Homélie du Cardinal André Vingt-Trois – Vigile Pascale
Cathédrale Notre-Dame de Paris – Samedi 30 mars 2013
Le premier témoignage de la Résurrection ne suscite pas un réflexe d’adhésion spontané chez les apôtres. Cette incrédulité illustre notre propre difficulté à croire. La foi n’est pas une solution facile et sans question. Pour résister à la tentation de transformer notre foi en une croyance à taille humaine, facile à accepter, nous avons besoin de la force de l’Esprit. C’est l’Esprit du Christ, la puissance du Christ vainqueur de la mort qui est toujours à l’œuvre en notre monde à travers les baptisés.
– 7 lectures de la Vigile ; Rm 6, 3b-11 ; Lc 24, 1-12
COMMENT Y CROIRE ?
1. Du délire ?
On ne peut pas dire que la première annonce de la résurrection ait été accueillie avec enthousiasme. Le premier jour de la semaine, quand les femmes qui avaient accompagné Jésus viennent au tombeau pour l’embaumer et quand elles découvrent le tombeau vide, leur premier réflexe n’est pas de penser qu’il est ressuscité. Saint Luc nous dit simplement qu’elles étaient déconcertées, ce qui est une manière de dire qu’elles ne comprennent pas. Elles ne savent pas quoi penser devant la disparition du corps de Jésus. En tout cas, elles ne pensent pas qu’il est ressuscité.
Même le message des anges, qui leur rappelle textuellement ce que Jésus avait annoncé, ne les convainc pas tout à fait. Elles reconnaissent bien les paroles, mais Luc ne nous dit pas qu’elles croient que ces paroles sont accomplies. Elles reviennent vers les Onze apôtres pour leur raconter ce qui est arrivé. Là, la perplexité fait carrément place à l’incrédulité : « Mais ces propos leur semblèrent délirants, et ils ne les croyaient pas. » Le premier témoignage sur la résurrection, venu de celles qui ont vu le tombeau vide et qui ont reçu de deux anges (ceux qui parlent au nom de Dieu) la clef pour comprendre la situation ne réussit pas à éveiller chez les apôtres qui furent les mieux préparés à l’entendre un réflexe d’adhésion. Ils croient que ces femmes sont folles et délirent. Plus encore, quand Pierre lui-même va au tombeau et verra tout comme avaient dit les femmes, il s’en retourne chez lui, « tout étonné de ce qui était arrivé. » Était-il convaincu ? En tout cas il ne se précipite pas pour communiquer sa découverte aux autres. Il faudra que le Christ lui-même lui apparaisse pour qu’il croie.
En cette année de la foi, j’insiste sur cette première incrédulité devant la résurrection, parce que nous avons tendance à la gommer de notre lecture des évangiles. Comme si nous ne pouvions pas voir et entendre que la foi au Christ n’est jamais une solution facile et sans question, y compris pour ceux qu’il a préparés aux événements et qui furent vraiment ses disciples et ses plus chers amis. Souvenez-vous de la trahison de Pierre dont nous avons encore entendu le récit hier. Pourtant cette difficulté à croire, perceptible dès les évangiles n’est-elle pas, pour nous, une indication précieuse pour comprendre notre propre foi au Christ ou notre peu de foi ?
2. Contourner les difficultés.
Quand nous mesurons notre difficulté à témoigner de notre foi au Christ ressuscité, nous avons facilement tendance à l’expliquer par l’incapacité des autres à entendre ce témoignage comme quelque chose de sensé. Ils ne peuvent pas croire vraiment que le Christ est ressuscité. Ils peuvent n’y voir qu’un délire éveillé. Faut-il risquer de susciter leur refus et leur incroyance ? Ne vaut-il mieux pas rester discret sur ce qui est proprement au-delà du raisonnable et du crédible ? Vous qui allez recevoir les sacrements de l’initiation chrétienne, vous savez bien comment votre foi chrétienne est perçue par ceux qui vous entourent. Nous le savons tous pour peu que nous tentions, de temps à autre, de témoigner de notre foi. Comme à saint Paul sur l’Aréopage d’Athènes, on nous répond : nous t’écouterons là-dessus une autre fois.
Comment s’étonner alors que nous soyons tentés de contourner la difficulté, de nous en tenir à témoigner d’une croyance « raisonnable et possible à accepter », une croyance à taille humaine ? C’est ainsi que l’on peut vider insensiblement notre foi du seul contenu original qu’elle apporte aux hommes et qui puisse les intéresser : la victoire sur la mort. Bien sûr, le Christ nous appelle à l’amour de nos frères, bien sûr les chrétiens peuvent s’engager dans le travail social et les œuvres de solidarité humaine, bien sûr nous sommes invités à nous tenir aux premières lignes du combat pour la justice. Mais, en tout ceci, nous annonçons seulement une conception de l’homme plus généreuse que celle qui domine notre société.
Mais faisons-nous beaucoup plus que collaborer à la solidarité humaine avec des motivations chrétiennes, annoncer une générosité à visage chrétien ?
Sur ce terrain, nous serons toujours bien compris et bien reçus, surtout si nous fournissons des forces d’appoint à des projets où les bras manquent. Nous n’y serons pas forcément les meilleurs et, en tout cas, quand nous faisons tout cela, il nous reste à faire le plus difficile : annoncer l’incroyable et le délirant. Mais pour passer à ce niveau du témoignage, il nous faut quitter le terrain d’une religion naturelle de la générosité et des bons sentiments, où nos seules forces suffisent. Il nous faut annoncer Jésus-Christ mort et ressuscité et cette annonce, comme sa réception, n’est plus simplement affaire de générosité spontanée ou éduquée : elle est affaire de Dieu lui-même en son Esprit-Saint. C’est pourquoi les apôtres n’atteindront la plénitude de la foi qu’en recevant l’Esprit-Saint à la Pentecôte. Et c’est pourquoi ils ne deviendront vraiment témoins du Christ que par la puissance de cet Esprit.
