Akedia ou la soif de Dieu
Paris Notre-Dame du 18 mai 2023
Admirablement incarnée et jouée, la pièce Akedia le diable au désert d’Adrien Candiard, mise en scène et en musique avec sobriété et relief par Francesco Agnello, musicien et émule de Peter Brook, donne à voir un âpre combat spirituel entre Satan et un Père du désert fragilisé par le renoncement d’un disciple aimé et la tentation de l’acédie. Un texte d’une singulière puissance.
La nuit tombe doucement sur la chapelle N.-D. des Anges (6e). Un fin rideau de lin tendu sépare le chœur de l’autel, un unique projecteur au centre éclaire un tabouret où vient s’asseoir le metteur en scène et musicien Francesco Agnello, le visage dans l’ombre de son instrument. De part et d’autre figurent deux petites estrades, surmontées chacune d’un tabouret. L’air grave, il commence à jouer d’un instrument brillant et mystérieux, à la fois son et percussion. Il est comme l’aiguille au milieu d’une balance. Surgissent alors deux hommes aux pieds nus, un plus jeune en chemise couleur de nuit, l’œil rusé sous ses boucles noires, et un plus âgé, mince au regard clair vêtu d’un burnous rêche. Un combat ardu s’annonce. « Père ! Père ! », répète bras en croix et dans un rictus jubilatoire le jeune homme aux boucles noires, « Apprends-moi à renoncer au monde ! Enseigne-moi la lutte, cet appel du désert, ce besoin de Dieu ! », parodie Satan, regard en coin, pour juger de son effet. « L’Écriture ne dit-elle pas : ne te dérobe pas à celui qui est de ta propre chair ? » Mais juché sur son estrade, impassible, le Père du désert regarde au loin, l’acier bleu de ses yeux éclairant son horizon intérieur. Il baisse la tête et poursuit sans s’interrompre le tressage d’un panier ouvert. « Tu t’y prends mal », répond-il sans se tourner vers l’adversaire. « Je t’ai reconnu dès ton arrivée, je te connais bien après tant d’années. »
Un combat et un chemin spirituel
D’un jeu enlevé, admirablement incarné, Jules Meary qui joue Satan livre une bataille fulgurante et sans merci au moine interprété par Gérard Rouzier, que l’usure des années de solitude dans le désert et l’échec récent de l’accompagnement spirituel d’un jeune disciple menacent de faire basculer dans l’acédie. « Un beau matin vous vous rendez compte qu’il n’y a rien de plus vrai que son silence et qu’Il s’est bien moqué de vous », grince Satan dont la toile complexe semble se resserrer et prendre à la gorge l’anachorète qui chancelle au bas de l’estrade. Il se relève néanmoins pour un volte-face ultime : « Tu m’as tout pris, tout ce que je croyais avoir, tout ce qui n’était pas Dieu », réalise à voix haute le Père avant de poursuivre, le regard brillant et pur, « mais il me reste la soif. C’est ce qu’il y a de plus profond en moi. Je n’ai pas d’autre raison d’être ! » Le retournement est doux et implacable, comme le rideau couleur sable qui se lève au moment des applaudissements et laisse paraître l’autel.
Dans le rôle de Satan tous les lundis, Jules Meary qui a travaillé son rôle mot à mot avec Francesco Agnello « comme lorsqu’on apprend à se servir d’un nouvel instrument », explique-t-il, se dit soufflé par l’impact du texte sur les spectateurs avec qui le cadre de la chapelle permet une grande proximité : « Certains ont du mal à soutenir mon regard », confie-t-il. Ce que corrobore Gérard Rouzier, qui salue la force de ce texte qui « touche au cœur de quelque chose de connu pour tous ceux qui sont sur un chemin spirituel ». Interrogées au sortir de la pièce, Yvonne, diplômée en théologie, retraitée au carré blanc, accompagnée de sa nièce Anne-Laure, 30 ans, sont bouleversées par la vigueur de la pièce. « Le jeu des acteurs est excellent et leur physique joue parfaitement. C’est une pièce réconfortante et pleine d’espérance ! », s’enthousiasment-elles.
Mathilde Morandi
– Voir Théâtre “Akedia, le diable au désert”.
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