Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe du 3e dimanche de Pâques – Année C
Dimanche 14 avril 2013 - Notre-Dame de Paris
Les apparitions de Jésus ressuscité, les dialogues de Jésus avec ses disciples mettent en lumière l’amour qu’il porte à l’humanité. En prenant conscience, notre coeur s’ouvre peu à peu à cet amour. C’est sur cet échange d’amour que peut se fonder notre foi.
– Ac 5, 27b-32.40-41 ; Ps 29,3-6.12-13 ; Ap 5, 11-14 ; Jn 21, 1-19
Frères et Sœurs,
Le dialogue entre Jésus et Simon dont l’évangile de Jean vient de nous relater le déroulement prend évidemment un relief tout à fait particulier alors que nous sommes tout juste un mois après que les cardinaux aient élu le cardinal Bergoglio pour qu’il devienne l’évêque de Rome, c’est-à-dire le successeur de Pierre, et comme évêque de Rome et successeur de Pierre, le pasteur de l’Église universelle.
Nous le savons, la tradition catholique a reçu ce témoignage sur le dialogue entre Jésus et Simon-Pierre comme un des lieux bibliques où s’enracine la primauté de la mission de Pierre par rapport aux autres disciples. Il me souvient qu’au cours du conclave, au long de la journée où les votes successifs montraient peu à peu celui qui allait être désigné, j’ai eu un moment la pensée que, peut-être, en lui-même, dans son cœur, ce dialogue pouvait trouver un écho, car si ce sont les cardinaux qui ont voté, et qui l’ont désigné par ce vote, nous sommes convaincus que nous n’avons été que les instruments du choix de Dieu et la manière dont s’exprimait l’appel du Christ à l’égard de son serviteur. Mais ce que nous pouvons comprendre à travers le dialogue entre Jésus et Simon-Pierre nous aide aussi à saisir que la responsabilité, la mission confiée à Pierre et à ses successeurs n’est pas d’abord une mission d’organisation, ou plus exactement que le pouvoir qui lui est remis d’exercer la responsabilité pastorale à l’égard du peuple de Dieu s’enracine très profondément dans une relation personnelle avec le Christ.
Par trois fois Jésus donne à Pierre la mission de paître ses brebis. Mais par trois fois cette mission s’appuie sur la question « Simon, m’aimes-tu plus que ceux-ci ?... Simon m’aimes-tu ? » (Jn 21, 15). L’évangile veut nous faire comprendre que la responsabilité et la mission de Pierre s’enracinent d’abord sur cette relation d’amour tout à fait personnelle entre Pierre et Jésus. Et nous comprenons ainsi que si Pierre reçoit cette mission après cette triple interrogation qui n’est pas, évidemment, sans évoquer le triple reniement vécu pendant le procès et la passion de Jésus, si sa mission s’enracine dans ce triple questionnement c’est pour nous aider à comprendre où est la racine profonde de la mission de l’Église et de la foi des disciples.
Nous sommes aidés dans cette compréhension du dialogue entre Simon et Jésus par l’événement qui a précédé. Ils reviennent de la pêche dans le lac de Tibériade, Jésus est sur la rive, sa silhouette est encore un peu indistincte, « ils ne savaient pas que c’était lui » nous dit l’évangile (Jn 21, 4) et l’évangile ajoute « le disciple que Jésus aimait dit : c’est le Seigneur » (Jn 21, 7) et en entendant cette parole « c’est le Seigneur », Pierre s’habille et se jette à l’eau pour rejoindre la rive et venir auprès de Jésus. Là aussi nous découvrons comment la capacité de reconnaître la personne du Christ, la capacité de l’identifier, la capacité de témoigner de son identité, cette capacité est donnée en priorité par l’amour que Jésus portait à ce disciple. C’est « le disciple que Jésus aimait », et nous voyons aussi dans ce face à face entre ce disciple que Jésus aimait et Jésus, dans celui qui va mettre en présence Simon-Pierre et Jésus, ce qui est l’élément déterminant, c’est l’amour. C’est parce que Jésus l’aimait que ce disciple, parmi tous les autres, a été le premier, sinon à le reconnaître du moins à sentir que c’était lui et à le désigner : c’est le Seigneur.
