Chrysalide et contemplation
Paris Notre-Dame du 21 septembre 2023
L’Arbre aux papillons d’or de Pham Thiên Ân. Vietnam. Thien se voit confier la tâche de ramener le corps de sa belle-sœur, décédée en moto, dans leur village natal, accompagné de son neveu Dao (5 ans), qui a miraculeusement survécu à l’accident. Un voyage initiatique et spirituel, à la recherche du frère aîné.
Le vainqueur franco-vietnamien [1] de la Caméra d’Or au Festival de Cannes 2023 nous propose une longue déambulation (près de trois heures !), qui commence dans la moiteur tranquille d’une soirée de Saïgon. On ne sait pas vraiment qui parle, où va la conversation. Au loin, quelques scooters. Un monde clos, tangent au monde extérieur et à l’abri de ses douleurs. Jusqu’à ce que…
La caméra procède d’abord par lents travellings latéraux, faisant se succéder divers espaces tels des panneaux, avec parfois une cloison, un grillage ou une porte étoffant la profondeur comme autant de paravents. Un sentiment de dérive ininterrompue mais aussi de contemplation attentive, où les surprises se manifestent sous de multiples formes. Un oiseau surgit sur le rebord d’une fenêtre, des buffles regardent soudain la caméra, les aiguilles lumineuses d’un réveil trouent la nuit, une fenêtre ouvre sur une pénombre où un vieillard se raconte, un coq en attaque un autre ; sans cesse, le hors-champ se fait sentir.
Peu à peu, néanmoins, celui qui s’abandonne s’aperçoit que la caméra évolue aussi de plus en plus dans la profondeur. À mesure que s’accroît cette dimension longitudinale, le temps prend de plus en plus d’importance et la thématique se complexifie : après la mort de sa belle-sœur, le jeune homme [2] qui essaie de retrouver son frère enfui pour lui faire rencontrer son fils désormais orphelin prend conscience de la brièveté des choses et de la nécessité des choix, sans pourtant savoir à quoi se raccrocher ou à qui se confier. Plus il essaie d’être concret, plus aussi la dimension onirique du récit grandit, en un paradoxe qui n’est qu’apparent. Où va-t-il ? La question restera en suspens.
À la fin, les mouvements de caméra se combinent et se complexifient jusqu’à entourer littéralement le personnage principal, pour aboutir à un bref instant miraculeux. Le cocon du quotidien s’est fait chrysalide, un papillon peut en sortir.
Si le film vaut essentiellement par son style, signalons cependant trois éléments parmi les thématiques qui s’entrecroisent. D’abord, la correspondance entre l’inattendu qui ne cesse de poindre dans la monotonie des images et les dimensions toujours imprévisibles de la vie humaine. Ensuite, l’omniprésence du christianisme, avec une réflexion lancinante sur la crédibilité du témoignage chrétien, ce qu’il peut apporter, ce qu’il exige ; à chacun d’insérer sa réponse. Enfin une inoubliable méditation sur l’attirance amoureuse, divisée en deux scènes miroirs, qui compose comme le centre du film. La condensation des paradoxes n’a ici d’égale que la puissance d’évocation de la mise en scène.
On l’aura compris, ce film constitue un exercice de contemplation parfois éprouvant, tant par son rythme que par son parti-pris d’irrésolution. Mais ces espaces interminablement étirés et ce temps dilaté s’ouvrent aussi, par la magie de la caméra, sur l’avènement d’une grâce. À qui a vu des papillons, comment ôter l’espoir d’une métamorphose ?
P. Denis Dupont-Fauville
Retrouvez la version longue de cette
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[1] L’Espagne et Singapour interviennent également dans la coproduction.
[2] Thien, qui porte le même nom que le réalisateur (Pham Thiên Ân)
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