Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à St François d’Assise - 5e dimanche du Temps Ordinaire - Année C

Dimanche 10 février 2013 - St François d’Assise (Paris XIXe)

L’épisode de la pêche miraculeuse manifeste que la mission confiée à Simon et à l’Eglise dépasse les capacités naturelles des hommes. C’est Dieu qui envoie, agit et nous assiste.

 Is 6,1-2a-3-8 ; Ps 137, 1-5.7-8 ; 1 Co 15, 1-11 ; Lc 5, 1-11

Frères et Sœurs,

L’Évangile que nous venons d’entendre nous place tout à fait au début du ministère public de Jésus, alors que va commencer sa mission parmi les hommes. En fait, il l’a déjà commencée par une journée à Capharnaüm, où il a opéré de nombreuses guérisons, où il a parlé et enseigné, ce qui explique la foule qui le suit pour continuer de bénéficier de sa parole et de ses miracles. Mais en ce début de mission, une question se pose : avec qui Jésus va-t-il réaliser sa mission ? Va-t-il partir seul sur les routes ? Va-t-il mettre en œuvre tout ce qu’il peut réaliser par ses propres moyens – du reste immenses ? Ou bien va-t-il s’entourer de collaborateurs ? Va-t-il, pendant cette mission de quelques années, préparer une équipe missionnaire ?

Le récit que nous venons d’entendre nous place précisément au moment de la constitution de ce premier noyau de l’équipe des collaborateurs du Christ. Les deux barques, mais principalement la barque de Simon, évoquent évidemment dans la tradition chrétienne, l’image de l’Église sur laquelle Jésus prend place et à partir de laquelle il enseigne les foules. Mais, il ne va pas choisir ses hommes uniquement par le prestige de sa parole. Il pose un signe : ces pêcheurs ont peiné toute la nuit sans rien prendre, malgré leur expérience du métier. Et pourtant, Pierre va répondre à l’invitation de Jésus : « sur ta parole, je jetterai les filets » (Lc 5, 5).

Voilà un aspect de cette première relation entre Jésus et Simon : Simon est celui qui va écouter la Parole du Christ et faire ce que Jésus dit. Bien que ce que Jésus lui demande ne corresponde pas à sa compétence et à son expérience -il sait qu’il n’y a rien à prendre-, puisque Jésus lui dit de jeter les filets, il les jette. Le résultat est la quantité extraordinaire de poissons ramenés dans ses filets là où il n’y en avait pas. Ce signe éclatant fait prendre conscience à Simon que Jésus n’est pas seulement un prédicateur talentueux qui sait faire des miracles, mais qu’il y a chez lui quelque chose de plus. C’est le signe de la présence de Dieu lui-même et c’est pourquoi l’Évangile nous dit que Simon est saisi d’effroi et qu’il lui dit « éloigne-toi de moi car je suis un homme pécheur » (Lc 5, 8). En effet, dans la conscience juive de Simon, comme nous l’avons entendu dans la lecture du prophète Isaïe, on ne peut pas voir Dieu sans mourir. Simon a conscience qu’il est devant une manifestation de Dieu et il est saisi d’effroi, il veut se retirer.

Quelle leçon pouvons-nous tirer de cet épisode ? La première leçon c’est que la mission qui va être confiée à Pierre : « sois sans crainte, désormais ce sont des hommes que tu prendras » (Lc 5, 10), est une mission qui vient de la part de Dieu. La deuxième leçon que nous pouvons en tirer, c’est que cette mission qui nous est confiée aujourd’hui à nous disciples de Jésus en ce XXIe siècle, ce n’est pas simplement de développer notre capacité de relation, notre capacité d’aller les uns vers les autres, notre sens de la solidarité, notre désir de faire quelque chose d’utile ou encore de mettre en œuvre nos talents quels qu’ils soient. Ce qu’il faut découvrir, c’est que la mission confiée par Jésus déborde de toutes parts nos capacités, et nous pouvons l’appliquer à la situation de l’Église dans la société moderne et dans ce quartier que vous connaissez mieux que moi. Vous êtes une petite communauté, pas très nombreuse comparée à l’immense foule qui nous entoure. Que pouvons-nous faire vis-à-vis de cette foule, si nous nous appuyons sur nos propres moyens, sur nos capacités de convaincre, sur nos capacités de changer quelque chose à la vie du monde, sur notre capacité de contribuer à une amélioration de la vie de nos contemporains ? Que pouvons-nous espérer ? Pouvons-nous espérer prendre plus – je pense aux poissons ? Pouvons-nous espérer prendre plus que ce que nos prédécesseurs ont pris, eux qui ont peiné année après année, décennie après décennie, et qui n’ont pas réussi à ramasser tout ce qu’il était possible de ramasser ? Pourquoi ? Parce que la question n’est pas simplement notre capacité de conviction, notre générosité ou notre disponibilité à faire quelque chose, la question fondamentale c’est que c’est Dieu qui agit. La mission qu’il nous confie, comme saint Paul le disait aux Corinthiens, c’est une « grâce » (1 Co 15, 10), c’est un don que Dieu nous fait pour nous permettre de dépasser nos moyens naturels, pour surmonter les obstacles ou les résistances que nous pouvons rencontrer en nous-mêmes déjà et dans l’environnement où nous vivons.

Quand l’Église nous appelle à entrer dans une attitude missionnaire, elle ne vise pas à faire de nous des placiers en vie spirituelle qui vont de porte en porte pour essayer de placer leurs idées et leurs convictions, mais elle vise à faire de nous des témoins d’un autre. Nous ne venons pas nous proposer nous-mêmes, nous venons proposer la présence et la vie de quelqu’un qui est plus grand que nous, qui nous soutient, qui nous envoie et nous assiste. C’est dans la mesure où nous agissons sous la motion de cette grâce du Christ que nous pouvons honnêtement et sincèrement devenir des témoins de la foi, c’est-à-dire non pas des témoins de nos idées mais des témoins de ce que Dieu veut pour l’homme.

En cette Année de la Foi nous sommes invités par le Pape à vivre un temps de recueillement, de récapitulation de notre foi au Christ, un temps où nous percevons mieux qu’être disciples du Christ, c’est entrer dans une mission qui nous dépasse, un temps où nous nous disposons à entrer à la suite de Jésus dans sa rencontre avec les hommes. C’est pourquoi, comme Pierre, André, Jacques et Jean, laissant derrière nous nos expériences, nos talents et nos faiblesses, nous acceptons et nous espérons nous appuyer sur le Christ lui-même et suivre le chemin qu’Il nous indique.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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