Homélie du cardinal André Vingt-Trois lors de la messe avec les pèlerins et les jeunes du diocèse de Paris venus pour la Béatification du Pape Jean Paul II – Deuxième dimanche de Pâques – Année A
Samedi 30 avril 2011, A Rome, en la Basilique Saint-Jean de Latran
L’évangile du dimanche de la miséricorde fait contempler le don de l’Esprit aux apôtres pour qu’ils soient ministres du pardon des péchés. Il manifeste aussi que notre foi ne repose pas sur une expérience sensible mais sur la confiance que nous faisons dans la parole de l’Eglise portée dans l’Esprit-Saint.
– Ac 2, 42-47 ; Ps 117, 1.4.13-14.19.21-25 ; 1 P 1, 3-9 ; Jn 20, 19-31
Frères et Sœurs,
C’est une grâce toute particulière de célébrer cette eucharistie dans la cathédrale de l’évêque de Rome. Demain, nous participerons à la messe que Benoît XVI présidera devant la Basilique Saint-Pierre, qui est, d’une certaine façon une cathédrale universelle. Ici nous sommes chez le Pape, évêque de Rome, et nous célébrons en communion avec lui, et avec son prédécesseur bien aimé Jean Paul II qui nous a motivés à quitter le confort de notre week-end du 1er mai pour venir le vivre à Rome. Je vous souhaite à tous la bienvenue, aux jeunes qui ont réussi à percer les barrages, aux moins jeunes qui sont là depuis un peu plus longtemps, à ceux de Paris et à ceux d’ailleurs. Tous ensembles, ce soir comme demain la foule innombrable, nous composons la partie visible du Corps du Christ rassemblé pour louer le Seigneur.
Je vous propose de retenir trois messages de cette apparition du Christ Ressuscité dont nous venons d’entendre le récit dans l’évangile de saint Jean.
Le don de l’Esprit pour le pardon des péchés
Le premier don que Jésus ressuscité fait aux disciples est celui de l’Esprit-Saint : « Il répandit sur eux son souffle et il leur dit : ‘recevez l’Esprit Saint’ » (Jn 20, 22). Dans l’évangile de saint Jean, il n’y a pas de récit de la Pentecôte, comme dans les Actes des Apôtres. L’évangéliste nous invite à contempler la plénitude du mystère pascal du Christ depuis la croix jusqu’à sa glorification au ciel dans les récits de la Passion et des apparitions après sa résurrection. L’Esprit-Saint répandu dans le cœur des disciples par le don que Jésus leur fait lui-même est celui des commencements, la source initiale de toute création et du don de la vie à l’humanité dans la surabondance de l’amour de Dieu. C’est le souffle de l’Esprit de Dieu qui accompagne Israël au long des âges, celui qui est descendu sur Jésus au moment de son baptême sous la forme d’une colombe.
C’est cet Esprit que nous avons reçu quand nous avons été marqués par l’onction du Saint-Chrême lors de notre baptême et de notre confirmation pour devenir identiques au Christ Sauveur, Serviteur de Dieu parmi les hommes. Ce même Esprit continue à susciter dans le cœur de l’Église toutes sortes de dons divers, que l’on appelle charismes. Si vous avez le temps en rentrant par le train, vous pourriez allez lire la Première épitre de saint Paul aux Corinthiens, qui nous donne une liste assez longue des charismes répandus par Dieu dans l’Église, avec une classification et une clef de discernement (1 Co 12 et 13). Ces charismes sont vivants dans l’Église aujourd’hui à travers les hommes et les femmes qui sont consacrés tout entiers pour l’annonce de l’Évangile, à travers les hommes et les femmes qui donnent le signe de l’alliance inébranlable de Dieu avec l’humanité dans le mariage, à travers tous ceux et toutes celles qui se laissent conduire pour se mettre au service de leurs frères.
Mais le charisme particulier, le don que Jésus fait à ses apôtres, n’est pas simplement une spécialité à l’intérieur des autres missions dans l’Église. Il leur confie la charge d’être ministres de la miséricorde. Comme lui-même il les a réconciliés avec Dieu par le don de sa vie, ils reçoivent la mission d’être acteurs de cette réconciliation. Dans la salutation qu’il leur adresse (« la paix soit avec vous » (Jn 20, 19)), nous reconnaissons la manière familière de se saluer entre les Juifs, encore aujourd’hui. Mais nous savons que Jésus transmet par là un message beaucoup plus fort : la paix qu’il donne n’est pas celle que le monde donne, mais la paix de Dieu, la réconciliation que Dieu offre à tous ceux qui veulent convertir leur vie.
Jésus leur donne donc cette paix, non pas simplement comme un cadeau dont il pourrait profiter tout seul, mais comme une mission : « De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. » (Jn 20, 21). Il fait de ses apôtres des ministres de la réconciliation « Recevez l’Esprit Saint, tout homme à qui vous remettrez ses péchés ils seront remis ; tout homme à qui vous maintiendrez ses péchés, lui seront maintenus » (Jn 20, 23).
