Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Consécration épiscopale de Mgr Michel Aupetit
Vendredi 19 avril 2013 - Notre-Dame de Paris
La vraie vie est communiquée à l’homme par Dieu qui est la vie. Le sacrement de l’Eucharistie est le lieu privilégié de la transmission de cette vie divine. La garantie de l’économie sacramentelle est assurée par le ministère apostolique institué par le Christ. L’évêque participe à ce ministère apostolique dans la plénitude du sacerdoce.
– Voir l’album-photos de la célébration.
– Ap 9, 1-20 ; Ps116 ; Jn 6, 52-59
Frères et Sœurs,
Dieu est la vie. Dieu veut la vie. Dieu appelle l’homme à la vie. Toute notre foi se cristallise dans cette conviction que l’amour de Dieu pour l’humanité ne se limite pas aux quelques années que nous passons sur terre plus ou moins heureux ou malheureux, mais qu’il s’étend à la totalité du temps, de l’espace, et de l’espèce humaine. Dieu veut que les hommes vivent, et génération après génération, siècle après siècle, il a relancé de nouvelles initiatives pour indiquer aux hommes les chemins de la vie en leur expliquant comment il fallait qu’ils vivent pour participer à sa vie divine. Et dans les temps qui sont les derniers, il a envoyé son Fils, son unique, pour accomplir ce dessein de vie. Il n’y a pas de vie pour l’homme, si Dieu ne lui donne pas la vie. Il n’y a pas de vie pour l’homme, s’il n’accepte pas de recevoir sa vie Il n’y a pas de vie pour l’homme, s’il n’accepte pas d’être sauvé par Dieu. Et le signe et l’accomplissement de ce salut, c’est le don que Jésus fait de sa vie sur la croix : il s’offre à la mort pour que nous vivions. Dieu veut à ce point la vie de l’homme, qu’il livre son Fils pour que nous vivions. Et nous ne pouvons vivre que dans la communion à ce Fils offert sur la croix. Il n’y a pas de vie possible si nous ne communions pas à la chair et au sang du Christ. On pourrait dire d’une certaine façon que l’on peut toujours respirer, on peut toujours exister quelques dizaines d’années, mais cela n’est pas vivre. Vivre, c’est ne pas connaître la mort. Vivre, c’est participer à la vie éternelle. Et ceux qui mangent la chair du Christ et boivent le sang du Christ ont la vie éternelle et il les ressuscitera au dernier jour.
On peut avoir beaucoup de projets, de questions, de conceptions de la vie, de contraintes, de souffrances dans la vie, mais ultimement tout cela ne compte pas beaucoup devant la seule question qui soit vraiment intéressante : est-ce qu’avec ma mort tout sera fini ?
Et l’espérance que le Christ a jetée au cœur de l’homme, c’est l’espérance que celui qui vit en communion avec Lui ne mourra pas. Bien sûr il trépassera, il sera enterré, mais il aura la vie. Il sera dans la vie de Dieu pour l’éternité. La vraie question est donc : comment fait-on ? Comment fait-on pour être en communion avec le Christ ? Comment fait-on pour recevoir sa chair et son sang ? Et tout le chapitre 6 dans l’évangile de saint Jean que nous avons médité cette semaine après la multiplication des pains nous indique un chemin qui sera explicité dans les évangiles synoptiques. La communion à la chair du Christ et à son sang, c’est recevoir le pain que lui nous donne, c’est recevoir le vin que lui nous donne. Et le pain qu’il nous donne, c’est le pain venu du Ciel, c’est le pain de la vie, c’est son corps. Et le vin qu’il nous donne, c’est son sang versé en rançon pour la multitude. Et du coup la question que j’évoquais tout à l’heure, de notre vie et de notre mort, se trouve à nouveau posée : quand nous tendons la main pour recevoir ce pain, c’est le corps du Christ que nous recevons. Évidemment, cela n’est accessible qu’au regard de la foi, et encore dans le regard de la foi cela suppose une garantie que ce que je dis quand je consacre le pain, ce n’est pas moi qui le fais, c’est le Christ qui le fait. Cette garantie qui est l’économie sacramentelle de la vie chrétienne en dehors de laquelle il n’y a pas de vie possible, cette garantie sacramentelle nous est accordée par le Christ lui-même à travers le ministère apostolique. Que l’on regarde les évangiles synoptiques ou l’évangile de saint Jean, ou que l’on entende le récit de la conversion de Paul sur le chemin de Damas, nous découvrons une règle constante de la relation qui unit le Christ à ceux qu’il envoie. Dans les synoptiques on nous dit qu’il les appelle pour être avec lui, pour demeurer avec lui et qu’à travers ces mois et ces années de vie commune, d’expériences et d’aventures apostoliques vécues ensemble, il forge en eux l’âme apostolique. Il les prend dans la communion. Ou comme nous le dit l’évangile de saint Jean : « ceux que tu m’as donnés, je les ai gardés. » Ou comme il dit ici à saint Paul : « c’est moi que tu persécutes. » (Ac 9, 5)
