Au Liban, chaque jour subit sa peine

Paris Notre-Dame du 30 mars 2023

Plus de deux ans après l’explosion au port de Beyrouth, qui a plongé le Liban dans une crise sans précédent, Mgr César Essayan, vicaire apostolique de Beyrouth pour les catholiques de rite latin, s’exprime sur le quotidien des Libanais et ce qui nourrit son espérance.

Mgr César Essayan est vicaire apostolique de Beyrouth (Liban) pour les catholiques de rite latin.
© Constance du Coudert

Paris Notre-Dame – Quelle est la situation actuelle du Liban ?

Mgr César Essayan – Le Liban est dans une situation profondément chaotique qui se dégrade chaque jour davantage. Les Libanais vivent au jour le jour, les yeux rivés sur leur portable pour suivre, grâce à diverses applications, le taux de change de la livre libanaise en dollar, qui varie d’une heure à l’autre sans aucune logique scientifique. Au supermarché, par exemple, où les prix sont affichés en dollars, il n’est pas rare que le taux de change en vigueur, indiqué au-dessus de la caisse, ait changé le temps de vos courses. Il est donc impossible de savoir le vrai prix des choses ou d’anticiper ses dépenses. Il n’est, par ailleurs, toujours pas possible de retirer de l’argent des banques ; moi-même, évêque, je ne peux pas retirer plus de quinze millions de livres libanaises par mois, ce qui correspond actuellement à quinze dollars. Les salaires ont été divisés par deux, tandis que les prix de la nourriture, de l’électricité ou du logement ne cessent d’augmenter… 90 % de la population libanaise vit sous le seuil de pauvreté. Beaucoup de gens ne peuvent plus se nourrir ; beaucoup d’enfants ne vont pas à l’école tous les jours car leurs parents n’ont plus d’essence pour les trajets, ou pas de quoi leur faire un sandwich. Le chômage touche 50 % de la population, poussant de nombreux Libanais à fuir le pays, au péril de leur vie, tandis qu’une partie de la jeunesse sombre dans l’alcool, la drogue et la violence. À cette situation tragique s’ajoute une pression migratoire, avec la présence de deux millions de Syriens sur le sol libanais, dont ni le président syrien ni les Européens ne veulent. Les accueillir sur notre sol est un défi bien au-dessus de nos forces économiques, sanitaires ou logistiques, ce qui engendre une violence croissante à l’égard des migrants.

P. N.-D. – Quel est le rôle des chrétiens dans ce pays ?

C. E. – La vocation des chrétiens ne dépend pas de leur nombre ou de leur force, mais de leur foi dans l’identité de ce pays ; pays « message » comme l’ont qualifié les derniers papes, pays pluriel, terre de liberté et de mixité. Les chrétiens permettent cette mixité, en étant présents dans les villages multiconfessionnels. Les institutions chrétiennes – écoles, hôpitaux ou dispensaires – jouent aussi un grand rôle dans tout le pays, en étant au service de toute la population, sans considération d’appartenance religieuse. En d’autres termes, les chrétiens sont comme le squelette qui fait tenir le Liban debout.

P. N.-D. – Quelle issue politique peut-on espérer ?

C. E. – Je n’en vois aucune se profiler à l’horizon, et s’il y en a une, il me semble évident qu’elle se joue à un niveau qui nous échappe totalement. Malgré les révoltes de la population et les changements à la tête de l’État, la corruption est toujours présente. Nous pensions que l’accord maritime entre le Liban et Israël allait entraîner un renouvellement politique, mais rien ne s’est passé et la situation a encore empiré… Nous sommes, à bien des égards, des victimes de la corruption, mais nous devenons corrompus à notre tour. Ce mal que nous subissons est en train de nous ronger de l’intérieur et pourrait avoir raison de nous tous, avec cette tentation du « sauve-qui-peut » qui gagne peu à peu la population…

P. N.-D. – Qu’est-ce qui nourrit votre espérance ?

C. E. – Je place mon espérance dans tous ces Libanais qui n’ont pas renoncé à vivre ici et qui luttent chaque jour pour sauvegarder ce qu’il y a de plus beau dans ce pays, convaincus qu’un jour, tel le phénix, il renaîtra de ses cendres. Une jeunesse s’engage résolument pour ce pays. Nous le voyons, par exemple, grâce au Hope Center, créé par l’Œuvre d’Orient et l’Agence Française du développement (AFD), qui permet de financer des petites initiatives créatrices de quelques emplois. Ces petites gouttes d’eau sont porteuses d’une grande espérance pour l’avenir et nous font dire que si l’État s’effondre, ce n’est pas le cas du Liban lui-même. Nous avons aussi touché du doigt, grâce aux nombreux dons, cette très belle solidarité humaine, qui nous laisse penser que nous ne sommes pas seuls dans notre détresse. J’y vois aussi la providence de Dieu, qui s’exprime à travers tant de visages humains.

Propos recueillis par Charlotte Reynaud

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