Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe des Cendres
Mercredi 13 février 2013 - cathédrale Notre-Dame de Paris
– Jl 2, 12-18 ; Ps 50, 3-6.12-14.17 ; 2 Co 5, 20 – 6, 2 ; Mt 6, 1.16-18
Frères et Sœurs,
Nous sommes invités à vivre ce Carême de l’année 2013 sous le signe de l’Année de la foi que le Saint Père a promulguée pour toute l’Église et à laquelle nous participons de différentes façons dans nos communautés. C’est dire que notre cheminement, à partir de ce jour d’ouverture du Carême jusqu’à Pâques, sera éclairé par cette Année de la foi et sera vécu comme un chemin d’approfondissement, d’épanouissement et de fécondité de notre foi.
Si nous sommes invités par l’évangile de saint Matthieu à concentrer nos efforts de conversion sur la prière, le partage et le jeûne, nous n’oublions pas que ces démarches, comme l’évangile nous le rappelle, ne sont pas d’abord destinées à manifester notre sainteté aux yeux des hommes, mais à traduire notre disponibilité intérieure et personnelle devant Dieu qui connaît le secret des cœurs. Augmenter notre temps de prière, en tout cas le vivre de manière plus régulière. Augmenter notre capacité de partager, non seulement notre superflu mais aussi notre nécessaire avec ceux qui sont dans le besoin. Éprouver dans notre chair par le jeûne et la privation que l’homme ne vit pas seulement de pain mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Ces trois démarches de la prière, du partage et du jeûne visent à mettre notre cœur en disponibilité pour accueillir l’appel de Dieu et y répondre, et surtout à éprouver dans notre désir, dans l’utilisation des moyens dont nous disposons, dans l’orientation de notre vie, que Dieu est le seul nécessaire et que c’est Lui qui est le fondement de toute chose.
Dans cette démarche de foi, la reconnaissance du Dieu Père de Miséricorde, comme nous l’indiquait le prophète Joël, nous fait prendre conscience que l’amour de Dieu, toujours disponible, déborde de toutes manières nos imperfections, nos limites et nos fautes. Celui vers lequel notre foi se tourne, celui que nous essayons de mieux connaître par l’engagement de la foi est en même temps celui qui constitue notre espérance : Dieu riche en miséricorde. C’est pourquoi saint Paul nous invite et nous exhorte à nous laisser réconcilier avec Lui, non pas d’abord parce que nous serions capables de rénover complétement notre manière de vivre, mais parce que Dieu veut nous réconcilier avec Lui, parce qu’il a pris l’initiative d’envoyer son fils en ce monde pour prendre sur lui-même le péché du monde, et ainsi nous délivrer du péché.
Au nom du Christ, au nom de celui qui a pris sur lui le péché des hommes, nous sommes invités à nous laisser réconcilier avec Dieu, c’est-à-dire à laisser Dieu exercer sa miséricorde sur notre vie et à le laisser construire en nous une nouvelle manière de vivre. C’est dans la mesure où notre foi en cette puissance miséricordieuse de Dieu qui agit, et notre espérance qui nous tourne vers Lui pour accueillir son pardon, que notre charité peut se trouver renouvelée, développée, et s’exprimer d’une façon plus concrète et plus ample à travers tous les moments de notre existence.
Cet appel à la conversion, cet appel à accueillir la miséricorde, cet appel à vivre une vie nouvelle, c’est maintenant qu’il nous est adressé. C’est maintenant le moment favorable, c’est maintenant le jour du salut. Évidemment nous ne sommes pas dupes de cette formulation. Depuis la mort et la résurrection de Jésus tout moment de notre vie est un moment favorable, et tous les jours de notre vie sont des jours du salut. Mais en ce jour où nous nous mettons en marche d’une façon plus délibérée vers un renouvellement de notre vie baptismale, cette exaltation du moment favorable et du jour du salut prennent une dimension particulière : c’est aujourd’hui, frères et sœurs, que nous sommes invités à entrer résolument dans le chemin de la foi, de l’espérance et de la charité.
C’est pourquoi tout à l’heure, en vous imposant les cendres, je vous dirai la formule tirée de l’Évangile : « Convertissez-vous et croyez à la Bonne nouvelle » (Mc 1, 15), parce que la foi en la Bonne nouvelle du salut, la foi au Christ venu prendre sur lui notre péché, la foi en ce temps favorable et ce jour du salut sont indissociables de notre conversion de vie. C’est parce que nous croyons en Dieu que nous sommes appelés à une vie nouvelle, et nous menons une vie nouvelle pour que notre foi se développe et porte davantage de fruit. La conversion est indissociable de la foi, sinon elle n’est qu’un effort moral pour perfectionner notre existence, elle succombe aux défauts que saint Matthieu soulignait dans son évangile : changer dans nos pratiques pour montrer aux hommes que nous sommes des justes. La conversion selon le Christ consiste au contraire à exprimer notre foi indéfectible en la miséricorde de Dieu, notre espérance inépuisable en l’actualité de sa miséricorde, par le changement qu’il produit en nos cœurs, et de nos cœurs à nos manières de vivre.
Ce temps favorable, ce jour du salut, ce temps de la conversion pour croire à la Bonne nouvelle, oui c’est vraiment un temps de joie et c’est un temps d’exultation parce que chaque pas franchi dans la direction de la foi, de l’espérance et de la charité nous engage davantage dans le mystère de Dieu et nous fait éprouver davantage encore l’amour dont il aime chacun d’entre nous.
« Sonnez de la trompette dans Jérusalem, prescrivez un jeûne sacré, annoncez une solennité, réunissez le peuple » (Jl 2, 15-16), voilà ce que le prophète demandait à Israël, voilà ce que Dieu nous demande aujourd’hui : vivre ce temps de grâce, ce jour du salut, dans la joie de l’espérance. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.