Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Retraite des prêtres de Paris au foyer de Charité de Tressaint – 3e dimanche du Temps ordinaire – Année C
Dimanche 27 janvier 2013 - Tressaint
Ne 8, 2-4a.5-6.8-10 ; Ps 18, 8-10.15 ; 1 Co 12, 12-30 ; Lc 1, 1-4 et 4, 14-21
Frères et sœurs,
En commençant aujourd’hui la lecture continue de l’évangile de saint Luc qui va accompagner les dimanches du temps ordinaire de cette année, la liturgie nous propose une double introduction. D’abord l’introduction générale de cet évangile, la dédicace du livre à Théophile et puis le passage de Jésus à la synagogue de Nazareth au début de sa vie publique.
Si la liturgie rassemble ces deux introductions, ce n’est pas pour nous faire oublier qu’il s’est passé du temps entre l’inauguration de l’évangile et l’inauguration de la vie publique de Jésus, mais c’est pour ouvrir notre attention sur ce que nous allons vivre tout au long de cette année liturgique. Nous allons entendre de nombreux passages de cet évangile de saint Luc, mais comment allons-nous les recevoir ? Comment allons-nous les accueillir ? D’abord comme le récit le plus précis possible, comme nous le dit saint Luc, puisqu’il a pris soin de se renseigner auprès des « témoins oculaires ». Cette lecture -comme celle des autres évangiles les autres années- nous fait découvrir l’histoire de la vie de Jésus non pas dans tous ses événements, mais l’histoire dans ses événements les plus significatifs. Et c’est déjà une première attitude qui est suggérée par cette ouverture de l’évangile de Luc : ce que vous allez entendre s’est passé à un moment et dans un lieu du monde, tout cela est repérable historiquement. Par exemple, dans l’évangile de saint Luc, l’annonce de la nativité du Christ est située par rapport aux personnages historiques qui gouvernaient cette région. Ce que nous entendons n’est pas une sorte de fable ou une histoire édifiante, c’est la chronique de ce qui a été vraiment vécu par Jésus.
La deuxième introduction rapporte la célébration du sabbat à la synagogue de Nazareth et le commentaire que Jésus fait du livre d’Isaïe. Saint Luc veut nous faire comprendre que ces événements historiquement situés ne sont pas simplement une histoire passée : c’est une actualité présente. Cette parole de l’Écriture que vous venez d’entendre c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit.
Ainsi, dimanche après dimanche, nous allons entendre des passages de l’évangile de saint Luc, non pas simplement pour être mieux documentés sur la vie de Jésus, mais pour découvrir comment ces épisodes se réalisent aujourd’hui pour nous. Cette Écriture n’est pas simplement un témoignage du passé, c’est une actualité présente. Cette Écriture va changer quelque chose aujourd’hui dans ce monde. Bien sûr, ce n’est pas une évidence, mais vous avez entendu que cette lecture de l’évangile est introduite par la reprise de la lecture de la Loi par le prêtre Esdras. Je ne sais pas si vous avez pleuré en entendant cela, peut-être n’avez-vous pas été suffisamment longtemps privés de la Parole de Dieu… Pour les Juifs, cela faisait si longtemps qu’ils attendaient d’entendre à nouveau lire la Parole de Dieu, qu’ils en avaient même oublié la langue, ils ne comprenaient pas ce qu’ils entendaient ! Il fallait des traducteurs pour leur dire ce que le prêtre Esdras avait lu, et des lévites pour leur expliquer et commenter ce qu’ils avaient entendu. « Esdras lisait un passage dans la livre de la Loi de Dieu, puis les lévites traduisaient, donnaient le sens, et l’on pouvait comprendre » (Ne 8, 8). Voilà d’une façon imagée les premiers éléments de ce que nous appelons aujourd’hui une liturgie de la Parole !
Vous entendez en français, alors vous croyez que vous comprenez ! Mais a-t-on vraiment bien compris ? Et « les lévites donnaient le sens », voilà ce que je suis en train de faire. « Et les gens comprenaient ». Que comprenait-on ? Pas simplement la littéralité du texte, mais ce que cette parole venait réaliser. Eux, qui avaient été privés si longtemps de célébrer la Parole, pleuraient de bonheur en entendant à nouveau la Parole de Dieu.
Qu’est-ce que tout cela va changer pour nous au long de cette année qui est l’Année de la foi ? Par exemple, on pourrait imaginer que chaque chrétien prenne la peine non seulement d’écouter la lecture de l’Évangile à la messe du dimanche, mais aussi de lire un évangile tout entier comme celui de saint Luc, pour mieux connaître le Christ. On sait quelque chose sur la personne de Jésus, on sait comment il a vécu, on sait comment il a réagi dans les situations de son existence, on sait ses colères, ses joies, on sait ce qu’il a enseigné, alors pourquoi ne pas profiter de cette Année de la foi pour raviver notre connaissance de Jésus en lisant un évangile en continu ? Un bel objectif pour l’Année de la foi !
Je vous en propose un autre : dimanche après dimanche nous allons entendre ces lectures de l’évangile, et vous aurez toujours un « lévite » pour vous en expliquer le sens ! Mais il faudra repartir avec cette question : qu’est-ce que cette Parole signifie aujourd’hui pour moi, dans ma vie ? Cette Parole s’accomplit aujourd’hui ! Qu’est-ce que j’en attends ? Comment ma liberté, mon cœur, mon intelligence peuvent-ils se transformer en entendant cette parole ? Ce serait une belle Année de la foi si chaque dimanche, après avoir entendu les explications du lévite, pendant un temps de silence, chacune et chacun d’entre nous se disait : qu’est-ce que cela va changer pour moi ? Comment cette parole s’accomplit-elle dans ma vie ? Et peut-être alors qu’avec la grâce de Dieu, nous découvrirons, nous entendrons d’une façon nouvelle ces mots que nous connaissons depuis si longtemps ! Peut-être redécouvrirons-nous quelque chose de la Parole de Dieu et peut-être aurons-nous envie de pleurer de joie en comprenant ce qui était resté caché à nos yeux !
Le prêtre Esdras dit aux Juifs : il ne faut pas pleurer, « ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu ! Ne prenez pas le deuil, ne pleurez pas ! … mangez des viandes savoureuses … et envoyez une part à celui qui n’a rien de prêt. Car ce jour est consacré à Notre Dieu ! Ne vous affligez pas ! La joie du Seigneur est votre rempart ! » (Ne 8, 9-10) Voilà une parole qui peut changer votre dimanche ? C’est le jour du Seigneur, il est consacré à notre Dieu, envoyez une part de vos bonnes nourritures à celui qui n’a rien de prêt et ne vous affligez pas, la joie du Seigneur est votre rempart ! Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.