Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Vigile Pascale 2011
Vigile Pascale 23 avril 2011 - Cathédrale Notre-Dame de Paris
La victoire du Christ sur la mort passe par les évènements de sa Passion. La vie que nous recevons dans le baptême et dont nous devenons témoins par la confirmation n’est pas la mise en œuvre de vagues « valeurs chrétiennes », mais la conformation au Christ mort en donnant sa vie et ressuscité dans la gloire du Père.
– Mat. 28, 1-10
La mort vaincue
1. La victoire sur la mort
Frères et Sœurs,
L’ange est assis sur la pierre qui fermait le tombeau du Christ. Il a roulé la pierre et il s’est assis dessus, symbole de la victoire de Dieu sur la mort. Il est le signe de la puissance divine devant ce qui est le drame de l’histoire humaine. Cette histoire, l’Écriture nous en donne un vaste panorama dont nous avons parcouru quelques étapes par les lectures que nous venons d’entendre. Depuis la création de l’homme, jusqu’aux dernières prophéties, la Bible nous propose non seulement une chronique des grands événements qui ont marqué l’histoire du Peuple d’Israël, mais elle nous en donne une lecture éclairée par la foi. À travers les récits des événements produits par la force aveugle des éléments déchaînés ou par les luttes des peuples, un message nous est sans cesse répété de différentes manières. Ce message le voici : Dieu est un Dieu de vie et d’alliance. Il a voulu que l’homme vive et qu’il connaisse la vigueur et la fidélité de son amour à travers les siècles, son amour éternel. Ce message que nous venons de méditer à nouveau a été pour toutes les générations d’Israël une promesse d’espérance. Il l’est encore pour nous qui l’entendons aujourd’hui. Car aujourd’hui encore la mort est toujours bien présente à l’expérience humaine.
Le monde entier retentit toujours de bruits de mort. Bruits de mort des guerres qui ensanglantent les peuples d’Asie Centrale et du Moyen-Orient, des guerres civiles d’Afrique. Bruits de mort du terrorisme partout où des peuples désespérés ne voient plus de salut que dans des luttes suicidaires, mais aussi là où des groupes minoritaires incapables de convaincre démocratiquement de leur cause cherchent à s’imposer par la violence et le meurtre. Bruits de mort des crimes délirants dont notre pays a encore été témoins ces jours-ci à Nantes. Bruits de mort des catastrophes naturelles comme le séisme du Japon. Si la mort est un sujet tabou dans notre société, elle prend sa revanche et s’impose à nous de toutes manières.
Il est inutile de poursuivre ce tableau macabre. Nous le savons la mort est une réalité bien présente à l’histoire des hommes de tous les temps et de tous les pays. Chaque être humain de notre terre est marqué dès sa naissance par la certitude qu’il est promis à mourir. Cette nuit nous célébrons la résurrection du Christ et nous sommes tout à la joie de sa victoire sur la mort. Mais comment comprenons-nous cette victoire ? Ne sommes-nous pas tentés d’y voir parfois comme la promesse d’échapper à la loi commune de la mort ? La résurrection du Christ n’est pas une échappatoire. Elle n’est pas une victoire sur l’apparence de la mort, sur une idée de la mort ou sur nos peurs de la mort. Jésus de Nazareth est vraiment mort sur la Croix. Il a vraiment été enterré et tous les siens ont bien pensé que tout était fini, comme le diront les disciples d’Emmaüs sur le chemin du retour qui les éloigne de Jérusalem et les ramène vers leur vie antérieure. C’est ainsi que nous pouvons comprendre la stupéfaction et la crainte des soldats et des femmes devant le tombeau ouvert et vide.
La réalité historique des événements qui ont marqué la vie de Jésus et, particulièrement, son procès, sa Passion et sa mort, ne sont pas des détails anecdotiques qui ne changeraient rien à un message évangélique capable de séduire beaucoup de monde. Ce serait une erreur de notre part de transformer les évangiles en une sorte de recueil de sagesse, de nous attacher à un soi-disant esprit évangélique ou de n’y voir qu’une réserve de valeurs disponibles pour les bons esprits. Tout cela peut être intéressant, attrayant peut-être, mais cela ne fait pas le poids devant la mort, la mort dans l’humanité, la mort de chaque femme et de chaque homme de notre espèce, notre mort. Le salut ne vient pas de valeurs, même évangéliques, ni d’un esprit, même évangélique. Il vient d’une personne : Jésus de Nazareth, de la manière dont il a vécu sa vie d’homme dans la fidélité absolue à Dieu jusqu’à donner sa vie. La seule victoire authentique sur la mort, c’est l’amour qui se donne et la vie qui se livre par amour.
C’est pourquoi les récits des premiers témoins sont tellement déterminants pour notre foi chrétienne. A travers eux, c’est la réalité des événements qui nous est attestée et c’est à cette réalité que nous croyons. Notre foi ne va pas d’abord à un art de vivre parmi d’autres sagesses. Elle ne s’appuie pas sur des grands sentiments généreux. Elle vise exclusivement une personne : Jésus de Nazareth, mort et ressuscité, glorifié par le Père. C’est à cette personne que nous croyons, ce sont les événements de sa vie et les paroles qui les éclairent qui sont une lumière pour notre vie.
