À St-Médard, le chemin de croix s’apprête à retrouver ses lettres de noblesse
Paris Notre-Dame du 16 novembre 2023
Cette année, le Grand Prix Pèlerin du patrimoine récompense, notamment, un chemin de croix, celui de la paroisse St-Médard. Réalisé au début du XXe siècle, il a pour particularité d’avoir été créé par un collectif de trois femmes peintres : Marthe Flandrin, Simone Flandrin-Latron et Simone Lorimy-Delarozière.
Pas de grands cris, pas de grands pleurs, ni de grands gestes. Dénudé jusqu’à la taille, le Christ apparaît grave, triste mais sobre. Les mains ouvertes, comme abandonné. Cette station de ce chemin de croix de la paroisse St-Médard (5e) est à l’image des treize autres. Mort d’ordre : simplicité, sobriété, y compris dans les couleurs choisies. Pas de rouge éclatant ni de jaune vif : mais de l’ocre, des pastels, des tons doux. Pour l’époque, c’est un vrai parti pris. Le chemin de croix de St-Médard est réalisé au début du XXe siècle, autour de 1935. L’art sulpicien se démode alors de jour en jour, taxé de « mièvre » ou de « sentimentaliste ». En matière religieuse, des peintres comme George Desvallières ou Maurice Denis proposent d’autres visions, allègent les traits, épurent le style, et ouvrent, en 1919, les fameux Ateliers d’art sacré. Leur but : renouveler l’art chrétien. Leur mode opératoire : le compagnonnage. Les artistes membres travaillent souvent à plusieurs. Et, fait notable, certains sont des femmes. Parmi lesquelles : Marthe Flandrin, Simone Flandrin-Latron ou encore Simone Lorimy-Delarozière. Trois femmes à qui a été confiée la réalisation du chemin de croix de la paroisse St-Médard.
« C’est rare qu’un chemin de croix soit fait à plusieurs mains, souligne Josette Saint-Martin, membre de la Commission diocésaine d’art sacré travaillant actuellement à une thèse centrée sur les chemins de croix. Et encore plus que celles-ci soient féminines. » Pas un style de l’une ne prend le pas sur celui d’une autre. On sent la volonté de servir le sujet en mettant de côté une éventuelle envie de briller. « Il n’y a pas d’éclat, pas d’anecdotes, pas de pathos », relève Josette Saint-Martin. Pour elle, cette sobriété sert et favorise la méditation. « Ici, les peintres insistent sur la nature humaine du Christ. Les costumes par ailleurs sont intemporels. Cela permet une plus grande identification du fidèle à ce qu’il voit, une plus grande proximité et favorise donc la prière. »
C’est d’ailleurs le but du chemin de croix en tant que tel. Dès le XVe siècle, les pèlerins européens partis sur les pas de Jésus en Terre sainte, reviennent très marqués par cette expérience spirituelle et sensorielle et décident de la partager : des sanctuaires sont parfois érigés dans des couvents afin de vénérer les différents moments de la passion du Christ. Les franciscains de Jérusalem leur emboîtent le pas. En 1731, le pape Clément XII permet l’érection des chemins de croix dans n’importe quel lieu à la seule condition que ceux-ci soient faits par un franciscain – condition qui sera levée plus tard. Deux styles apparaissent alors : le chemin de croix évangélique doté de stations tirées de la Bible, et le chemin de croix traditionnel qui comprend, lui, quatorze stations, dont certaines dépeignent des épisodes non présents dans l’Évangile – comme Véronique essuyant le visage du Christ – qui suscitent l’identification du fidèle. Celui de St-Médard est de ceux-ci.
Fortement abîmés par le temps, les tableaux – peinture à l’huile sur bois – sont craquelés à divers endroits. La restauration, qui devrait commencer dans les semaines à venir, grâce au Prix Pèlerin de la création et de la rénovation d’églises 2023 financé par les Chantiers du Cardinal, devrait pouvoir leur redonner sinon un éclat, du moins leurs lettres de noblesse.
Isabelle Demangeat @LaZaab
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