3. Vers la foi au Ressuscité.
Si le Christ n’a pas vraiment été ressuscité, s’il n’a pas été relevé d’entre les morts, alors notre foi est illusoire et nous sommes les plus malheureux de tous les hommes, comme nous le dit saint Paul (1 Cor. 15, 17-19). Mais comment croire à ce qui est incroyable et délirant ? Comment l’intelligence peut-elle entrer un instant dans cette adhésion inimaginable ? Nous ne pouvons pas nous contenter de croire parce que nous en avons besoin, nous devons justifier notre foi devant notre intelligence et devenir capables d’en rendre compte devant tout esprit humain.
C’est pourquoi nous avons entendu ce soir un résumé, même s’il vous a paru long, de toute l’histoire du salut. C’est un abrégé des principaux épisodes de l’action de Dieu dans l’histoire des hommes, depuis la création et l’alliance avec Abraham en passant par la libération de l’esclavage en Égypte et toutes les prophéties sur la vie que Dieu veut donner à son peuple : eau vive et nourritures grasses, sagesse et commandements pour la vie, etc.
Toute cette histoire de l’alliance entre Dieu et Israël, son Peuple élu, est comme une longue pédagogie pour faire comprendre à l’humanité le but ultime de l’action de Dieu, inscrite dès les origines : il veut la vie de l’homme et il veut lui donner les moyens de cette vie. Et ce projet est accompli dans la victoire du Christ sur la mort.
C’est en s’appuyant sur cette pédagogie que Pierre va annoncer la résurrection au jour de la Pentecôte pour des auditeurs familiers de l’histoire sainte d’Israël. Mais nous sommes de la descendance des disciples du Christ, nous avons mieux encore que l’annonce prophétique du salut pour nous convaincre. Nous avons la réalisation. Nous voyons les fruits de l’action de l’Esprit-Saint dans la vie des baptisés confirmés qui rendent témoignage à l’amour de Dieu pour les hommes à travers leurs pauvres existences.
Nous savons que l’histoire de l’amour de Dieu ne nous trompe pas parce que nous voyons des hommes et des femmes, conduits par cet amour, mettre le service de Dieu et de leurs frères au-dessus de tout autre objectif. Ils renoncent à la richesse, à la puissance et au plaisir de l’affection partagée pour vivre plus intimement unis au Christ et poursuivre dans l’Église la mission confiée aux disciples. Prêtres, religieux et religieuses, ils sont les témoins de la radicalité de la foi. Ils doivent l’être, ils essaient de l’être.
Nous voyons aussi des hommes et des femmes, animés par la force de l’Esprit-Saint, vivre la fidélité à l’amour de Dieu à travers les circonstances banales d’une existence commune, dans le travail où ils s’efforcent de servir la société et dans la vie de famille où ils font le choix de la fidélité définitive à la parole donnée. En divers pays du monde, en notre XXIe siècle, nous voyons des chrétiens préférer l’hostilité, l’injure, les tracasseries et les persécutions plutôt que de renier le Christ, nouveaux martyrs des temps modernes.
Oui, l’Esprit du Christ, la puissance du Christ vainqueur de la mort, est à l’œuvre aujourd’hui en notre monde. Il continue à agir et à combler ces hommes et ces femmes de la puissance de sa lumière et de sa force. Vous qui allez devenir de nouveaux chrétiens, vous allez recevoir cette force de l’Esprit du Christ.
Je ne peux pas vous promettre que tout ira mieux pour vous, que vous ne rencontrerez pas des difficultés et des épreuves. Je vous mentirais en vous cachant ce que le Christ a promis à ses disciples : « les familles seront déchirées, le frère livrera son frère, vous serez traduits devant les tribunaux, etc. Le serviteur n’est pas au-dessus de son maître, ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront. » Ce que je peux vous promettre, -et ce dont témoigne la vie des chrétiens à travers les lieux et les temps de l’histoire-, c’est que dans ces épreuves imprévisibles vous ne serez jamais seuls. Le Christ ressuscité est avec vous pour toujours jusqu’à la fin des temps.
Frères et sœurs, nous qui sommes baptisés et confirmés depuis de longues années, c’est de cela que nous sommes appelés à témoigner devant ces sœurs et ces frères qui choisissent de suivre le Christ. Non seulement nous ne regrettons pas d’avoir été baptisés, mais nous en sommes heureux et nous sommes dans la joie de pouvoir renouveler les engagements de notre baptême, comme nous avons été heureux de recevoir le pardon de Dieu dans le sacrement de la Réconciliation. Nous sommes témoins que le mépris, l’indifférence, la haine, la violence, l’âpreté au gain, la convoitise de posséder les choses et les personnes ne sont pas les clefs du bonheur ni sur cette terre ni dans l’éternité. Comme la mort a été vaincue dans le Christ, elle est vaincue en nos vies. Comme le péché a été cloué sur le bois, notre péché est pardonné et nous vivons dans la paix et la sérénité de ceux qui ont mis leur espérance en Dieu. Elle ne sera pas déçue !
+ André cardinal Vingt-Trois
Archevêque de Paris