Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe du 7ème dimanche de Pâques - Année A
Dimanche 5 juin 2011 - Cathédrale Notre-Dame de Paris
Au moment où il passe vers le Père, Jésus prie pour que le groupe des douze, et à travers eux pour l’Eglise au cours des siècles. Il demande pour eux une foi qui ne défaille pas devant les difficultés, afin qu’ils annoncent sans faillir le nom du Christ, par lequel les hommes accèdent à Dieu et à la vie éternelle.
Ac 1, 12-14 ; Ps 26, 1.4 7-8 ; 1 P 4, 13-16 ; Jn 17, 1b-11a
Frères et Sœurs,
Au moment où Jésus passe de ce monde à son Père, la liturgie oriente notre regard vers le groupe de ses disciples rassemblés dans la chambre haute, à l’étage de la maison (Ac 1, 13). Ils se tenaient tous ensemble d’un seul cœur et participaient à la prière avec Marie et quelques autres femmes et avec les frères de Jésus (Ac 1, 14). Ce groupe encore minuscule est le premier noyau de l’Eglise chargé d’annoncer l’Evangile au monde entier. Il figure en même temps le Peuple que Jésus constitue autour de lui et aujourd’hui répandu par Dieu sur toute la terre.
Ce soir, nous sommes rassemblés dans cette cathédrale avec Marie, la mère de Jésus. Ensemble, nous prions, comme nous le faisons chaque dimanche, pour faire mémoire de la mort et de la résurrection du Christ, de son exaltation auprès du Père et dans l’espérance de son retour glorieux. Il est bon pour notre Eglise de fixer souvent notre regard sur cette chambre haute où tout « se met en route », de s’associer spirituellement à la prière des apôtres, d’attendre avec foi la venue de l’Esprit, et d’entendre cette prière que Jésus adresse au Père au moment de quitter les siens, rapportée par le chapitre 17 de l’évangile selon saint Jean. Celle-ci définit en effet la véritable nature et le statut spirituel de ce groupe apostolique, de ceux pour lesquels Jésus prie.
Jésus ne les considère pas comme des hommes auxquels il aurait fait appel au hasard de ses déplacements, ou dont il aurait accepté la candidature simplement par sympathie ou par besoin. Il reconnait en eux ceux que le Père lui a donnés. Comme nous le voyons dans les évangiles synoptiques, l’appel que le Christ adresse aux disciples n’est pas une décision aléatoire de Jésus. Cet appel est un acte divin dans lequel Jésus de Nazareth, Fils unique de Dieu, est profondément uni au Père et agit en communion totale avec Lui. Ceux qu’il appelle, ceux qu’il entraîne à sa suite, ceux à qui il confie quelques missions préparatoires, avant de leur imposer les mains et de les charger du ministère de la réconciliation, sont ceux que Dieu lui a donnés : « Ils étaient à toi et tu me les as donnés, ils ont gardé fidèlement ta parole » (Jn 17, 6). Les douze sont choisis par Dieu lui-même, y compris celui qui trahira et ne sera plus présent au moment de l’Ascension. Ils sont en quelques sortes consacrés par Dieu pour recevoir dans le Christ la connaissance du Nom de Dieu. En l’accueillant, nous dit l’Evangile, c’est Dieu lui-même qu’ils accueillent, et c’est pourquoi ils entrent dans la vie éternelle qui est de « connaitre le seul Dieu, le vrai Dieu et celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ » (Jn 17, 3).
Cet appel de Dieu lui-même est au fondement du ministère des apôtres, choisis et envoyés pour annoncer la Parole et y consacrer le meilleur de leurs forces. Mais nous découvrons en même temps, qu’à travers ce ministère d’annonce de la Parole, les apôtres offrent à ceux qui en sont les bénéficiaires, la possibilité et la grâce de pénétrer la vie même de Dieu. Il n’y a pas de véritable salut et de vie éternelle possible sans que, de quelque façon le cœur, l’intelligence et la liberté de l’homme connaissent et reconnaissent Dieu, l’unique et le vrai Dieu. La mission de l’Eglise n’est donc pas de rappeler l’épopée mystique du Christ, mais de prolonger l’efficacité de sa mission dans le monde. C’est pourquoi nous ne pouvons prendre de repos tant que des hommes et des femmes sont tenus à l’écart de la connaissance de Dieu et ne peuvent avoir accès à la vie éternelle à laquelle Il nous invite tous.
Cette prière de Jésus à son Père concerne aussi ses disciples. Jésus demande au Père qu’il accomplisse la promesse qu’il leur a faite de ne pas les laisser orphelins mais de leur envoyer l’Esprit-Saint. Il prie aussi pour qu’ils soient fidèles à la parole qu’ils ont reçue. La lecture de la première épître de Pierre évoque de façon discrète mais très réelle les tracasseries et même les persécutions dont les premiers chrétiens ont été très tôt victimes. L’Esprit Saint leur donne de tenir et d’assumer l’indifférence, le mépris, l’agressivité, l’hostilité, la violence ou la mort. C’est pourquoi l’apôtre peut leur écrire : « Réjouissez-vous toujours afin d’être dans la joie et l’allégresse quand sa gloire se révèlera » (1P 4, 13). L’un des signes incontournables de la communion à Dieu à laquelle nous sommes associés par le don de l’Esprit est cette capacité de demeurer dans la joie au milieu des adversités, non par indifférence, ni par gloriole, mais parce que nous savons qu’à travers ces épreuves nous communions aux souffrances du Christ. « Si c’est comme chrétien que l’on vous fait souffrir, n’ayez pas de honte et rendez gloire à Dieu à cause de ce nom de chrétien » (1P 4, 16).
Aujourd’hui beaucoup de chrétiens ont tendance à vivre leur attachement au Christ comme un particularisme qu’il conviendrait de cacher pour éviter les désagréments. Ils pensent qu’il faut être discret sur son appartenance à l’Eglise. Ou bien, s’ils ne vivent pas leur condition de chrétien dans l’Esprit du Christ, ils peuvent endurer avec tristesse ou colère le fait d’être mis à part ou montrés du doigt, à cause du choix libre qu’ils ont fait de suivre le Christ. Certes, nous sommes à part parce que nous sommes dans le monde sans être du monde. Mais le Christ prie pour nous, pour que nous soyons fidèles à la parole de Dieu en toute notre vie, pour que nous n’ayons pas honte du nom de chrétiens et pour que nous soyons dans la joie si, à cause de ce nom de chrétiens, nous sommes associés aux souffrances du Christ.
Frères et sœurs, en cette semaine où nous nous apprêtons à recevoir le don de l’Esprit, tournons-nous avec confiance vers Celui qui a prié pour ses disciples et qui prie pour nous comme il nous l’a promis. Il prie pour que nous soyons fidèles à la parole de Dieu et que, connaissant le vrai Dieu, nous vivions de la vie éternelle.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris.