Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Solennité de la Sainte Trinité – Année C

Dimanche 26 mai 2013 – Notre-Dame de Paris

Le mystère de la Trinité nous invite à comprendre que la vie divine ne concerne pas seulement le "monde d’en-haut" mais qu’elle rejoint l’histoire humaine et nous appelle à participer à cette vie par l’Esprit qui habite en nos cœurs.

 Pr 8, 22-31 ; Ps 8, 4-9 ; Rm 5, 1-5 ; Jn 16, 12-15

Frères et Sœurs,

Tout au long du temps pascal qui nous a conduits de la fête de Pâques à la fête de la Pentecôte, nous avons médité sur la Résurrection du Christ et nous avons été invités par la liturgie à regarder comment les disciples ont fait l’expérience de la présence du Christ ressuscité. Une semaine après la Pentecôte, nous célébrons la fête de la Trinité et peut-être, pour beaucoup d’entre nous, cette fête de la Trinité reste-elle bien abstraite et mystérieuse. Les plus anciens, s’ils ont quelques souvenirs de catéchisme, ont sans doute entendu dire que la Trinité était un mystère. Et puisqu’un mystère nous dépasse et qu’on ne peut pas l’enfermer dans nos manières de penser, il nous faut le prendre tel quel, sans trop nous poser de questions ! Si bien que l’on a fini par se faire à l’idée que la Trinité, c’est une réalité qui est peut-être vraie, mais qui se situe dans l’univers de Dieu, pas dans l’univers des hommes ! Vous le savez, beaucoup de religions ont cette représentation d’un monde d’en-haut, le monde de Dieu, et puis il y a le monde d’en-bas, le nôtre, celui dans lequel nous évoluons, dans lequel nous essayons de tracer notre chemin, et cela n’est pas si facile… Comment savoir s’il y a une communication entre ce monde d’en-haut qui n’est pas le nôtre, et le monde d’en-bas qui est le nôtre ? Ou bien, faut-il se faire une raison et se dire que de toute façon, si Dieu est Dieu, il est ailleurs et chacun n’a qu’à se débrouiller comme il peut ?

Toute l’histoire de la Bible, qui est l’histoire de l’humanité relue à la lumière de la foi, est construite pour nous faire comprendre le contraire. Depuis l’origine du monde, que nous évoquait tout à l’heure le Livre des Proverbes, jusqu’à nous et au-delà de nous jusqu’à la fin des temps, tout l’effort de Dieu consiste à faire vivre un monde, le nôtre, à lui donner l’existence, à le peupler avec des hommes et des femmes capables de le connaître et de l’aimer – ce que l’on appelle la création – puis à travers l’histoire d’Israël, peu à peu, à faire comprendre qu’il est présent dans l’histoire. L’histoire des hommes n’est pas étrangère au monde de Dieu, c’est le tissu dans lequel la réalité de Dieu va se faire connaître, se révéler, se propager. Et à travers les prophètes qu’il a envoyés, Dieu a proposé au Peuple d’Israël de comprendre les événements de sa vie à la lumière d’un acte de foi. Dieu s’intéresse à ce peuple, il l’a choisi et il veut l’accompagner. Mais plus encore, comme si ce cheminement à travers l’histoire d’Israël ne suffisait pas pour être convaincu que Dieu s’intéressait vraiment à ce qui arrivait aux hommes, dans les temps qui sont les derniers, c’est-à-dire les nôtres, il est venu lui-même, dans la personne de Jésus de Nazareth, partager l’existence humaine. Il est venu, pas simplement donner la vie en général, pas simplement envoyer des messages pour faire comprendre ce qui se passait, mais il est venu en chair et en os pour partager l’existence des hommes. « Dieu, personne ne l’a jamais vu » (Jn 1, 18) nous dit l’Écriture, mais il s’est fait connaître dans la personne de Jésus. Il est venu connaître tout ce qui fait l’existence humaine, partager nos projets, nos joies, nos échecs, nos souffrances, nos douleurs, notre solitude. Il est venu vivre une existence humaine. À travers la vie de Jésus de Nazareth, c’est Dieu qui se fait connaître, ce n’est pas seulement quelqu’un que Dieu a envoyé en son nom, c’est Dieu lui-même, vivant au milieu de son Peuple, Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu né du Vrai Dieu, comme nous le disons dans notre Credo.

Cette présence de Jésus dans l’histoire des hommes ne s’est pas arrêtée avec sa Résurrection et son départ vers le Père. Elle se continue par l’envoi de son Esprit qui est venu remplir le cœur des disciples au moment de la Pentecôte et qui vient habiter le cœur de tous ceux qui croient en Lui. Aussi, cette présence du Christ qui n’est plus physique -on ne le voit plus, on ne le touche plus, on ne l’entend plus- se continue par le don de l’Esprit Saint qui habite en nos cœurs par la foi. Et cet Esprit vivant en nous, nous fait comprendre ce que Jésus a dit, il nous rappelle la parole du Christ, et à travers cette parole, il nous fait connaître Dieu le Père lui-même. Ainsi, la Trinité, ce n’est pas simplement un système d’échanges qui existent en Dieu et qui ne feraient rien pour les hommes, ce sont des échanges à travers lesquels Dieu rejoint l’histoire humaine, et nous permet, à nous qui sommes du monde d’en-bas, de participer à la vie divine par l’Esprit qui habite en nos cœurs.

Dieu s’est fait présent à notre vie en nous donnant l’univers, en nous donnant l’existence, en nous appelant à la vie. Dieu s’est fait présent à notre vie en envoyant son Fils unique partager l’existence humaine. Dieu s’est fait présent à notre vie par le don de son Esprit qui habite en nos cœurs. Et par le don de cet Esprit, chacun et chacune d’entre nous peut entrer en communion avec Dieu, lui parler, lui dire ce qui fait le cœur de notre vie, et recevoir de Lui l’espérance qu’il ne nous abandonnera pas, car il n’a pas abandonné les hommes depuis l’origine du monde et il ne les abandonnera pas jusqu’à la fin du monde.

Cette présence de l’Esprit, nous la vivons au secret de notre cœur quand nous essayons de nous tourner vers Dieu et de lui dire ce qui nous préoccupe, ce qui accapare notre pensée, ce que nous essayons d’exprimer par la prière. Elle se réalise au secret de notre cœur et dans le sacrement de l’Église où le corps du Christ ressuscité, rassemblé par l’Esprit Saint, ouvre la porte à la communion avec Dieu par l’eucharistie et les autres sacrements.

Frères et sœurs, en cette fête de la Trinité nous rendons grâce à Dieu qui est venu partager notre vie pour que nous puissions partager la sienne, il est venu vivre l’existence humaine pour nous entraîner à vivre son existence divine : c’est notre espérance et c’est notre joie.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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