Texte de la Conférence de carême de Notre-Dame de Paris du 3 avril 2022
Le dimanche 3 avril 2022, Mgr Jean-Louis Bruguès a donné sa cinquième conférence de carême de Notre-Dame de Paris intitulée “Une sorte de divine étincelle” du cycle 2022 “… voici la lourde nef”.
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Texte de la conférence
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Les conférences seront publiées dans un livre aux éditions du Cerf.
Une sorte de divine étincelle
Voir Dieu. Ne pourrait-on soutenir que celui qui entre dans une église, croyant ou non, consciemment ou même sans s’en rendre compte, cherche à voir Dieu ? Dans la Bible, le désir de voir Dieu traverse toute la première alliance. Arrivé sur la montagne pour tenter d’apaiser la colère divine, après la trahison du veau d’or, Moïse adresse cette prière au Seigneur : « Fais-moi le grâce de voir ta gloire » ; mais il s’attira cette réponse : « Quand passera ma gloire, je te mettrai dans la fente du rocher et je te couvrirai de ma main jusqu’à ce que je sois passé. Puis j’écarterai ma main et tu verras mon dos, mais ma face, personne ne peut la voir » (Ex 33, 18 & 22-23). Les prophètes rattachent ce désir au Temple et au culte. « Je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire », raconte Isaïe (Is 6, 1), tandis qu’un Ézéchiel navré assiste au reflux de la présence divine : « La gloire du Seigneur sortit de sur le seuil du temple et s’arrêta sur les chérubins. Ceux-ci levèrent leurs ailes et s’élevèrent de terre à mes yeux… » (Ez 10, 18). Il ne restera plus au psalmiste qu’à formuler un dernier voeu : « Une chose que je demande au Seigneur, la chose que je cherche, c’est d’habiter sa maison tous les jours de ma vie et de savourer sa douceur… » (Ps 24,4). Comment représenter celui qui jalousement cache sa face ? Aussi, comme nous l’avons vu, la loi mosaïque interdisait-elle d’en donner une quelconque figuration.
Et le Verbe s’est fait chair. Ce à quoi avaient aspiré les prophètes d’Israël, ce que Abraham n’avait aperçu que de très loin, mais dont il se réjouissait, celui que les prêtres servaient dans le Temple sans pouvoir lever les yeux, apparaît désormais en pleine lumière. L’ancienne interdiction est levée et les aveugles recouvrent la vue, tandis que l’Évangile est annoncé (Mt 11, 58) : « Heureux les yeux qui voient » les gestes de Jésus et contemplent enfin son visage. La gloire passagère que les Anciens n’avaient fait que deviner rayonne, désormais sans voile, en la personne du Christ : « Nous avons vu sa gloire, assurent ses disciples, la gloire du Fils unique » (Jn 1, 14). Mieux encore, alors que certains réclament encore de voir le Père, le Christ répond dans ce que l’on a appelé le discours des adieux : « Je suis dans le Père et le Père est en moi (…). Qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14, 9 & 11). Le Verbe incarné devient désormais la « lumière du monde » (Jn 8, 12).
Voir Dieu par la grâce du mystère chrétien : tel est le propos de toute liturgie célébrée dans une église. La liturgie a toujours soulevé des passions, on le sait bien, dans notre pays plus qu’ailleurs peut-être. En réalité, ces passions ne font qu’en souligner, plus que l’importance, l’absolue nécessité pour qui s’attache à vivre de la foi. Allons donc au plus simple. S’appuyant sur le grand mouvement liturgique qui l’avait précédé, Pie XII proposa, dans son encyclique Mediator Dei, publiée en 1947, une définition qui nous marque encore : « La sainte Liturgie est le culte public que notre Rédempteur rend au Père comme chef de l’Église ; c’est aussi le culte rendu par la société des fidèles à son Chef et, par lui, au Père éternel ; c’est, en un mot, le culte intégral du Corps mystique de Jésus- Christ… ». Après avoir rappelé dans une phrase demeurée célèbre que, dans l’Église, « ce qui est humain est ordonné et soumis au divin ; ce qui relève de l’action, à la contemplation, et ce qui est présent à la cité future que nous recherchons », le Concile de Vatican II, apporte des précisions éclairantes avec sa Constitution Sacrosanctum Concilium : « … la liturgie édifie chaque jour ceux qui sont au-dedans (de l’Église) pour en faire un temple saint dans le Seigneur, une habitation de Dieu dans l’Esprit… » (§ 2). Elle représente le sommet et la source de la vie de l’Église (§ 10) : « Dans la liturgie terrestre, nous participons par un avant-goût à cette liturgie céleste qui se célèbre dans la sainte cité de Jérusalem vers laquelle nous nous dirigeons comme des voyageurs (sur terre)… » (§ 8).
Pas d’Église – au sens de communauté des croyants - sans culte donc ; traduisons : pas d’église de pierre sans liturgie. La célébration liturgique, principalement la célébration eucharistique, représente la raison unique et exclusive de nos églises. Sans elle, nos sanctuaires deviennent des coquilles vides, des maisons sans âme, des temples désertés par l’Esprit. On éprouve cette impression lorsqu’il nous arrive de visiter des monastères, après que les contraintes de l’Histoire aient obligé ses religieux au départ, à l’exil peutêtre. Certes, les murs ont été conservés et nous pouvons toujours admirer leur architecture, ressentir même quelque chose de la paix que des siècles de prières ont imprimée jusque dans les pierres, mais la sensation de vide étreint le cœur. Ces murs n’ont pas été édifiés pour cela. On aura beau y multiplier des activités à caractère culturel, y donner des concerts ou des conférences : on comprend que ce ne sont là que des vestiges, des ossements desséchés, pour reprendre l’image du prophète Ezéchiel...
Ainsi, deux menaces pèsent de nos jours sur nos églises ; elles proviennent toutes deux d’un souci de mémoire porté à son incandescence. Tant d’églises détruites au cours de notre Histoire, tant d’œuvres d’art vandalisées ou réduites en cendres : on pourrait désigner le premier risque sous l’expression de « syndrome de Cluny ». Cluny, la plus grande, la plus belle des églises d’Occident, dépecée pierre après pierre sous la Révolution – mais la vérité oblige à dire que les moines avaient commencé à le faire dès le début du siècle -, puis rasée presque totalement sur ordre de Napoléon : plus jamais ça, s’exclament les amateurs d’art et d’histoire ! La passion de la conservation, depuis les espèces animales jusqu’aux oeuvres d’art, caractérise une société qui ne se résigne pas à admettre que l’Histoire est tragédie. Conserver : ainsi sont nés des espaces culturels qui ramassent sur un rocher dominant la baie de l’Hudson, à New-York, des églises et des cloîtres venus de chez nous ; ainsi se sont multipliés jusque dans nos villes les plus petites des musées qui donnent à voir des œuvres religieuses retirées de leur affectation initiale et désormais muettes, vitrifiées et comme naturalisées. Après la chute du régime soviétique, alors que l’Église de Russie s’éveillait du lourd cauchemar des persécutions, elle osa réclamer les icônes qui lui avaient été confisquées et qui figuraient, pour les meilleures d’entre elles, dans des musées, afin de leur redonner sens et les réinsérer dans la vie liturgique : un conflit éclata mené par ceux qui redoutaient que cette nouvelle existence ne portât atteinte à leur intégrité. Conserver une œuvre sacrée, édifice ou objet, relève d’une préoccupation jugée légitime dans une société sécularisée pour qui le ciel est vide et la religion sans grand avenir ; mais la sanction est terrible pour l’œuvre : on lui retire sa vie. « Les objets de la foi… depuis qu’on les regarde comme des œuvres d’art ne servent plus à rendre l’espérance, la foi et la charité, le salut à quiconque, depuis que nul ne prie devant eux, n’implore plus aucune intercession auprès de Dieu, Père, Fils et Esprit » (Dominique de Courcelles).
Le second risque, plus subtil que la reductio ad museum, est aussi plus redoutable. Certaines églises offrent une telle qualité artistique dans leur architecture ou les joyaux qu’elles recèlent, qu’elles attirent les déferlantes d’un tourisme de masse qui ne manquera pas de bousculer la vie liturgique. En plusieurs cathédrales d’Italie, une seule chapelle est réservée à la prière, tandis que l’ensemble du sanctuaire se voit abandonné à une foule ayant versé un droit d’entrée, souvent sans culture religieuse, qui n’entre dans un lieu devenu pour elle hermétique que pour y réaliser de belles photographies-souvenir. Il arrive aussi que l’Histoire ait honoré certaines églises d’une valeur symbolique particulière parce qu’elles sont associées à des événements qui marquent la mémoire collective. Notre-Dame de Paris porte à l’excellence ces deux catégories. On assiste alors à la montée en puissance d’une conscience patrimoniale où se mêlent, dans une proportion variable, le souci de la culture et une certaine recherche d’identité. On cherche donc à entourer ces édifices d’une protection particulière, exorbitante du droit commun, pour les ouvrir au plus grand nombre. A pas feutrés, lentement, mais, semble-t-il, de manière inexorable, ce que l’on a appelé la « patrimonialisation » repousse la vie liturgique, lui assignant des dates et des horaires, au point d’en faire une activité secondaire et – pourquoi pas ? – un motif supplémentaire de curiosité touristique. Un écrivain contemporain qui a rédigé sur les couleurs les ouvrages les plus inattendus, le confessait récemment : « En ce lieu unique (Notre-Dame de Paris), culture et tourisme ne semblent pas compatibles (…). Moi qui suis historien et chrétien, catholique qui plus est, (…) il ne me viendrait jamais à l’idée d’entrer dans Notre-Dame pour y prier : non seulement la cathédrale a été abandonnée au tourisme de masse, mais elle a été confisquée par la République… » (Michel Pastoureau).
Ainsi, avec les meilleures intentions du monde, l’Église de France risque de se voir petit à petit dépossédée de ses églises les plus prestigieuses, autrement dit les plus populaires. Il ne faut pas en douter : l’Église joue sa place dans une société qui, tout oublieuse qu’elle soit de ses origines chrétiennes, s’interroge plus que jamais sur sa mémoire et son identité. Ses activités catéchétiques, caritatives et sociales, dont personne ne songerait à nier l’absolue nécessité, seront insuffisantes à la faire connaître, plus exactement, à la faire reconnaître. Pas d’Église sans culte, disions-nous en commençant aujourd’hui, pas d’Église sans temple de pierre : il n’y eut jamais de culte dans les catacombes. Aussi la conférence précédente se hasardait-elle à formuler un vœu : « Si le message de l’Église ne parvient plus guère en lui-même à toucher l’opinion d’une société sécularisée, n’est-il pas légitime d’avancer que les pierres pourraient devenir les points d’ancrage d’une nouvelle évangélisation ? »
Dans une allocution prononcée en mars 2000, Jean- Paul II ouvrait une voie : « (…) le patrimoine culturel dans ses multiples expressions (…) constitue une composante très importante dans la mission évangélisatrice et de promotion humaine qui est le propre de l’Église ». Vingt ans plus tard, ce qui était déjà jugé « très important » est devenu prioritaire.
Pour l’admettre, il faudrait d’abord surmonter l’espèce de soulagement qu’éprouvent de nombreuses communautés chrétiennes de voir portée par les pouvoirs publics la charge d’un tel héritage, quand l’argent vient à manquer et que les forces vives se sont amenuisées. Il faudrait ensuite reconnaître que la baisse de la culture générale et que la dissolution de la culture chrétienne chez les croyants eux-mêmes ne leur permettent plus de souscrire au pacte noué par l’Église avec les artistes, depuis les origines de la foi. On juge coupable l’attrait qu’exerce chez les plus jeunes une tradition jugée encombrée du bric-à-brac de représentations imagées. Beaucoup de chrétiens se sont étonnés de l’émotion suscitée par l’incendie de Notre-Dame, comme si une « émotion patrimoniale » bien traitée ne pouvait pas devenir un chemin d’approfondissement du tragique de l’existence, pour parler comme Unamuno, voire de la foi. « Les murs ne nous intéressent pas ! » : combien de fois, a-t-on porté cette antienne tout au long de ma propre vie religieuse ! Eh bien, si, ils nous intéressent. Les murs nous intéressent aujourd’hui plus que jamais !
Car les murs ont une âme. Peu importent finalement les raisons qui conduisent les uns et les autres à s’intéresser à une église. Rien ne les obligeait à le faire, mais voilà : ils y sont entrés et ont pris le temps de la parcourir, de la visiter en détail. Le premier mouvement peut être esthétique ou de simple curiosité, mais la rencontre avec une catéchèse initiatique bien présentée, avec des chrétiens compétents en matière d’art et d’histoire, avec l’inattendu de la grâce, enfin, peut tout transformer, tout convertir (Charles Personnaz). « Un mystère, une présence habite la plus pauvre des églises catholiques, écrivait le cardinal Journet. Elle ne vit pas d’abord du mouvement qui lui apporte le va-et-vient des foules. Elle est elle-même, antérieurement, source de vie et de pureté pour ceux qui franchissent son enceinte ».
