À propos des affaires Lambert et Bonnemaison
Paris Notre-Dame du 3 juillet 2014
P. N.-D. – La question de l’euthanasie refait surface dans l’actualité de notre pays, avec la concomitance des affaires Lambert et Bonnemaison.Que pointent-elles du doigt ?
Cardinal André Vingt-Trois – Ces deux affaires ne sont liées que par l’actualité, mais il ne s’agit évidemment pas de la même situation. La cour d’assises qui a examiné le cas du docteur Bonnemaison a rendu un jugement « ordinaire », tandis que l’arrêt du Conseil d’État est une prise de position sur la légalité de décisions prises antérieurement, qu’il ne juge pas sur le fond. L’amalgame a consisté à faire croire qu’il s’agissait à chaque fois de la question de l’euthanasie, or les deux situations sont très différentes.
P.N.-D. - Le tribunal a acquitté le docteur Bonnemaison, qui a pourtant volontairement causé la mort de plusieurs patients par des injections létales. Pour quelle raison ?
Card. A.V.-T.– Il me semble que le tribunal a plus jugé les intentions de ce médecin que la matérialité de ses actes, c’est-à-dire qu’il a exclu tout projet criminel et retenu la volonté de « soulager ». Mais cela n’efface pas les actes posés qui existent toujours. Le fait qu’une loi interdise l’euthanasie permet précisément de ne pas passer aux actes et de prendre conscience des motivations qui pousseraient à poser un tel acte. Ici, on joue sur le levier de la « compassion ». Mais on pourrait imaginer des euthanasies pour des raisons d’intérêt ou autres. Sur ce registre de la « compassion », il y a quelques années à Versailles, une infirmière jugée pour des actes similaires n’avait pas bénéficié de la même clémence. C’est le jeu habituel des tribunaux, et particulièrement des tribunaux populaires. Derrière tout cela, c’est évidemment la question de la légitimité de donner la mort à quelqu’un qui est posée.
P. N.-D. - Concernant le cas de Vincent Lambert, on se retrouve face à une situation complexe, dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a suspendu l’arrêt du Conseil d’Etat demandant la suspension de l’alimentation et de l’hydratation du malade. Qu’est-ce qui est en jeu ?
Card. A.V.-T. – La Cour européenne des droits de l’homme va examiner le dossier. Par ailleurs, il faut lire attentivement les attendus de l’avis du Conseil d’État. Ils sont tout à fait précis. Le Conseil a jugé un cas particulier et non une situation générale. Deuxièmement, il insiste sur le fait que l’état de conscience minimale, demoindre conscience ou même d’absence totale de signes de conscience n’abolit pas le droit à la vie des malades et que ce n’est pas une raison pour donner la mort. Troisièmement, son arrêt repose sur la question débattue de savoir si l’alimentation et l’hydratation sont considérées comme un traitement. Si elles sont un traitement, l’alimentation et l’hydratation peuvent dans certaines circonstances relever d’un acharnement thérapeutique. Si elles sont des soins de confort, elles épargnent au malade une souffrance aiguë. Le Conseil d’État a estimé que, dans le cas précis de Vincent Lambert, l’hydratation et l’alimentation s’apparentaient à des traitements et que le médecin pouvait juger qu’il y avait obstination déraisonnable. C’est dans ce cadre que le Conseil d’État a suspendu l’arrêt rendu à Reims. Il n’a pas tranché sur le fond. Il ne peut donc être question d’un arrêt qui ferait jurisprudence. • Extraits de l’entretien du cardinal Vingt-Trois du 27 juin 2014 sur Radio Notre Dame