Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Ordinations presbytérales et diaconales de trois diacres et trois prêtres des Missions Etrangères de Paris
Samedi 8 janvier 2011 - Cathédrale Notre-Dame de Paris
Comme Jean Baptiste pour le Christ, les prêtres sont les amis de l’époux. Comme le Christ ils sont envoyés pour partager le tout de la vie de ceux à qui ils annoncent l’Evangile du Salut pour tous les hommes.
– 1 Jn 5, 14-21 ; Ps 149, 1-6.9 ; Jn 3, 22-30
Donatien, Guillaume, Emmanuel, Etienne, Guillaume et Philippe, nous sommes heureux de partager aujourd’hui votre joie. Car la joie qui vous habite n’est pas simplement la satisfaction d’atteindre un but que vous vous seriez fixé. Elle est même plus que la paix de celui qui répond à l’appel de Dieu après l’avoir perçu et discerné. Votre joie est la joie de l’Église, celle de Jean-Baptiste, celle de l’ami de l’époux qui ne cherche pas à lui faire concurrence et trouve son bonheur à s’effacer devant Jésus au moment où il entre dans la phase active de son ministère. Les disciples de Jean étaient-ils moins éclairés, ou plus près de leurs prérogatives ? Ils se montrent en tous cas un peu froissés de voir que celui que Jean annonçait était en train de prendre la place de leur maître. Ils auraient bien voulu que les choses soient un peu recadrées. Ainsi, dans ces commencements de la mission du Christ, nous percevons déjà quelques frottements, qui annonçaient que la mission de l’Église à travers le monde et à travers les siècles ne serait jamais tout à fait exempte des petites susceptibilités humaines.
L’Evangile nous montre comment Jean-Baptiste corrige cet amour-propre de ses disciples en définissant à nouveau sa propre mission et la manière dont elle va s’accomplir : « Il faut que le Christ grandisse et que moi je diminue » (Jn 3, 30). Jean-Baptiste trouve la plénitude de sa joie dans la mesure où il se fait lui-même le serviteur. Le compagnon de l’époux ne cherche pas la première place mais celle du collaborateur pour le succès de la noce. Il est en quelque sorte le garçon d’honneur de cette alliance où le Christ s’unit à l’humanité.
Tous les six, vous allez partir en mission dans des pays lointains, comme serviteurs de l’annonce de l’Evangile. Vous serez témoins de sa vitalité et de sa puissance à travers le temps et l’espace. Mais vous allez d’abord partir comme serviteurs de l’époux. Vous êtes envoyés pour permettre à des hommes et à des femmes d’entrer en communion avec la personne de Jésus-Christ. Comme nous le rappelait la première épitre de Jean, c’est lui qui nous fait connaitre la vérité (1 Jn 5, 29) : la vérité sur Dieu d’abord, puisqu’il nous révèle vraiment qui est le vrai Dieu ; mais aussi la vérité sur l’homme. Jésus nous donne accès à la plénitude de la vocation humaine, à l’authenticité du chemin par lequel nous sommes appelés à entrer en communion avec le Père.
Le Christ nous dévoile le dessein de Dieu en faveur de cette humanité mystérieuse, tellement diversifiée et « étrangère ». Votre mission n’est pas étrangère d’abord parce que vous partez loin, mais parce que vous êtes témoins d’une Parole qui est vraiment une nouveauté dans ce monde. Ce que vous annoncez n’est pas simplement le produit d’une culture ou d’une civilisation, ou encore un héritage reçu des ancêtres. Vous êtes envoyés témoigner de ce que Dieu est venu partager l’existence humaine, qu’il a voulu vivre personnellement comme un homme. La révélation de Dieu n’est pas l’objet d’un discours ou d’un livre mais la rencontre d’une personne.
Des religions et des sagesses, vous en avez déjà rencontrées lors de vos séjours dans les différents pays où vous avez pu rendre service. Vous en rencontrerez probablement d’autres, et je sais que les futurs diacres commencent à supputer quelles sagesses ils croiseront et sont impatients de savoir quel sera leur billet d’avion ! Mais quelle que soit votre destination, vous savez que là où vous allez, il y a une ou plusieurs religions, un héritage, une sagesse et des écrits. Mais vous n’allez pas partir pour faire une étude comparée de ces textes avec le texte biblique. Vous ne serez pas représentants d’un livre face à d’autres livres. Vous n’appartenez pas à la religion d’un livre mais à celle d’une personne, une personne qui est Dieu, et qui nous a aimés au point de venir partager notre propre existence.