La loi fait du clergé l’affectataire exclusif des églises construites avant 1905. A lui de prendre cette fonction avec sérieux, car l’avenir se joue là. Certes, le patrimoine peut devenir un terrain de dialogue fructueux avec les collectivités publiques propriétaires des lieux et les services administratifs chargés de la conservation ; mais ce dialogue peut s’avérer aussi délicat, chacune des parties défendant son approche différente, sinon opposée aux autres. Il revient au clergé ou à ceux qu’il a désignés pour le représenter, de s’appuyer sur les termes mêmes de la loi pour rappeler, à temps et à contre temps, la priorité de la vie liturgique et de la prière. L’archevêque de Paris l’affirmait avec clarté et fermeté, le 15 avril 2020 : Notre-Dame doit rester « celle qu’elle a toujours été, ce pour quoi elle a été bâtie : la louange de Dieu et le salut des hommes (…) Elle invite l’homme au pèlerinage et empêche l’histoire de se refermer dans l’illusion d’un salut intramondain, dans l’idéologie d’un progressisme qui court frénétiquement vers le néant (…). Sa splendeur gratuite attire le peuple des petits et des humbles qui ont droit, eux aussi, à la beauté. Mais elle est infiniment davantage. Elle est d’abord un lieu de culte (…). L’église-mère de la ville nous élève par le Christ jusqu’à la gloire du Père, dans l’unité de l’Esprit » (Mgr Michel Aupetit).
Pour cette raison, un groupe de travail a été constitué sous l’autorité diocésaine. Chargé d’émettre des propositions en vue de la réouverture de la cathédrale, il s’est fixé un triple objectif : « la restitution de l’édifice au culte, la remise à plat du fonctionnement liturgique de la cathédrale en tenant compte des cinquante années d’expérience depuis la réforme liturgique, enfin l’accueil et l’accompagnement des douze millions de visiteurs qui déambulent chaque année sous ses voûtes » (Gilles Drouin). Ce qu’il a fait est remarquable. Il a particulièrement étudié la lumière, puisqu’il a été dit, dimanche dernier, que l’Esprit de beauté se présentait d’abord comme une bienheureuse lumière destinée à éclairer nos cœurs. Alors que nous nous apprêtons à entrer dans la Semaine Sainte, il suggère une modulation originale de l’éclairage selon les jours : sobre pour le Vendredi Saint, serein le Samedi et éclatant à Pâques. S’il convient de saluer l’œuvre de Viollet-le-Duc qui a proprement sauvé la cathédrale, il n’est peut-être pas nécessaire d’en revenir, avec un brin de servilité, à sa vision d’un Moyen Age par trop romantique. Pourquoi ne pas faire revenir à leur place originelle les fameux Mays de Notre-Dame et leur redonner pleine vie ? On se rappelle que la confrérie des orfèvres commandait chaque année à un peintre différent, mais toujours de qualité, un tableau illustrant un motif du mystère chrétien pour l’offrir à sa sainte patronne, en mai, le mois qui lui était consacré. Avec des noms comme Lallemant, Vouet, Champaigne, Sueur, La Hyre ou Le Brun, pour n’en citer que quelques-uns, l’Église savait et pouvait mettre alors au service de sa prédication l’éminente pédagogie de l’art.
Le cadre de vie n’est justement pas un cadre, mais un maître qui forge en nous, par touches successives, une vision du monde et jusqu’aux grands traits de notre personnalité. Le ministère de Pierre s’exerce au milieu de chefs-d’œuvre de l’art, comment n’en serait-il pas influencé ? On ne vit pas, on ne pense pas, on ne gouverne plus de la même manière quand les yeux écoutent les fresques de Pérugin, de Botticelli, de Ghirlandaio ou de Michel-Ange nous inviter à « parcourir avec joie, courage et espérance l’itinéraire de notre propre vie ». Ou encore, quand la musique de Palestrina et d’Allegri accompagne la prière de la Semaine Sainte. Voulez-vous savoir ce qu’est l’Église ? Regardez la majestueuse basilique de Saint-Pierre, regardez la colonnade qui se détache d’elle comme deux bras ouverts pour accueillir l’humanité. Bramante, Le Bernin, Borromini, Maderno « donnent ainsi, à travers des formes plastiques, expliquait Jean-Paul II, le sens du mystère qui fait de l’Église une communauté universelle, accueillante, une mère et une compagne de voyage pour tout homme qui cherche Dieu ».
« Notre ministère est celui de prêcher, disait Paul VI, et de rendre compréhensible, et même émouvant, le monde de l’esprit, de l’invisible, de l’ineffable, de Dieu. Et dans cette opération, vous les artistes… vous êtes des maîtres. C’est votre métier, votre mission ; et votre art est celui de saisir les trésors du ciel de l’esprit et de les revêtir de mots, de couleurs, de formes, d’accessibilité ». Jusqu’à ces expressions étonnamment hardies : « Si votre aide Nous manquait, le ministère deviendrait balbutiant et incertain… ». C’est que l’artiste a reçu de l’Esprit divin une étincelle de sa sagesse éternelle qui l’invite à partager sa puissance créatrice. Le mystérieux artiste de l’univers, l’Esprit créateur que l’Église invoque à chaque moment décisif, Veni Creator, vient à la rencontre du génie humain. L’artiste peut ainsi traverser les apparences, ouvrir une voie vers la transcendance et exprimer l’ineffable. « L’art signifie, selon Hermann Hesse, montrer Dieu en chaque chose ». Il est donc « fait pour troubler, assurait Braque, alors que la science rassure ». « Celui qui perçoit en lui-même cette sorte d’étincelle divine qu’est la vocation artistique – de poète, d’écrivain, de peintre, de sculpteur, d’architecte, de musicien, d’acteur – perçoit en même temps le devoir de ne pas gaspiller ce talent, mais de le développer pour le mettre au service du prochain et de toute l’humanité » (Jean-Paul II, Lettre aux artistes, 4 avril 1999).
Depuis les origines, l’Église a eu besoin des artistes. Elle leur a longtemps demandé de mettre en scène une catéchèse permettant aux gens simples de contempler le mystère chrétien. Dans l’huile sur bois qui a été souvent évoquée au cours de ces conférences, Memling donne à saisir toute l’histoire du salut en deux tableaux seulement. Le Sauveur vient au monde dans une étable délabrée, autrement dit dans un monde rongé par le péché. Les premiers témoins en sont des bergers qui occupent le plus bas de l’échelle sociale : ils approchent avec hésitation et se contentent, avec la délicatesse des humbles, de contempler à travers la fenêtre. L’Évangile s’adresse d’abord à eux, à tous les petits de la terre. Il implique aussi bien les puissants : le second tableau reproduit la caravane des mages, riche d’exotisme, de couleurs et de mouvements. Ces mages au nombre de trois, un blanc, un oriental et un africain, n’hésitent pas à s’agenouiller et le plus ancien, figure de toutes les sagesses du monde, baise les doigts de l’Enfant : l’ancienne Alliance s’incline devant la Nouvelle. En deux tableaux de lecture accessible à tous, le peintre flamand rend compte de la même catholicité que celle, monumentale, voulue par les architectes romains.
L’alliance entre l’Évangile et l’art s’est maintenue à travers les siècles, non sans crise d’ailleurs, comme au moment de la querelle iconoclaste, au VIIIe siècle, quand des puristes se mirent à brûler les icônes, ou lorsque les Réformateurs du XVIe détruisirent églises, fresques et reliques, en quoi ils dénonçaient des formes d’idolâtrie, ou encore peut-être, dans l’après-Concile, où certains clercs s’employaient à purifier la foi de ses pratiques dévotionnelles. Les papes récents invitent à une nouvelle coopération entre ceux qui se réclament de la foi chrétienne et les artistes, quelles que soient leurs convictions personnelles : « Chers amis, je vous encourage à découvrir et à exprimer toujours mieux, à travers la beauté de vos œuvres, le mystère de Dieu et le mystère de l’homme » (Benoît XVI).
C’est que l’Église porte en elle une espérance qui, malgré toutes les sécularisations du monde, ne pourra s’extirper du cœur de l’homme, parce que de nouveaux risques, de nouveaux défis, de nouvelles angoisses pointent toujours à son horizon. « Nous jouirons donc, enseignait S. Augustin, d’une vision, ô frères, jamais contemplée par les yeux, jamais entendue par les oreilles, jamais imaginée par notre fantaisie ; une vision qui dépasse toutes les beautés terrestres, celle de l’or, de l’argent, des bois et des champs, de la mer et du ciel, du soleil et de la lune, des étoiles et des anges ; une beauté qui est la source de toute beauté ». C’est elle, la beauté qui sauve.
Introduction par Mgr Jean-Louis Bruguès
La liturgie représente la raison unique de nos églises. Deux risques les menacent aujourd’hui : les réduire au rang de musées, les conserver comme simples témoignages du patrimoine. Il revient au clergé de prendre très au sérieux son rôle d’affectataire exclusif. Alors que tant d’églises, comme Notre-Dame, ont besoin d’être restaurées, le moment est sans doute venu de nouer entre l’Église et les artistes une nouvelle alliance, puisque leur mission est de saisir les trésors du ciel de l’esprit pour les rendre accessibles à tous (Paul VI).
Chaque dimanche, conférence à 16h30, prière à 17h15, vêpres à 17h45, messe à 18h30 à Saint-Germain l’Auxerrois.
Diffusion en direct à 16h30 sur France Culture ; en différé, à 17h30 sur KTO télévision et à 19h45 sur Radio Notre Dame.