De Lourdes, les prêtres repartent le cœur léger

Paris Notre-Dame du 23 novembre 2023

Lors de l’homélie de la messe chrismale du 5 avril dernier, Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris, a invité les prêtres du diocèse à vivre un temps de rencontre fraternelle à Lourdes, organisé par le service des Pèlerinages du 12 au 16 novembre. Une initiative inédite qui souligne, aussi, l’importance du presbyterium dans la vocation et le ministère du prêtre diocésain. Reportage.

© photolacaze

Deux éléments permettent de juger du succès d’un rassemblement : le désordre au départ et le volume des voix à l’unisson. De fait, le départ depuis la gare Montparnasse s’effectua en ordre dispersé, dans une joyeuse pagaille – et il ne sera pas écrit, ici, que le prêtre est un être dis¬cipliné sur les consignes – tandis que les quelques pèlerins, non Parisiens, présents à la basilique N.-D. du Rosaire de Lourdes (Hautes-Pyrénées) le lundi 13 novembre au matin, furent saisis par la force du chant des laudes. C’est que les prêtres de Paris, ou en mission dans la capitale, ont répondu en nombre à l’invitation de leur archevêque ; ils étaient 310 exactement, évêques, vicaires généraux, curés, vicaires, aumôniers, enseignants, en mission à Paris ou ailleurs, en retraite active, logés à la Maison Marie-Thérèse ou à la résidence Chateaubriand... Un rassemblement riche de sa diversité, où se croisent tous les profils, toutes les générations – de 26 à 91 ans ! – et tous les styles vestimentaires, de la soutane au sweat baskets, sans oublier le costume et le clergyman.
S’ils ont répondu si nombreux à cette invitation, c’est que l’événement est exceptionnel. De mémoire de prêtre parisien, cela ne s’est même jamais vu. Et si beaucoup se souviennent du pèlerinage des prêtres à Ars (Creuse), organisé sur une journée en avril 2010 par le cardinal André Vingt-Trois à l’occasion de l’année sacerdotale, tous soulignent l’inédit de vivre une rencontre fraternelle du presbyterium sur plusieurs jours, loin de leurs paroisses et libérés de leur agenda surchargé. Trois jours – cinq en comptant les trajets – à Lourdes (un sanctuaire cher au cœur d’une bonne partie d’entre eux),
articulés autour de trois demandes de la Vierge à Bernadette : « Me ferez-vous la grâce de venir en ce lieu ? », le lundi 13 novembre, avec la messe à la grotte des Apparitions ; « Allez boire à la source et vous y laver », le mardi 14 novembre, avec la proposition du geste de l’eau et la procession aux flambeaux ; et, le mercredi 15 novembre, cette exhortation « allez dire aux prêtres qu’on bâtisse ici une chapelle et qu’on y vienne en procession », avec le sacrement des malades et la procession au brûloir pour déposer un cierge aux intentions du diocèse de Paris. Le programme quotidien est volontairement léger : laudes et messe le matin, conférence en fin d’après-midi. « Nous avons voulu, rappelle en début de séjour le P. Jacques de Longeaux, vice-président du conseil presbytéral (chargé, entre autres, de l’élaboration du programme), un temps détendu, sans trop de rendez-vous ni d’obligations, afin de pouvoir profiter pleinement de nous retrouver et de vivre un temps de ressourcement spirituel, au rythme du sanctuaire. »

Une soif de vie fraternelle
Un pari osé de l’informel qui fonctionne. Et c’est précisément en ne les organisant pas que des groupes se forment spontanément. Là, l’équipe des footballeurs amateurs du diocèse dispute un match ; ici, une dizaine de marcheurs entreprennent de gravir le sommet du Béout, sur les hauteurs de Lourdes ; plus loin, des prêtres se recueillent à la grotte ; d’autres se mettent au piano de la réception de l’hôtel, ou répètent les chants de la messe du lendemain ; ailleurs, des amis profitent du temps libre pour « enfin » se voir autour d’un verre et partager leur quotidien. « Nous sommes pourtant voisins, confie l’un d’eux, mais nous ne nous voyons jamais, trop absorbés par nos différentes missions. Ce n’est pas toujours facile de sortir la tête de l’eau… » Un sentiment largement partagé ; et il est frappant, pendant ces trois jours sur place, de voir ces centaines de prêtres s’égrener en petits groupes de deux ou trois seulement, signe d’une discussion profonde. « Il y a parfois une forme de snobisme un peu parisien, souligne un autre, qui pousse à rester sur des sujets intellectuels ou à faire de l’esprit, surtout lorsqu’on se croise quelques minutes ; avec ce temps long, ralenti par rapport au quotidien, on a enfin la disponibilité de cœur et d’esprit de se soucier de notre frère et de prendre simplement des nouvelles… c’est tellement précieux ! J’ai été particulièrement touché que l’un de mes amis me confie vivre un moment de grande fatigue ou qu’un autre, que je savais ne pas aller très bien il y a quelques temps, me dise aller beaucoup mieux. On a besoin de cette sollicitude, de cette vigilance et de ce soutien entre nous. »
Une attention à l’autre qui ne se limite pas aux cercles d’amis ou d’affinités. Tous jouent le jeu de la rencontre, notamment lors des repas en commun où les grandes tablées favorisent le brassage des générations. On se demande son prénom, sa mission et son parcours ; on fait des liens entre telle ou telle nomination, et il n’est pas rare que prédécesseurs et successeurs au même poste, à quelques années ou décennies d’écart, se retrouvent par hasard côte à côte. Il faut dire qu’avec un presbyterium de près de 500 prêtres, le clergé parisien a cette particularité de moins bien se connaître que dans d’autres diocèses, à l’équipe plus réduite. Sans compter qu’une partie non négligeable d’entre eux – environ une centaine – est en mission hors du diocèse ; certains sont d’ailleurs venus de loin – Rome, Ars, Lisieux, Bordeaux, etc. – pour vivre ce temps de rassemblement, de même qu’une grande partie de ceux de la Fraternité missionnaire des prêtres pour la ville (FMPV), envoyés en mission en Île-de-France, « profondément heureux de retrouver leur presbyterium pour une petite semaine. » « De messe en messe chrismale, et malgré les journées presbyterium, on se rend compte qu’on ne se connaît pas si bien que ça, affirme un prêtre ordonné il y a plus de dix ans. On connaît ceux de sa génération, ceux qu’on a croisés au Séminaire, dans nos paroisses ou nos divers ministères – et ça fait déjà du monde – mais le presbyterium est bien plus large que notre cercle ! C’est beau de nous voir rassemblés autour de notre archevêque, unis malgré les différences de générations ou de sensibilités ! »

Un temps privilégié avec l’archevêque
Des mots qui trouvent un écho direct avec ceux de l’archevêque de Paris prononcés lors de l’homélie de la première messe, lundi matin : « Je voudrais redire comment nous voulons vivre ce temps que nous avons d’abord voulu être un temps fraternel entre nous : trouver la joie d’être prêtres ensemble, trouver la joie de constituer le presbyterium de Paris. Parce qu’un prêtre n’est jamais tout seul : un prêtre est, avec les autres et autour de son évêque, signe de cette recherche permanente de ce désir d’aller à la rencontre de Celui qui fait le premier pas vers nous. » L’après-midi, une conférence sur la figure du prêtre était donnée par Mgr Ulrich dans la salle de l’hémicycle, comble pour l’occasion ; Après avoir identifié les différents éléments « déroutants » qui mettent à l’épreuve le ministère sacerdotal dans le monde d’aujourd’hui, Mgr Ulrich a poursuivi sa réflexion en exhortant le prêtre à se faire témoin de « la liberté de Dieu, qui continue d’agir avec une souveraine liberté qui ne cesse de nous étonner », de « l’actualité de Dieu » – notamment à travers l’expérience sacramentelle –, de « la réconciliation et la miséricorde de Dieu, qui invite à la trans-formation », ainsi que « de l’amour de l’Église » : « L’adhésion au Christ est une adhésion vraie quand elle est une adhésion communautaire et ecclésiale. » Et de conclure, après avoir souligné « la beauté du ministère de prêtre » qui doit être « porteur d’unité » (et avant de lire un texte sur le prêtre cité par François Varillon, à lire p. III) : « La joie que vous avez depuis hier soir me manifeste clairement combien la joie d’être un presbyterium uni au-delà des différences d’âges, d’opinions de toutes sortes, est une vraie force pour nous, une vraie solidité, une vraie confiance que nous pouvons reconnaître au don que le Seigneur nous a fait en nous appelant. Soyons heureux de cela. »
Cette joie, « très spontanée, intérieure, profondément ancrée de vivre ce temps » selon les mots de Mgr Ulrich, se manifeste de bien des façons. Sonore et visible, à l’image des éclats de rire lors du temps des questions-réponses qui suit l’intervention de l’archevêque, ou, la veille, lors du trajet en train ; confiante et fraternelle, aussi, tout particulièrement lors du sacrement des malades – que dix-sept prêtres ont reçu devant leurs frères – ou lors des différents trajets et processions, lorsque les uns prennent soin des autres – plus fatigués ou plus âgés – en poussant les fauteuils roulants ou en offrant un bras assuré ; une dépendance qui oblige « à apprendre l’humilité », selon les mots d’un prêtre en retraite active : « Il nous faut l’accepter et permettre aux autres de pouvoir exercer la charité. » Une joie spirituelle, encore, qui s’entend, paradoxalement, dans le silence ; beaucoup se disent bouleversés par la qualité des temps de prière en commun, soulignant les « vingt minutes de silence intense » entre les laudes et la messe, « le point d’orgue de ces cinq jours de communion » pour certains.
Une joie, enfin, d’avoir vécu une véritable unité, après plusieurs années marquées par les épreuves. Autour de l’archevêque déjà, qui, aux dires de beau¬coup, a su avoir « une parole réconfortante et une parole de gouvernant », se montrant « disponible » et « proche de son presbyterium », identifiant « les sujets importants qui nous préoccupent », « donnant des orientations claires » et « connaissant les dossiers et les prénoms des uns et des autres ». Unité du presbyterium aussi, richesse essentielle du ministère sacerdotal diocésain. « On n’est pas prêtre tout seul, souligne le P. François Potez, curé de St-Philippe-du-Roule (8e). Le plus grand danger pour un prêtre, c’est d’être tout seul ; le plus grand danger, c’est de ne pas être dans l’obéissance, c’est-à-dire de ne pas être en référence à l’évêque. Mais ce sont les frères d’un presbyterium qui permettent d’être en référence à l’évêque et relié à l’Église. » Pendant cinq jours, les prêtres de Paris ont expérimenté de manière très concrète – et très visible pour les pèlerins de passage, notamment lors des processions en aube – qu’ils n’étaient pas « prêtres tout seul » ; une expérience de fraternité sacerdotale dont beaucoup se disent « nourris et revigorés pour la mission », au retour pour Paris. Pour certains, « une page importante s’est écrite dans l’histoire du clergé parisien » ; pour d’autres, tel le P. Maxime d’Arbaumont, 84 ans, ce rassemblement à Lourdes, terre de miracles, n’est rien de moins qu’« un morceau de ciel ». Un ciel qui, d’ailleurs, ne connut qu’une seule averse en cinq jours, authentique miracle pour tous les familiers du sanctuaire…

Charlotte Reynaud

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