C’est cette rencontre incomparable, de personne à personne, avec Jésus Christ, cette communion intime dans l’amour du Christ qui est le fondement de la vie apostolique. C’est pourquoi dans la tradition sacramentelle de l’Église, jamais une mission confiée ne peut être réduite à un fonctionnement. Pour les fonctionnements, on trouve toujours quelqu’un ! Pour distribuer du pain, on trouve toujours quelqu’un ! Pour distribuer du vin, on trouve toujours quelqu’un ! La vraie question, c’est : est-ce que ce pain, c’est le corps du Christ ? Est-ce que c’est le sang du Christ ce vin que l’on me donne ? Cette parole que vous nous dites, est-ce que c’est la vôtre ou celle du Christ ? Cette Église que nous constituons, est-ce un agrégat accidentel ou bien est-ce vraiment le corps du Christ ressuscité ? Et la seule garantie que nous avons de cette identité sacramentelle, c’est le ministère apostolique institué par Jésus avec ceux qu’il a choisis pour être avec lui dans une communion particulière et qu’il appelle pour être avec lui. A ceux-là, comme nous le lisions dimanche dernier à la messe, quand il apparaît au bord du lac de Tibériade, il dit : « m’aimes-tu plus que ceux-ci ? » (Jn 21, 15).
Au moment où le Pape appelle un prêtre à devenir évêque, il ne le fait pas changer de catégorie dans l’échelle administrative, il ne lui donne pas un galon de plus ! Il l’appelle pour entrer de façon plus intime, plus profonde, plus indissociable dans la communion avec le Christ, en acceptant de prendre sur lui une part de la souffrance et de la mission du pasteur. L’évêque est alors heureux de pouvoir être associé à la mission du Christ, non seulement quand les foules le suivent comme Jésus, quand il fait de beaux signes, mais encore quand il dit : « celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ». Ces paroles sont si dures à entendre !
Appelés au ministère apostolique, nous sommes associés directement à la mission du Christ comme l’a été le collège des apôtres au jour de la Pentecôte. Cette communion intime, cette relation personnelle de cœur à cœur avec le Christ prennent leur forme institutionnelle quand Jésus donne la plénitude de son Esprit, quand il impose les mains à ceux qu’il a appelés pour qu’ils reçoivent l’Esprit Saint. Alors cette communion intime n’est plus simplement un chemin de perfection pour chacun d’entre nous, cela devient le passage de la parole que nous devons porter au nom de Dieu pour appeler les hommes à la vie.
Dans notre grande ville de Paris, il y a de la vie, beaucoup de vie, mais est-ce de la vie de Dieu ? Est-ce de la vie éternelle ? Ou est-ce une vie qui est vouée à la mort ? Et si nous sommes envoyés dans cette ville, c’est justement pour annoncer qu’il y a une vie qui ne finit pas. Les responsabilités, les missions concrètes que nous avons à accomplir ne sont pas toujours à ce niveau d’espérance, mais c’est cette espérance qui nous habite à travers tout ce que nous faisons. C’est cette espérance qui nous rend capables d’aller à la rencontre de tous ceux auxquels le Seigneur nous envoie.
Ce soir nous sommes dans la joie de voir Michel Aupetit appelé à participer à ce ministère apostolique dans la plénitude du sacerdoce. Nous sommes dans la joie aussi parce que c’est une force et une espérance nouvelles qui nous sont accordées pour la vie de notre Église, pour le ministère des prêtres, des diacres, pour la vie des consacrés, pour la vie des communautés chrétiennes, pour le témoignage que les chrétiens rendent au Christ à travers leur vie. Nous sommes envoyés pour être un point d’appui, une ressource, une espérance, une force, un garant, mais avant tout pour être ceux qui vous assurent que l’Église est le lieu où le Christ se donne, où il donne sa vie. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.