est pas seulement envoyé pour être le Sauveur, il n’est pas seulement un nouveau roi d’Israël, il est celui que Dieu a engendré comme son Fils bien-aimé, égal à lui-même, Dieu - Fils de Dieu. Et cette identité de Fils de Dieu est annoncée et manifestée publiquement à travers le baptême de Jésus au moment où va commencer son ministère public, comme une sorte d’indication pour comprendre ce qui va se passer. La description que saint Luc nous fait du baptême de Jésus, attire l’attention sur des points très précis qui nous aident à comprendre aussi ce que veut dire être Fils de Dieu.

Saint Luc nous montre que Jésus était en prière après avoir été baptisé du baptême d’eau. Nous savons que dans l’évangile de saint Luc, à plusieurs reprises, l’évangéliste voudra nous montrer cette prière de Jésus comme lourde d’une relation, d’une communion entre Jésus et son Père. Il ne nous dit rien du contenu de cette prière, il ne nous dit rien de ce que pense Jésus, il n’en sait rien. Il nous dit simplement : il était en prière, « il priait » (Lc 3, 21). Lorsque les disciples vont demander à Jésus de leur apprendre à prier, il leur dira « quand vous priez, dites : Notre Père » (Lc 11, 2). Par conséquent, cette attitude de priant, de celui qui se tient devant Dieu, à la disposition de Dieu, qui s’ouvre à la volonté de Dieu est la marque caractéristique de l’attitude du Fils. Jésus est Fils de Dieu et il le montre en se tenant en prière devant son Père.

La deuxième caractéristique que l’évangile de Luc veut nous faire percevoir, c’est évidemment le Ciel qui s’ouvre : « Aussitôt le ciel s’ouvrit » (Lc 3, 22). Nous savons que dans la représentation que les lecteurs de l’évangile de Luc pouvaient se faire, le ciel c’est la voûte, c’est la frontière qui sépare le monde des hommes, notre monde, la terre, du monde de Dieu qui est dans les cieux : « Notre Père qui es aux cieux ». Cette ouverture du ciel rend possible une communication directe entre ce monde de Dieu, que nous ne connaissons pas, qui nous échappe, et notre monde, qui est le monde des hommes. Et cette communication directe va se manifester de façon visible sous la forme d’une colombe qui est le don de l’Esprit Saint fait au Christ. On se demande : qu’est-ce que cela change ? Est-ce que Jésus avait besoin d’être baptisé pour savoir qu’il était Fils de Dieu ? N’était-il pas déjà Fils de Dieu, puisqu’engendré par l’Esprit ?

Nous devons avoir bien conscience que cet événement du baptême du Christ n’est pas inscrit dans l’Évangile pour nous faire croire que Jésus est devenu subitement Fils de Dieu. C’est au contraire pour nous aider à comprendre que cette identité de Fils de Dieu reçue par la conception de l’Esprit Saint dans la Vierge Marie, doit se manifester et être connue des hommes qui entourent le Christ. Il ne s’agit pas simplement que lui-même dans sa conscience personnelle soit convaincu alors qu’il est devant son Père en prière, comme nous le dit l’évangile de saint Luc, il faut encore que cette relation intime, tout-à-fait spéciale et unique entre le Père et le Fils, et rendue visible par la venue de l’Esprit Saint, puisse être reconnue par ceux auxquels le Christ s’adresse et auprès desquels il va exercer sa mission. Ainsi, le baptême du Christ n’est pas d’abord une manière de faire accéder Jésus à son identité de Fils de Dieu, c’est un moyen de rendre cette identité publique, visible, perceptible au peuple qui l’entoure.

Nous comprenons peut-être un peu mieux certaines difficultés que rencontrent les chrétiens à l’égard de leur propre baptême. Il arrive que des gens se demandent ce que cela change d’être baptisés puisque de toute façon ils sont déjà enfants de Dieu. Que nous soyons enfants de Dieu dans la vision que Dieu a de notre vie c’est une chose, mais que cette filiation divine prenne une forme visible par notre appartenance à l’Église, c’est tout-à-fait autre chose ! De même que le don de l’Esprit et la Parole qui viennent du Ciel désignent Jésus comme le Fils bien-aimé du Père à l’attention de tous ceux qui l’entourent, de tout ce peuple qui était dans l’attente, de même notre baptême dans l’eau et l’Esprit Saint fait éclore d’une façon visible ce qui était seulement en espérance dans notre existence. Dieu veut faire de nous ses enfants, et être enfants de Dieu, c’est participer à la vie de son Église. C’est pourquoi le baptême n’est pas simplement un acte privé que l’on peut réaliser discrètement sans que personne ne s’en occupe. Le baptême, c’est la manifestation visible de l’identité à laquelle nous sommes appelés à vivre dans la communion de l’Église, en témoins de l’Évangile. Cet Esprit que nous recevons doit inspirer toutes nos actions, comme l’Esprit qui repose sur Jésus va inspirer tout son ministère, aussi bien ses discours que ses miracles, ainsi que l’enseignement qu’il va donner à ses disciples. Tout ceci est marqué par ce don de l’Esprit qui le constitue comme le Fils de Dieu parmi les hommes.

Rendons grâce au Seigneur qui nous fait percevoir à travers cet événement de la vie de Jésus quelque chose qui est partie intégrante de notre propre vie. Quand nous découvrons que Dieu désigne Jésus comme son Fils, nous découvrons en même temps que nous sommes nous aussi désignés par Dieu comme ses enfants, que nous aussi nous avons reçu par le don de l’Esprit, la qualité d’enfants de Dieu et que nous sommes devenus membres de la famille de Dieu, c’est-à-dire membres de cette Église dont la mission est de rendre visible parmi les hommes l’Alliance entre Dieu et l’humanité, telle qu’elle est inspirée par l’amour trinitaire unissant le Père, le Fils et l’Esprit Saint.

Que le Seigneur nous donne d’accueillir ce don de l’Esprit et de renouveler en nous la vigueur de notre relation avec le Père. Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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