Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à St Gabriel – 2ème dimanche de Carême – Année A
Dimanche 20 mars 2011 - Saint-Gabriel (Paris XXe)
La transfiguration prépare les disciples à l’épreuve de la Passion. Celui qu’ils verront crucifié est bien le Fils du Père éternel. Nous aussi devons accueillir notre dignité de fils de Dieu pour traverser les épreuves de l’existence.
– Gn 12, 1-4 ; Ps 32, 4-5.18-20.22 ; 2 Tm 1, 8-10 ; Mt 17, 1-9
Frères et sœurs,
Dans les évangiles, la Transfiguration du Christ marque la montée de Jésus vers Jérusalem, et prépare les disciples aux événements qu’ils auront à vivre. Cet épisode succède à la profession de foi de Pierre (« Tu es le Christ, le Fils du Dieu-vivant » (Mt 16, 16)) et aux premières annonces de la Passion. Mais celles-ci restent d’une certaine manière mystérieuses pour les apôtres qui ne sont pas prêts à comprendre ce que signifie que « le Fils de l’Homme devra souffrir beaucoup, être tué, et, le troisième jour, ressusciter » (Mt 16, 21). Seule la résurrection ouvrira vraiment l’intelligence des disciples à la compréhension de ces paroles et c’est pourquoi, à la fin de ce récit, Jésus leur ordonne de « ne parler de cette vision à personne avant que le Fils de l’Homme soit ressuscité d’entre les morts » (Mt 17, 9). Mais en manifestant sa gloire sur la montagne de la transfiguration, Jésus veut néanmoins préparer leur cœur à ce qu’ils vont vivre. C’est pourquoi la liturgie de l’Église place ce récit de la Transfiguration à la deuxième étape de notre chemin vers Pâques, en ce deuxième dimanche de Carême.
Lors du premier dimanche, nous avons médité sur les tentations de Jésus au désert. Nous avons pu mieux comprendre que Jésus est vraiment un homme. Il partage notre condition, il est, comme nous, éprouvé dans sa liberté et doit l’exercer pour rester fidèle à son Père, comme nous essayons de le vivre au cours de ce temps de conversion. La liturgie de ce deuxième dimanche nous propose en quelque sorte une approche inverse : percevoir que dans cet homme, Jésus de Nazareth, Dieu lui-même est présent ! Les disciples connaissent bien Jésus avec qui ils vivent et qu’ils accompagnent depuis plusieurs mois ou plusieurs années. Ils ont vu les signes qu’il accomplit et ont entendu son enseignement. Mais qui est-il vraiment ? Est-il plus qu’un prophète ou un homme qui fait des miracles ? Est-il simplement envoyé par Dieu pour exhorter le peuple ? Que signifie au juste la profession de foi de Pierre lorsqu’il dit à Jésus : « tu es le Christ, le Messie, le Fils du Dieu-vivant » ? Reconnaît-il simplement que Jésus est quelqu’un d’exceptionnel ?
C’est pourquoi, au cours de cette montée vers Jérusalem, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène à l’écart. Ce qui va leur être dévoilé n’est en effet pas destiné à tout le monde, mais seulement à ceux qui seront les témoins de sa résurrection. Comme dans d’autres passages de la Bible, Dieu donne les signes de sa présence : une lumière « comme le soleil », des vêtements « blancs comme la lumière », une nuée lumineuse… A travers ces signes, il est révélé à Pierre, Jacques et Jean qu’en Jésus de Nazareth, c’est Dieu lui-même qui est présent. La présence divine est garantie par l’apparition de Moïse et d’Elie, qui, dans l’histoire du peuple d’Israël, ont fait eux-mêmes l’expérience de la rencontre du Dieu vivant dans l’épisode du buisson ardent (Ex 3) et de la théophanie de l’Horeb (1R 19).
Mais que doivent-ils comprendre de cet événement merveilleux ? La parole venant de la nuée, la parole de Dieu lui-même, leur est adressée pour expliquer le sens de ces signes extraordinaires : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis tout mon amour, écoutez-le » (Mt 17, 5). Cet homme que les disciples connaissent bien est aussi le Fils bien aimé du Père éternel. Déjà, au moment du baptême de Jésus, une voix venue des cieux avait dit : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ». Dieu désigne à nouveau Jésus de Nazareth comme son Fils bien-aimé, mais cette fois-ci il le montre dans la lumière de la gloire pour que les disciples qui ont vu cette lumière et entendu cette parole ne les oublient pas quand ils vont voir Jésus arrêté, torturé et défiguré quelques semaines plus tard ; pour qu’ils sachent que celui qu’ils verront ainsi dans l’extrême faiblesse de son humanité est le Fils de Dieu qui ressuscitera dans sa gloire.
Comment, nous-mêmes, dans ce temps de conversion et dans notre cheminement vers Pâques, pouvons-nous être fortifiés par la méditation de ce récit de la transfiguration ? Nous sommes invités à entrer dans la démarche des disciples devant le Christ transfiguré, c’est-à-dire à reconnaître la présence et la force de la vie divine dans notre simple existence humaine. Nous ne sommes pas Fils de Dieu à la manière de Jésus, mais nous sommes bien devenus par notre baptême fils et filles bien-aimés du Père par adoption, à travers les faiblesses de notre vie humaine. Comme pour Jésus de Nazareth, notre filiation divine n’est pas visible. Mais en dépit de la pauvreté de ce qui se voit, notre relation profonde avec Dieu le Père, le choix qu’Il a fait de nous pour être ses enfants, la vie divine que nous avons reçue au baptême et à laquelle nous sommes appelés à nous conformer de plus en plus ; tout ceci forme la réalité profonde de chacune de nos existences.
Etre chrétien ce n’est pas vivre des choses extraordinaires. C’est partager la destinée humaine en étant habité de manière invisible par la force et la vie de Dieu. Nous faisons croître cette communion à la vie de Dieu en écoutant la Parole du Christ et en accueillant ce qu’Il nous dit comme une lumière qui nous guide. « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis tout mon amour, écoutez-le » (Mt 17, 5). Sa parole nous révèle la réalité invisible de notre existence. Elle nous rend confiance dans la capacité de la grâce reçue au baptême à transformer et même à transfigurer notre vie. Par la grâce, cette dignité habituellement cachée est même rendue perceptible, non par des signes extraordinaires mais à travers notre manière de vivre et d’être avec les autres, à travers la transformation de notre existence personnelle, à travers notre relation au monde et à travers l’espérance que nous avons en face de la mort.
Frères et sœurs, dans notre chemin vers Pâques, nous recevons cette espérance que la vie de Dieu qui habite notre cœur peut transformer aussi notre vie et nous donner de franchir l’épreuve de la mort avec le Christ pour ressusciter avec Lui. Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, Archevêque de Paris.