A l’heure d’internet, de la communication ultrarapide, de la mondialisation de la culture et des interférences entre les univers, quel sens peut-il y avoir à envoyer quelques hommes à l’autre bout de la terre ? Qu’est-ce que cela peut changer à l’équilibre du monde ? Ne serait-il pas mieux de les inviter à vivre leur ministère dans les montagnes de France où il manque tant de prêtres ? Ne serait-il pas plus sage qu’ils restent dans leur Église pour y entretenir la flamme avec zèle et pour susciter un esprit missionnaire dans des régions où la connaissance du Christ devient une originalité ? Et que vont-ils faire dans des pays où, grâce au travail de leurs prédécesseurs, il y a maintenant un clergé et une hiérarchie autochtones, des chrétiens responsables et nombreux, qui ont montré leur capacité de témoigner du Christ à travers les épreuves des décennies et des siècles écoulés ? A-t-on besoin d’eux pour annoncer qu’il y a quatre évangiles à l’autre bout du monde ?
Il me semble qu’ils vont tout simplement montrer qu’ils sont les amis de l’époux et que, comme l’époux, ils viennent partager l’existence d’une population dans un pays. Au cours de vos différentes années de service, vous avez pu vivre avec ces peuples pour quelques mois, ou même pour un ou deux ans. Mais vous n’étiez pas là pour toujours, vous repartiez. Maintenant, vous allez devenir membres d’une Église particulière, vous allez devenir l’un de ses prêtres. Ainsi, vous manifesterez que la Parole de Dieu n’est pas une idéologie ou un livre, mais qu’elle est une parole de chair et de sang qui se livre à travers des hommes qui acceptent de venir se faire l’un de ceux auxquels cette parole s’adresse, qui se donnent pour toujours, jusqu’à la fin.
Vous n’exercerez certainement pas votre ministère dans les formes que nous connaissons ici, mais selon la manière, j’allais dire traditionnelle et ordinaire, du ministère sacerdotale dans l’Église catholique : vous rendrez sacramentellement présent le Christ, vrai Dieu et vrai homme, pleinement Dieu et pleinement homme. Par votre ministère, la plénitude de sa divinité va devenir quelque chose de l’humanité des gens auxquels vous êtes envoyés et dont vous partagerez l’existence. Le Christ est venu chez les hommes, il est venu prendre corps dans notre histoire humaine. Il ne l’a pas fait simplement une fois au début du premier millénaire, mais de façon continue à travers la présence vivante de son Église au milieu du monde.
C’est notre joie d’être pour les hommes les témoins du Christ vivant, seul médiateur entre Dieu et les hommes et seul Sauveur : « il n’y pas d’autre nom sous le ciel par lequel nous puissions être sauvés » (Ac 4, 12). C’est aussi la joie et la grâce de notre Église dans sa pauvreté, ses questions et ses épreuves, de voir certains de ses fils partir pour exercer la mission universelle, tout comme nous nous réjouissons d’accueillir chez nous des prêtres d’autres pays qui nous manifestent que la foi chrétienne n’est pas simplement une spécificité nationale, occidentale, ou orientale mais qu’elle est Parole universelle de Dieu pour tous les hommes.
Frères et sœurs, au moment où nous entourons nos frères qui vont s’engager dans le presbytérat et dans le diaconat et où nous participons à la joie qui est la leur de collaborer à la mission de l’époux, nous sommes peut-être un peu secoués à la pensée qu’ils vont partir et qu’ils vont partir si loin. Certes, cela n’a rien à voir avec ce qu’était les départs des missionnaires du XVIIIe ou du XIXe siècle, ces hérauts qui n’étaient jamais sûrs d’arriver au bout du voyage aller. Nous sommes aujourd’hui dans une situation où le définitif est tempéré par des allers et retours de temps en temps ! Mais enfin, leur vie va être ailleurs, elle ne va plus être ici.
Donner sa vie pour toujours : c’est ce que beaucoup d’entre-nous ont vécu, vivent et vivront par l’engagement du mariage, en se donnant définitivement l’un à l’autre par-delà les particularités de chacun. Ils manifestent ainsi qu’il y a dans le don d’amour un absolu sur lequel on ne revient pas. C’est aussi ce que nous vivons avec joie et confiance quand nous sommes baptisés dans le Christ, confirmés dans l’Esprit-Saint pour devenir à notre tour des témoins de la Bonne nouvelle. En priant pour ces nouveaux prêtres et ces nouveaux diacres, nous prierons aussi pour la fécondité de notre Église. Nous prierons pour tous les hommes, jeunes ou peut-être un peu moins jeunes, qui ont été appelés : ceux qui ont répondu à cet appel et qui sont autour de moi, mais aussi et surtout tous ceux qui n’ont pas encore répondu à cet appel, ceux qui s’interrogent, qui doutent, qui hésitent, qui redoutent le côté définitif de l’engagement, et dont la générosité est sollicitée. Alors aujourd’hui, comme ces six qui vont s’engager définitivement, remettez-vous devant Dieu et dites-lui avec sincérité et avec simplicité : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? », et faites-le !
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris