Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame de Nazareth

Dimanche 17 février 2013 - Notre-Dame de Nazareth (15e)

 1er dimanche de Carême – Année C
 Dt 26, 4-10 ; Ps 90, 1-2.10-15 ; Rm 10, 8-13 ; Lc 4, 1-13

Frères et Sœurs, chers amis,

Chaque année, à l’ouverture du Carême, l’Église dans sa liturgie nous invite à méditer sur les tentations de Jésus au désert, et chaque fois que nous entendons ce récit de l’Évangile, c’est une nouvelle invitation qui nous est adressée, non pas à vérifier la qualité de notre mémoire, mais à vérifier l’actualité de cette parole pour nous.

Tout d’abord, nous devons remarquer - particulièrement dans l’évangile de saint Luc que nous avons en lecture continue cette année - que Luc insiste sur le fait que c’est l’Esprit Saint lui-même qui conduit Jésus au désert où il doit être mis à l’épreuve. C’est une façon de nous aider à comprendre que cette épreuve entre Jésus et le démon, qui s’exprime à travers les trois tentations que Satan présente au Christ, n’est pas un accident contraire au plan de Dieu, puisque c’est l’Esprit lui-même qui conduit Jésus au désert. Si Jésus est entraîné par l’Esprit pour connaître la tentation, c’est parce que cette tentation évoque et représente le combat dans lequel le Christ est engagé et qui se terminera apparemment par sa défaite quand il sera mis en croix, et finalement par sa victoire lorsqu’il ressuscitera. Ainsi, ouvrir ce temps de carême par l’évocation de ce combat est une façon de nous aider à comprendre l’esprit dans lequel nous devons nous aussi entrer dans le carême. Nous entrons dans ce temps de conversion et de pénitence non pas d’une façon accidentelle, comme si c’était par hasard, mais nous y entrons comme dans un chemin que Dieu lui-même ouvre devant nous. Il nous conduit par son Esprit pour que nous vivions avec le Christ l’épreuve de la tentation et qu’avec Lui nous apprenions à mener le combat jusqu’au bout.

Ainsi, nous préparons, semaine après semaine, notre participation à la semaine Sainte de notre liturgie, c’est-à-dire aux jours au cours desquels le Christ entrera dans la phase ultime du combat par son agonie au Jardin des Oliviers, par son procès, sa condamnation, son exécution et enfin par sa résurrection. Mais quelle est la nature de ce combat dans les tentations que Jésus rencontre au désert ? Les quarante jours pendant lesquels il ne prend pas de nourriture évoquent, évidemment, dans la symbolique de l’histoire d’Israël, les quarante ans que le Peuple a passés dans le désert avant d’atteindre la Terre Promise. Quarante années au cours desquelles ce Peuple a eu à connaître la faim et la soif, le péril des serpents, bref toutes les menaces qui pesaient sur sa vie et au cours desquelles, grâce à Moïse et à ses successeurs, il va découvrir que celui qui sauve, celui qui peut lui permettre de franchir l’épreuve de la mort sans succomber, c’est Dieu lui-même. Ce temps de privation, tel que l’Évangile nous le présente dans la vie de Jésus et tel que nous sommes invités à le vivre dans notre propre vie, est une expérience pour découvrir que ce qui nous fait vivre et ce qui nous permet de surmonter les difficultés de l’existence, ce ne sont pas nos propres ressources et nos propres forces, mais c’est la force de Dieu lui-même. D’ailleurs, dans le récit de l’évangile sur les trois tentations, nous voyons bien le soin de l’évangéliste de nous faire découvrir comment Jésus réagit aux propositions du démon : à chaque fois, il y répond par une phrase de l’Écriture, c’est-à-dire par la Parole de Dieu, qui est la ressource principale pour mener ce combat.

Évidemment, si nous évitons la dimension de frustration que représentent les privations du Carême, nous n’avons aucune raison de nous tourner vers Dieu et de chercher en Lui notre secours. Nous avons suffisamment de force par nous-mêmes, croyons-nous, pour affronter les différentes péripéties de notre existence, et notre monde fournit suffisamment de ressources pour nous permettre de surmonter les épreuves. C’est par un choix volontaire que nous éprouvons dans notre privation la pénurie. Hélas aujourd’hui, nous le savons, beaucoup de nos contemporains connaissent la pénurie non pas par choix volontaire, mais parce qu’ils n’ont pas les moyens de pourvoir à leurs besoins. Cependant, même quand nous sommes pauvres, nous pouvons éprouver cette pauvreté d’une façon plus profonde en découvrant que c’est Dieu, et Dieu seul, qui nous aide à surmonter les difficultés de l’existence. C’est donc à travers l’épreuve de la privation, un acte de foi auquel nous sommes appelés, et en cette année de la foi, cet acte de foi est une façon particulièrement importante de vivre notre conversion pour l’année 2013.

Dans cette conversion, nous le voyons dans l’Évangile et l’épître aux Romains nous le rappelait, cette épreuve la foi est la ressource principale. Cette parole, nous dit saint Paul, « c’est le message de la foi que nous proclamons. Donc si tu affirmes que Jésus est Seigneur, si tu crois dans ton cœur que Dieu l’a ressuscité d’entre les morts, alors tu seras sauvé » (Rm 10, 8-9), « la Parole est près de toi, elle est dans ta bouche et dans ton cœur » (Rm 10, 8). Ce retour sur la Parole de Dieu déposée en nos cœurs, non seulement parce que nous l’entendons ou la lisons et la méditons, mais parce que Dieu l’inscrit en nos cœurs par la puissance de son Esprit, est notre principale ressource pour raviver notre foi en celui qui est Seigneur et que Dieu a ressuscité d’entre les morts.

Ainsi, alors que nous essayons de vivre une consommation plus restreinte et plus raisonnable des biens de ce monde, nous sommes invités en même temps à développer notre recours à la Parole de Dieu par une fréquentation plus assidue, plus ouverte, de l’Écriture telle que nous la propose la foi chrétienne. Nous en avons de multiples occasions, non seulement par la célébration du dimanche à laquelle nous participons, mais encore par la manière dont nous pouvons préparer cette célébration en lisant d’avance et en méditant les lectures que nous y entendrons, ou encore par la méditation quotidienne de quelques versets de l’Écriture. « Cette Parole elle est dans ton cœur et dans ta bouche », c’est-à-dire que c’est une parole qui transforme l’intérieur de nous-même et qui devient en même temps le contenu du témoignage que nous sommes appelés à rendre au Seigneur à travers notre existence. Oui, la vie de Jésus, les événements qui ont marqué sa vie, les enseignements qu’il a donnés à travers sa vie, et plus que tout le signe définitif de l’amour de Dieu pour les hommes dans l’offrande de sa vie sur la croix, tout cela constitue le message que nous recevons comme une espérance à travers l’histoire des hommes, l’histoire de chacune de nos existences, et comme une richesse à partager avec nos frères.

En ce temps de carême de l’Année de la foi, j’ai souhaité que les communautés eucharistiques du diocèse de Paris fassent un geste particulier pour manifester de façon visible leur implication dans le combat du Christ, leur participation au combat des catéchumènes, leur communion avec ceux qui s’approchent du baptême, de la confirmation et de l’eucharistie, et le renouveau auquel ils souhaitent participer par la conversion de leur vie. Je souhaite que ces étapes hebdomadaires, dimanche après dimanche, vous soutiennent et vous aident à retrouver la fraicheur de votre vie baptismale, et à renouveler votre engagement à la suite du Christ.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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