Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe pour le 600e anniversaire de la naissance de Jeanne d’Arc
Dimanche 14 mai 2012 - En la basilique de Domrémy (Diocèse de Saint-Dié)
– Co 1, 26-31 ; Ps 15 ; Jn 15, 9-17
Pour trouver des hommes et des femmes pour accomplir son œuvre, Dieu cherche l’ouverture du cœur, l’attention intérieure à sa Parole, la pauvreté ou tout au moins le détachement qui rend libre. Si Jeanne avait dû défendre quelques hectares de terre, si elle avait dû se fier à ce que disaient les uns et les autres, si elle n’avait pas écouté les voix intérieures qui lui parlaient, elle ne serait jamais partie ! La première condition pour accomplir l’œuvre de Dieu, c’est la foi, la certitude que notre vie est conduite par Dieu et qu’il ne fait pas défaut à ceux qu’il appelle.
Beaucoup de nos contemporains ont des velléités de faire quelque chose pour le monde. Nous-mêmes, nous pouvons penser et espérer accomplir un peu de bien ici-bas. Nous sommes tous habités par des sentiments généreux, vigoureusement entretenus par la morale télévisée qui nous exhorte aux bons sentiments virtuels ! Mais la question n’est pas de savoir si nous serions capables de faire éventuellement quelque chose. Elle est de savoir comment nous répondons à cet appel, comment nous passons de l’idée généreuse à l’acte réel, comment nous allons des pensées de tolérance universelle à l’accueil de notre voisin, ou de la générosité affichée au partage très concret.
Seul un acte de confiance et de foi peut nous conduire des rêves à la réalité, ou de l’espérance d’un monde meilleur à la construction d’un monde meilleur. Cet acte de foi est lui-même enraciné et produit par l’amour que Dieu répand en nos cœurs. Pour se jeter au risque d’une vie aventureuse, pour quitter la sécurité de son village, pour se lancer sur le chemin des gens armés, pour se laisser entraîner dans le combat, il fallait que Jeanne soit animée par un amour très fort et très puissant. C’est cet amour que le Christ nous demande de nourrir les uns pour les autres. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12).
La mémoire historique garde de Jeanne la figure d’une héroïne célèbre, encore embellie par le romantisme du XIXe siècle. La mémoire chrétienne veut éviter de céder à la tentation de reconstruire l’histoire. C’est pourquoi elle s’actualise sans cesse, et puise dans l’exemple de la vie des saints la conviction que tout disciple du Christ est appelé à suivre ce chemin de sainteté et capable de le vivre. C’est pourquoi la célébration de sainte Jeanne d’Arc ne se réduit pas à la fête nationale, généreusement décrétée par les élus en 1920, même si les chrétiens honorent cette fête nationale et s’en réjouissent. Comment ne se réjouirait-on pas en effet que la République reconnaisse que notre nation a connu des épisodes glorieux antérieurs à 1789 ! ? Le consensus et l’unité d’une nation ne surgissent pas à dates fixes, ils se développent en assumant l’histoire de cette nation. Voilà pourquoi nous sommes heureux de célébrer cette fête nationale, et pourquoi, nous qui sommes croyants, nous sommes plus heureux encore de pouvoir rendre grâce à Dieu parce que cette héroïne nationale fut une chrétienne entièrement donnée à l’œuvre de Dieu : une sainte.
Frères et sœurs, en ce jour où nous fêtons le 600e centenaire de la naissance de Jeanne, nous nous tournons avec confiance vers celui qui est le Tout Puissant, vers celui qui fait grandir les humbles, relève les pauvres et fortifie les faibles. Nous lui demandons de répandre son Esprit dans nos cœurs pour que nous devenions à notre tour des témoins de la foi pour notre temps. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.