Tout ceci nous est rapporté par les évangiles, non pas simplement pour nous raconter l’histoire des apparitions de Jésus ressuscité aux disciples, mais aussi pour nous aider à percevoir comment ces rencontres entre le Christ ressuscité et ses disciples mettent en œuvre un processus qui va devenir celui auquel nous sommes invités à participer à notre tour, c’est-à-dire une démarche de foi. Notre foi c’est d’abord d’être aimés par le Christ, c’est cet amour que le Christ porte à l’humanité et plus particulièrement à celles et à ceux qu’il a appelés pour faire partie de son Église. Cet amour du Christ pour les hommes, nous en avons la figure symbolique dans le Christ en croix au moment où il donne sa vie par amour pour le monde. C’est dans la mesure où nous entrevoyons quelque chose de cet amour du Christ, c’est dans la mesure où nous comprenons quelque chose de cet amour du Christ, en voyant à quel point il a souffert pour nous jusqu’à donner sa vie pour que nous vivions, c’est dans cette mesure que notre propre cœur peut s’ouvrir et qu’à notre tour, nous pouvons entendre la question que le Christ nous pose : Simon, m’aimes-tu ? M’aimes-tu comme je t’aime ? M’aimes-tu comme moi j’ai aimé les hommes ?
Et si l’amour que le Christ a vécu pour les hommes l’a conduit à livrer sa vie en rançon pour la multitude, cela veut dire que l’amour qu’il attend de nous est aussi un amour qui nous conduit à nous donner pour le service de nos frères et emprunter le chemin du Christ lui-même, comme le dit la fin de l’évangile : « Quand tu étais jeune tu mettais ta ceinture toi-même pour aller où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller. Jésus disait cela pour signifier par quel genre de mort Pierre rendrait gloire à Dieu. Puis il dit encore : suis-moi » (Jn 21, 18-19) C’est donc dans ce dialogue d’amour où nous recevons l’expression de l’amour de Dieu à travers l’offrande que Jésus fait de sa vie, que s’éveille en nous la capacité, et je l’espère, le désir de répondre à cet amour par notre propre amour envers le Christ. S’il n’y a pas cet échange d’amour entre la personne de Jésus et chacun et chacune d’entre nous, il ne peut pas y avoir un acte de foi, parce que la foi ce n’est pas une connaissance qui se démontre par elle-même, c’est un acte de confiance dans la parole de Dieu, un acte de confiance dans l’annonce de la Bonne Nouvelle. Cet acte de confiance repose sur l’amour que nous avons pour le Christ qui surgit de l’amour que le Christ a pour nous.
Si nous voulons entrer pleinement dans le déroulement de l’Année de la foi, il nous faut donc revenir à cette source initiale de la foi qui est l’amour que Dieu nous porte et nous manifeste et l’amour qu’il attend de nous en réponse à son amour. Ce dialogue d’amour construit en nous, en nos cœurs, en nos esprits, en nos intelligences, la confiance nécessaire pour croire, c’est-à-dire pour reconnaître le Christ ressuscité, même s’il apparaît de façon imprécise ou difficile à identifier comme c’est le cas au bord du lac ou dans d’autres apparitions du Christ. L’évangile nous dit lui-même : « ils n’osaient pas lui demander qui il était » - ce qui veut dire qu’ils avaient besoin de le lui demander - « car ils savaient que c’était le Seigneur » (Jn 21, 12). Ce savoir sur la personne de Jésus leur vient de la confiance qu’ils peuvent faire à la parole du disciple que Jésus aimait, de la confiance qu’ils font à la parole que Jésus leur a adressée lui-même en leur annonçant sa résurrection. Ils sont convaincus que c’est le Seigneur même si les apparences ne sont pas absolument démonstratives.
Il y a dans toute démarche de foi une marge dans laquelle il est fait appel à notre confiance, à notre capacité de risquer notre confiance, même si nous n’avons pas toutes les garanties intellectuelles que nous pourrions espérer. C’est la même chose dans les relations entre les hommes. Toute une part de nos relations repose sur la confiance que l’on peut faire à nos interlocuteurs, à nos partenaires, et cette confiance s’enracine dans les signes d’amour, de service, de disponibilité qui ouvrent notre relation à une remise entre les mains de ceux, que le Seigneur met sur notre route.
Frères et sœurs, demandons au Seigneur qu’il fortifie en nous la perception que nous avons de l’amour que Jésus nous porte et qu’il fortifie en nous la confiance qui nous permet de répondre à cet amour et de croire au Christ ressuscité. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.