2. Baptisés dans le Christ
Ce soir plus de trois cent cinquante adultes vont être baptisés dans le diocèse de Paris. Cinq d’entre eux, qui appartiennent à la paroisse Notre-Dame de Lorette, vont entrer ici même dans la vie chrétienne par les sacrements de l’initiation, le Baptême, la Confirmation et l’Eucharistie. Chacune et chacun d’entre eux ont parcouru un long chemin pour parvenir à la Profession de Foi qu’ils feront tout à l’heure. Pour certains, ce chemin a commencé dans d’autres lieux, dans d’autres communautés que la nôtre, mais c’est le même Seigneur qu’ils ont rencontré à travers le témoignage des chrétiens qu’ils ont connus. Les uns l’ont découvert dans leur famille, d’autres en faisant leurs études, d’autres encore à travers des expériences personnelles particulières. Tous, ils ont appris, au long de leur chemin de catéchumène, à connaître Jésus de Nazareth et à croire la réalité des événements rapportés par les évangiles à son sujet.
Vous le savez mes chers amis, être baptisé dans le Christ, ce n’est pas simplement ajouter quelques valeurs nouvelles à l’arsenal de votre sagesse ancienne. Ce n’est pas simplement non plus faire un pas de plus dans la logique et la cohérence d’un cheminement personnel. C’est vraiment naître à une nouvelle vie. Et cette naissance passe par une mort. De même que la victoire du Christ sur la mort est passée par le don qu’il a fait de sa vie, de même notre naissance à la vie chrétienne passe par notre mort à notre ancienne manière de vivre. Saint Paul nous le disait tout à l’heure : « Si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui. Nous le savons en effet : ressuscité d’entre les morts, le Christ ne meurt plus ; sur lui la mort n’a plus aucun pouvoir. Car lui qui est mort, c’est au péché qu’il est mort une fois pour toutes ; lui qui est vivant, c’est pour Dieu qu’il vit. » (Rom. 6, 8-10).
Vous portez encore l’écharpe violette du pénitent, le signe de votre ancienne vie. Quand vous serez baptisés, cette écharpe vous sera ôtée en signe de l’abandon de votre péché et vous recevrez le vêtement blanc, signe de la vie nouvelle à laquelle vous êtes engendrés ce soir. Désormais, c’est pour Dieu que vous vivrez.
3. Confirmés dans l’Esprit-Saint.
De cette vie nouvelle, vous avez déjà quelque connaissance à travers votre cheminement et à travers la vie des chrétiens que vous avez rencontrés. Vous avez pu en mesurer la puissance, vous avez pu aussi constater combien nous sommes faibles pour la vivre pleinement et en donner un témoignage ouvert. Vous savez que vous n’êtes pas meilleurs que vos frères et que là où nous peinons à suivre le Christ, vous peinerez vous aussi. Porter témoignage de l’œuvre de Dieu pour les hommes, n’est pas un défi que nous pourrions nous donner à nous-mêmes. C’est une mission que nous recevons du Christ comme les disciples l’ont reçue, par le don de l’Esprit-Saint. C’est pourquoi votre baptême se parachève par le don de l’Esprit-Saint que vous recevrez dans la confirmation, comme d’autres chrétiens baptisés depuis longtemps le recevront à la Pentecôte.
Entrés dans la vie nouvelle avec le Christ ressuscité, vous recevrez la plénitude des dons de l’Esprit pour être constitués comme témoins de la foi dans chacune de vos existences et dans tous les domaines de votre vie. Suivez l’appel de saint Paul : « Quoi que vous fassiez, que vous mangiez que vous buviez, faîtes tout pour la gloire de Dieu. » (I Cor.10, 31) Alors vous pourrez prendre pleinement votre place dans cette Eglise qui est désormais votre famille et vous approcher de la table du festin où le Christ lui-même se donne à nous en nourriture et en boisson : pain de la vie et coupe du salut.
Et nous tous, mes frères, en cette nuit très sainte, nous sommes invités non seulement à être témoins du baptême, de la confirmation et de la communion de nos nouveaux frères et sœurs. Nous sommes invités à renouveler aussi les engagements de notre baptême et de notre confirmation. Après avoir demandé aux futurs baptisés s’ils croient à la foi de l’Eglise dans laquelle ils souhaitent entrer, je vous demanderai à vous aussi de renouveler cette profession de foi dans une démarche personnelle en répondant : JE CROIS. Je verserai sur vous l’eau vive qui rappellera votre propre baptême, dont vous avez pu retrouver la force initiale par le sacrement de la Réconciliation. Pour nous tous, c’est un nouveau départ dans la vie chrétienne, un renouveau de la puissance de l’Esprit dans un cœur renouvelé.
Alors, nous pouvons entendre la parole du Christ adressé aux saintes femmes : « Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu’ils doivent se rendre en Galilée : c’est là qu’ils me verront. » (Mat. 28, 10).
Amen
+André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris