Homélie du cardinal André Vingt-Trois lors de la messe d’Adieu de Frère Pierre-Marie Delfieux, fondateur des Fraternités monastiques de Jérusalem

Cathédrale Notre-Dame de Paris - mercredi 27 février 2013

Les frères et soeurs de Jerusalem, la famille, les amis et des fidèles anonymes étaient réunis très nombreux pour célébrer les obsèques du Père Pierre-Marie Delfieux décédé le 21 février dernier.

Lectures : Ap 21, 1-5a.6b-7 ; Mt 17,1-9.

Frères et Sœurs,

Malgré toutes ses qualités que nous connaissons tous, la Ville de Paris, pas plus qu’aucune autre ville au monde, n’est encore comparable à la Jérusalem Céleste ! Sans grand risque de se tromper, on peut considérer qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire pour qu’elle resplendisse de la lumière de la Cité de Dieu !

Il fallait sans doute la foi indéracinable de deux fils de l’Aveyron, je veux dire François Marty et Pierre-Marie Delfieux, pour se lancer dans cette vie urbaine sans défaillir et sans douter. Car c’est vraiment par la foi, dans la foi qu’ils se sont lancés dans l’aventure des Fraternités monastiques de Jérusalem, estimant, sans doute, que si la ville, cette grande ville de Paris, pouvait cacher bien des vices, elle pouvait cacher encore plus de vertu qui avait besoin d’être manifestée, d’être éveillée, d’être soutenue, d’être encouragée, et que pour mener ce combat, les chrétiens qui essayent de témoigner de l’Évangile au cœur de cette ville avait besoin, comme toute l’Église, que quelque part, au cœur de leur dispositif, des hommes et des femmes prient, chantent la louange de Dieu, acceptent de partager le sacrifice du Christ dans leur chair, pour que la Bonne Nouvelle puisse être annoncée à tous les hommes.

C’est évidemment caricaturer à l’extrême l’idée originale du projet des Fraternités monastiques de Jérusalem, mais c’est au moins donner une idée du défi auquel elles répondaient, et auquel, j’espère, elles répondent toujours, plus seulement au cœur de la ville de Paris, mais en bien d’autres cœurs de villes à travers le monde.

Il y a dans ces masses humaines qui constituent les agglomérations modernes, une réserve d’énergie et de force spirituelle qui peut rester complétement cachée à nos yeux. C’est cette capacité d’avoir confiance en ce qui ne se voit pas encore, mais dont on ne doute pas, que Dieu répand dans les cœurs comme une grâce, c’est sur cette confiance que se base le défi d’élaborer d’abord une expérience, puis une règle de vie dans le cœur de la vie urbaine. Une expérience et une règle de vie qui se sont développées et structurées à travers le temps, et que le cardinal Marty continue, je pense, de surveiller du coin de son œil malicieux, et peut-être d’encourager encore, en intercédant auprès de Dieu pour les fruits de cette aventure dont il a partagé la responsabilité avec Pierre-Marie Delfieux.

Il serait peut-être gênant d’ailleurs pour les membres de la Fraternité monastique de Jérusalem que l’Archevêque de Paris évoque les fruits de leur vie et de leurs travaux dans la capitale. Mais je pense que cela n’est pas nécessaire parce que tout le monde, enfin tous ceux qui s’intéressent aux choses de la foi dans la ville de Paris, savent ce qui se passe à Saint-Gervais et discernent les fruits spirituels qui en résultent, non seulement pour les membres de la Fraternité monastique, non seulement pour leurs amis, non seulement pour ceux qui, régulièrement ou occasionnellement viennent participer à leur liturgie, mais pour tout le diocèse de Paris. C’est une des rares richesses de notre diocèse, qui n’est pas si pourvu en communautés contemplatives. Nous le voyons chaque année, au moment de l’appel décisif des catéchumènes. Quelques religieuses représentent ces communautés contemplatives, elles ne sont pas si nombreuses. Ces communautés sont donc d’autant plus précieuses au cœur de l’archevêque qui compte sur leur investissement et leur prière, non seulement pour accompagner les catéchumènes mais encore pour accompagner la mission de toute l’Église qui est à Paris. Chacun sait ce qu’il doit aux Fraternités monastiques de Jérusalem, chacun a pu constater les fruits qui en découlent.

Évidemment, Pierre-Marie Delfieux, dans cette aventure conjuguée avec le cardinal Marty, a été un personnage décisif non seulement par l’implication de sa propre vie et de sa personne, mais par son dynamisme personnel, par ses intuitions, par sa ténacité, son endurance, et peut-être -il ne faut pas le répéter- à certains moments par son entêtement ! Car il arrive parfois que certains défauts puissent profiter à l’avènement du Royaume. Nous avons donc bénéficié de cette force considérable que Pierre-Marie Delfieux portait en lui.

J’ai eu le privilège, comme un certain nombre d’autres parmi vous je pense, de découvrir cette personnalité en même temps que je découvrais la Terre Sainte, puisque la première fois que je suis allé en pèlerinage en Terre Sainte, j’étais dans un groupe conduit par Pierre-Marie Delfieux. J’ai donc pu simultanément découvrir une richesse de l’Évangile que je ne soupçonnais pas à travers les lieux mêmes où Jésus a vécu et parlé, et une richesse de l’Évangile qui transparaissait à travers celui qui était notre guide. C’est donc en connaissance de cause que je peux parler de cette motivation, de cette puissance, de cette force évangélique qui habitait le cœur de Pierre-Marie Delfieux.

Mais, si les villes, comme les personnes, sont porteuses de richesses qui n’apparaissent pas encore et qu’il faut éveiller et soutenir, ce travail ne se fait pas tout seul. Car ce qu’il s’agit de faire apparaître, c’est tout simplement la présence divine sous les apparences d’une banalité affreusement ordinaire. C’est la conviction que dans nos immenses cités, Dieu travaille le cœur des hommes, qu’il poursuit inlassablement son chemin de miséricorde à la rencontre du cœur humain, qu’il sollicite mystérieusement et secrètement les libertés des uns et des autres. C’est donc porter sur nos villes un regard de visionnaire. Ce regard ne peut se constituer et se mettre en œuvre que par la rencontre du Christ Ressuscité qui se dévoile à travers l’humanité de Jésus de Nazareth. Les disciples en ont fait l’expérience au cours de la transfiguration pour s’engager dans le chemin qui les conduirait à la suite de Jésus, non seulement aux événements décisifs qui se dérouleraient à Jérusalem, mais encore au terme de leur propre existence, où ils seraient invités à leur tour à attester la puissance de Dieu par l’offrande de leur vie.

Cette transfiguration, placée au cœur des évangiles comme un tournant dans la connaissance et la suite du Christ, chacune et chacun d’entre nous dans l’itinéraire d’une vie spirituelle est appelé à en faire l’expérience. Mais pour enraciner ce projet de vie contemplative que j’ai évoqué tout à l’heure, Pierre-Marie Delfieux a voulu se laisser conduire au désert, probablement pour y être tenté, mais surtout pour y faire la rencontre absolue de la présence du Ressuscité. Pendant une année il a vécu le désert à Tamanrasset, avant de s’engager dans le projet des Fraternités monastiques et de leur donner le visage qu’elles ont aujourd’hui.

C’est dire que la foi, que j’évoquais au début de mon propos, n’est pas simplement l’héritage d’une civilisation perdue, elle est le creuset dans lequel s’éprouve la volonté de suivre le Christ et de manifester sa présence au cœur du monde. C’est pourquoi une vie contemplative au cœur de la cité n’est pas simplement une expérience exotique par rapport aux autres formes de vie monastique, c’est une manière de rejoindre et de participer au combat spirituel qui marque toute l’expérience de l’Église.

Frères et sœurs des Fraternités monastiques, vous savez que depuis un certain nombre d’années - que nous aurons la pudeur de ne pas calculer - j’ai eu le privilège de suivre avec attention le développement de votre famille, de contribuer, dans la modeste part qui était la mienne, à son affermissement, son développement, et je voudrais vous dire aujourd’hui que je partage à la fois votre peine et votre espérance, non seulement pour Pierre-Marie mais encore pour votre Fraternité et à travers elle pour l’Église qui est à Paris. Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris

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