« Encourager nos aînés à “réveiller” leur vocation »
Paris Notre-Dame du 30 septembre 2021
La pandémie de Covid-19 a fatalement remis en lumière les personnes âgées, et du même coup, leur importance vitale au sein de nos sociétés, par ailleurs vieillissantes. Interview.
Alors que le pape François ne cesse de rappeler que « le grand âge est un don », que « les grands-parents sont un trésor » [1], quelques réflexions sur la valeur de l’âge et la vocation propre des aînés, avec Clotilde et Éric de Royer, paroissiens de Ste-Anne de la Butte-aux-Cailles, membres des Équipes Notre-Dame, parents de quatre enfants et grands-parents de trois petites-filles, et le P. Philippe Pignel, vicaire épiscopal pour la pastorale familiale, curé de St-Charles de Monceau.
Paris Notre-Dame – « Les grands-parents sont souvent oubliés », expliquait le pape François le 31 janvier 2021, en instituant la première Journée mondiale des grands-parents et des personnes âgées. Avez-vous cette impression ?
Clotilde de Royer – J’ai plutôt le sentiment qu’ils sont dans toutes les mémoires. Lorsque nous étions, mon mari et moi, en service de préparation au mariage, la plupart des couples venaient à nous grâce à leurs grands-parents. Ces derniers semblent avoir, chaque fois, joué un grand rôle de transmission de la foi.
Éric de Royer – Je n’aurais pas forcément dit cela non plus, au regard du vieillissement croissant de la population en France et dans le monde [2], et du pouvoir économique de cette tranche d’âge dans les pays riches. Les grands-parents, en outre, ont été fort sollicités par leurs enfants et petits-enfants durant les récents confinements ! Mais tout dépend aussi, lorsque l’on parle de « grands-parents oubliés », du lieu où l’on se situe, de qui l’on parle. Autrefois, la norme était d’habiter dans la maison de ses enfants jusqu’à sa mort. Ce qui est moins le cas aujourd’hui... Pour imager ce sujet, le pape François parle souvent de sa grand-mère. Dans une audience publique de 2015, il a eu des mots forts pour évoquer l’influence qu’elle a eue sur lui, par sa présence encourageante, jusqu’au jour de son ordination sacerdotale.
P. Philippe Pignel – Les grands-parents et personnes âgées ont pu être « oubliés » au début de la crise sanitaire de 2020, « retranchés » chez eux, dans les Ehpad ou en maison de retraite. Mais paradoxalement, j’ai constaté une prise de conscience générale, assez rapide, des méfaits de cet isolement forcé, et du besoin vital d’interaction de notre société avec nos personnes âgées, et inversement.
P. N.-D. – Finalement, cette période de pandémie aura « braqué la lumière » sur eux…
C. R. – Je pense en effet que cette actualité les a remis à l’honneur. Cette période de confinements nous a fait repenser nos relations entre enfants, parents, grands-parents. En ce sens, la crise que nous traversons a aussi eu du bon.
É. R. – J’en profite néanmoins pour relever que le terme de « personne âgée » regroupe une catégorie de population assez vague. Aujourd’hui, on atteint la retraite à 65 ans pour une durée de vie de 85 ans environ. Entre une « personne âgée » de 70 ans et une autre de 90 ans, il y a un monde d’écart.
P. N.-D. – Dans son message pour la Journée des grands-parents, le pape défend une « vocation » spécifique aux aînés. Est-ce votre sentiment ?
C. R. – Au premier abord, non. Le terme « vocation » revêtant pour moi le sens d’un appel du Seigneur pour sa vie entière. L’expérience que j’ai faite, c’est que l’on devient grand-parent un peu malgré soi. C’est notre première petite-fille qui nous a faits grands-parents. Il m’a fallu du temps pour apprivoiser cette « condition », pour passer d’un état à l’autre, d’épouse et de mère, à grand-mère (sans pour autant laisser de côté les deux autres états !) Je pense en tout cas qu’il faut se laisser conduire par ses petits-enfants dans ce rôle, dont je perçois aujourd’hui de mieux en mieux la valeur. C’est aussi une expérience que nous avons la chance de vivre en couple. Je ne serais pas la même grand-mère si Éric n’était pas là.
É. R. – Je ne sais pas si je parlerais de vocation, mais de changement de vie et d’engagement, certainement, car ce rôle demande une grande disponibilité.
C. R. – Si je prends le terme de « vocation » au sens de « rôle », alors je pense d’abord à celui de la mémoire et de la transmission de la foi. Et on s’y attache. D’abord parce que nos petits-enfants sont très demandeurs. Ils posent des tas de questions, et ce faisant, nous font progresser !
É. R. – Moi-même, j’ai été bénéficiaire de ce rôle. Quand on allait la voir, notre grand-mère était souvent en train de réciter son chapelet. Cette confiance qu’elle manifestait dans le Seigneur, dans la Vierge Marie, m’a beaucoup marqué. P. P. – De mon côté, j’ai plutôt perçu ce terme de « vocation », pour des personnes très âgées. À leur chevet, cela arrive souvent de les entendre dire : « Le Seigneur m’a oublié ; qu’est-ce que je fais encore là ? Je ne sers à rien. » Entendre cette souffrance, et, en écho, le terme de « vocation » dans la bouche du pape, m’a interpellé. C’est quelque chose de fort. Il leur écrit qu’il entend leurs questionnements quant au sens de leur vie, liés à l’isolement, à la perte d’énergie… tout en reprenant pour eux la question de Marie à l’Annonciation : « Mais comment cela va-t-il se faire ? » Et le pape répond : « En ouvrant son cœur à l’action de l’Esprit Saint. »
P. N.-D. – S’il devait y avoir un don spécifique au grand âge, lequel serait-il ?
C. R. – Je pense à des choses simples comme aux vacances, quand j’emmène à pied mes petites-filles à la boulangerie. Sur le chemin, elles me demandent toujours : « On va voir Jésus à l’église ? » C’est du temps que l’on peut donner, gratuitement, qui permet aussi de construire la confiance d’un enfant, qui peut être habité de beaucoup de peurs. En lui tenant la main, on lui fait comprendre qu’il n’est pas seul.
É. R. – Avec l’une de nos petites-filles, j’ai planté des capucines. Nous avons vécu l’émerveillement d’observer les étapes de l’éclosion. J’en ai emmené une autre voir une exposition sur le peintre Joan MirÓ. J’étais un peu inquiet : était-ce accessible ? Eh bien, elle est « entrée » dans les peintures, les commentant très naturellement ! Je me suis dit que j’avais ouvert une porte. Même si je ne sais pas à quoi elle mènera.
P. P. – Nous sommes dans une société de l’efficacité. Les personnes à la retraite, pas nécessairement très âgées, ont cette possibilité de ne plus être dans l’activisme et davantage dans la gratuité, dans une forme de sagesse, aussi. Plus l’âge s’allonge, plus on entre dans « l’être ». Lors du Synode sur les jeunes, le pape avait employé l’image de la pirogue : les jeunes rament et les anciens, à l’arrière, conduisent. Certes, ces derniers rament moins, mais savent guider pour éviter les écueils.
C. R. – La relation des enfants avec leurs grands-parents ou avec des personnes âgées est aussi une forme d’éducation au respect, à l’appréhension de la fragilité. Les enfants ont une excellente perception des personnes fragiles, s’adaptant parfaitement à elles, avec douceur. P. N.-D. – Cette notion de fragilité, dévalorisée dans nos modes de relations (sociales, professionnelles), n’est-ce pas une clé pour nos sociétés ?
P. P. – Si, mais pas seulement dans le sens de la diminution physique. La fragilité renvoie aussi, comme le rappelle le pape, à l’expérience des épreuves dépassées au fur et à mesure de la vie, dont on tire une force. Pour encourager les aînés à « réveiller » leur vocation, le pape se base ainsi sur cette notion de mémoire des crises dépassées. Il leur dit, d’autant plus en ce temps de pandémie : « Appuyez-vous sur votre espérance et votre expérience de l’épreuve pour aider les plus jeunes à dépasser leurs crises. »
P. N.-D. – « Les personnes âgées font souvent preuve d’une résilience et d’un esprit positif extraordinaires, assumant dans la société des rôles multiples », note l’ONU [3]. Qu’est-ce que cela vous évoque ?
P. P. – Pour la vie pastorale, je pense aux catéchistes, dont une grande partie sont des retraités. Il y a aussi ces nombreux bénévoles à l’accueil des églises, ou dans les services caritatifs. Ils nous font don généreux de leur temps. À St-Charles de Monceau (17e), nous avons aussi un groupe de personnes très âgées qui se réunit (hors pandémie) pour prier et partager autour de sujets tels que le veuvage ou la mort et la vie éternelle. Ils sont également membres de notre « monastère invisible », priant pour les intentions de prière de la paroisse déposées mensuellement… Comme dit le pape dans son homélie du 25 juillet dernier, nos aînés ne doivent pas simplement être ces gens que l’on croise parfois sur les bancs de l’église et que l’on regarde à peine : nous sommes appelés à les voir, avec le regard de Jésus qui voit la foule qui a faim. Inversement, les plus vieux ont ce regard bienveillant posé sur nous, sur la fragilité des petits-enfants qu’ils prennent sur leurs genoux. Regardons-nous assez nos personnes âgées ? Sommes-nous contemplatifs comme elles ?
P. N.-D. – Le pape décrit trois « piliers » de leur vocation : les rêves, la prière et la mémoire...
C. R. – J’aime beaucoup la notion de rêve, si l’on prend ce terme dans le sens de donner l’envie et une vision confiante de l’avenir aux plus jeunes.
É. R. – Le rêve, ça se partage. Si vous rêvez, vous communiquez. Et les rêves de nos petits-enfants sont intéressants à écouter aussi, car ils demandent un ajustement de notre part. Mais on en revient, sur ce point, à la disponibilité. Pour que le rêve se dessine, il faut le temps d’installer la confiance.
C. R. – Quant à la prière, oui, il me semble évident que nous avons plus de temps pour prier, notamment en prenant le temps de l’oraison en couple, proposé au sein des Équipes Notre-Dame. J’ai pu remarquer que notre foi s’était élargie, depuis que nous sommes grands-parents, aux dimensions du monde, à travers les problématiques de nos enfants et de leurs vies.
É. R. – Grâce à ma petite-fille, je connais désormais par cœur l’Évangile de Bartimée et son « Il t’appelle » ! J’ai dû lui lire vingt fois ! Ma foi a donc grandi en la lui transmettant.
P. N.-D. – Un mot pour conclure ?
É. R. – Il se trouve que j’ai failli mourir à la suite d’une opération, il y a deux ans. Mais j’en suis revenu et j’en rends grâce. Nous parlions de rêves un peu plus tôt. Je crois justement que même « vieux », il faut continuer à faire des projets, à en discuter, à prendre au sérieux ceux des petits-enfants aussi… Exposer un projet, c’est déjà vivre un peu !
P. P. – J’ai été bouleversé par notre pape de 84 ans, proclamant son message public en vidéo pour la Journée mondiale des grands-parents et des personnes âgées, tutoyant ses interlocuteurs, parlant de son appel comme pape à l’âge avancé de 78 ans… J’invite chacun à regarder cette vidéo.
Propos recueillis par Laurence Faure
[1] *Angélus du pape François, le 31 janvier 2021 et son homélie du 19 novembre 2013.
[2] L’OMS estime que le nombre de personnes âgées de 60 ans et plus passera de 962 millions (2017) à
1,4 milliard (2030)
[3] Note de synthèse. L’impact de la Covid-19 sur les personnes âgées.
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