Jean Paul II a voulu faire de ce deuxième dimanche de Pâques le dimanche de la divine miséricorde. A travers ces paroles du Christ aux disciples dans l’évangile que nous entendons aujourd’hui s’exprime en effet la volonté de Dieu de se réconcilier tous les hommes et de réconcilier les hommes entre eux. Ce ministère est confié aux disciples et devient donc la caractéristique de leur mission. A l’occasion de ce pèlerinage, vous pourrez toutes et tous recourir à ce ministère de la Réconciliation auprès des prêtres qui vous accompagnent et qui sont investis de l’Esprit Saint pour pardonner, pour être ministres de la miséricorde.
Nous croyons parce que nous faisons confiance à la Parole des Évangiles
Ce récit nous partage aussi l’expérience de Thomas. Celui-ci n’était pas là quand le Christ est venu le soir de la résurrection et il ne croit pas. Vous connaissez ses paroles : « si je ne vois pas … je ne croirai pas ! » (Jn 20, 25). Huit jours plus tard, Jésus revient et invite Thomas à voir et à toucher. « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d’être incrédule, sois croyant » (Jn 20, 27). Puis il ajoute : « Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. » (Jn 20, 29). Et l’évangéliste poursuit pour que nous comprenions le sens de ces paroles de Jésus : « Il y a encore beaucoup d’autres signes que Jésus a faits en présence des disciples et qui ne sont pas mis par écrit dans ce livre. Mais ceux-là y ont été mis afin que vous croyiez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu, et afin que, par votre foi, vous ayez la vie en son nom. » (Jn 20, 30-31).
Nous sommes les bienheureux qui croyons sans avoir vu ! Aucun d’entre-nous n’a jamais vu le Christ Ressuscité, et ici-bas, aucun d’entre-nous ne le verra. (Ce n’est pas la peine de vous fatiguer à le demander, il ne vous apparaîtra pas !) Nous croyons sans avoir vu. C’est le signe de la confiance extraordinaire qui nous est donnée envers Dieu. Et en même temps, c’est une source de trouble permanent, car nous n’avons pas de moyens de vérifier comme pour Thomas qui est invité à toucher les mains et le côté du Christ. Mais c’est bien là ce qui est constitutif de notre démarche de foi : elle ne s’appuie pas sur une expérience sensible que nous aurions faite, mais sur le témoignage des apôtres, sur ce que les évangiles nous disent de Jésus, sur « ces signes qui ont été racontés pour que vous croyez que Jésus est le Messie, le Fils de Dieu » (Jn 20, 31).
Ce témoignage est pour nous le seul fondement et la seule garantie de l’authenticité de notre foi. C’est pourquoi la question de la vérité du témoignage est une question décisive pour nous tous. Si nous doutons que l’Église est instituée par le Christ, si nous ne croyons pas que le ministère apostolique est porté par le don de l’Esprit, si nous ne pouvons pas faire confiance à la charge d’enseignement confiée aux apôtres, aux évêques successeurs des apôtres et à leurs collaborateurs, alors nous avançons comme si nous avions les yeux bandés. Bien-sûr, nous pouvons avoir légitimement quantité de questions, de doutes, de critiques ou même d’irritations. Tout cela fait partie de la vie chrétienne. Mais nous ne pouvons pas avancer si nous ne faisons pas confiance à la parole de l’Église qui repose sur le don de l’Esprit.
Durant ses vingt-sept années de pontificat, Jean Paul II a voulu d’abord et avant tout conforter et nourrir la foi des chrétiens et donner à travers son ministère et sa présence, le signe de la confiance que l’on peut et que l’on doit faire à l’Église. Toute la vie de l’Église, toute sa mission, tout le don de l’espérance dont elle dispose pour le monde, repose sur ce pacte de confiance absolu dans le don que Jésus fait de son Esprit à ses apôtres, pour qu’ils conduisent le peuple de Dieu. Au cours de l’histoire de l’Église, chaque fois que des chrétiens ont voulu mettre ce pacte en cause, ils ont contribué à l’affaiblissement de la foi chrétienne et de l’Église. Même si leurs intentions pouvaient avoir du bon, ils ont choisi un moyen autodestructeur.
Nous recevons tous une part de cette mission
Si la mission de l’Église est de garantir la vérité et la solidité de ce témoignage, chacune et chacun d’entre-nous reçoit une part de cette mission. Tous ceux que le Christ a consacrés dans son Esprit pour constituer le peuple sacerdotal deviennent à leur tour non seulement témoins mais aussi garants de la foi. Cela signifie que nous ne pouvons pas nous taire et faire comme si c’était l’affaire des autres. Comme saint Pierre nous y invite, nous devons rendre simplement témoignage dans l’Esprit Saint, parce que « sans le voir, nous croyons, sans le voir nous l’aimons et nous exultons de joie parce que nous sommes sûrs de sa parole » (1 P 1, 6, 8-9).
Comme nous l’avons fait au cours de la Vigile pascale, et alors que vous vous préparez à participer à la béatification de Jean Paul II, cette grande fête de l’Église, je vais vous inviter à renouveler ensemble la profession de foi de votre baptême. Chacun de nous pourra répondre « je crois », non pas parce que nous sommes sûrs de nous, mais parce que nous sommes sûrs de Dieu. Je ne crois pas parce que je suis un bon croyant. Je crois parce que Dieu ne peut ni se tromper ni nous tromper, et qu’il met à notre disposition tous les moyens dont nous avons besoin pour nous fier à sa Parole. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris