Frère Alois appelle à associer la mondialisation de la solidarité à celle de l’économie

Frère Aloïs, prieur de la communauté œcuménique de Taizé, a rendu publique une tribune sur les migrations, le 3 mars 2016. Partant du séjour qu’il a effectué au Liban et en Syrie, le Frère Aloïs estime que « les grands flux migratoires auxquels nous assistons sont inéluctables (…) mais vouloir les empêcher en édifiant des murs hérissés de barbelés est absolument vain ». C’est la peur, dit-il, qui pousse à édifier ces murs, une peur qu’il qualifie de « compréhensible ». Mais, pour lui, la solution ne se trouve pas dans le rejet de l’étranger. Car, avertit-il, « le refus de l’autre est le germe de la barbarie ».

Le Frère Aloïs, prieur de la communauté œcuménique de Taizé, a rendu publique une tribune sur les migrations, le 3 mars 2016. Partant du séjour qu’il a effectué au Liban et en Syrie, le Frère Aloïs estime que « les grands flux migratoires auxquels nous assistons sont inéluctables (…) mais vouloir les empêcher en édifiant des murs hérissés de barbelés est absolument vain ». C’est la peur, dit-il, qui pousse à édifier ces murs, une peur qu’il qualifie de « compréhensible ». Mais, pour lui, la solution ne se trouve pas dans le rejet de l’étranger. Car, avertit-il, « le refus de l’autre est le germe de la barbarie ». Le Frère Aloïs suggère donc que les pays riches assument leur part de responsabilité dans « les blessures de l’histoire » qui provoquent la crise migratoire. À ces mêmes pays, il propose de se « mettre courageusement à façonner le visage nouveau que les migrations donnent déjà à nos sociétés occidentales ». Il a appelé à accueillir les migrants comme des membres de la famille humaine, une chance pour la démographie et l’économie. Le Frère Aloïs s’est dit aussi convaincu que l’élan de solidarité suscité par l’accueil de quelques migrants par la communauté de Taizé peut être expérimenté à une échelle plus grande. C’est dans la rencontre, a-t-il ajouté, que la peur peut faire place à la fraternité, « seul chemin d’avenir pour préparer la paix ». Pour lui, « la construction de l’Europe ne trouve son vrai sens que si elle se montre solidaire avec les autres continents et les peuples les plus pauvres ». Il a appelé à associer à la mondialisation de l’économie, la mondialisation de la solidarité.

Texte de la Communauté de Taizé

Dans le monde entier, des femmes, des hommes et des enfants sont obligés de quitter leur terre. C’est leur détresse qui crée en eux une motivation pour partir. Celle-ci est plus forte que toutes les barrières dressées pour entraver leur marche. Je peux en témoigner pour avoir passé récemment quelques jours au Liban et en Syrie. À Homs, l’étendue des destructions dues aux bombardements est inimaginable. Une grande partie de la ville est en ruines. J’ai vu une ville fantôme et j’ai ressenti le désespoir des habitants du pays.

Aujourd’hui, ce sont les Syriens qui affluent en Europe ; demain, ce seront d’autres peuples. Les grands flux migratoires auxquels nous assistons sont inéluctables. Ne pas s’en rendre compte serait faire preuve de myopie. Chercher comment réguler ces flux est légitime et même nécessaire, mais vouloir les empêcher en édifiant des murs hérissés de barbelés est absolument vain.

Face à cette situation, la peur est compréhensible. Résister à la peur ne signifie pas qu’elle doit disparaître, mais qu’elle ne doit pas nous paralyser. Ne permettons pas que le rejet de l’étranger s’introduise dans nos mentalités car le refus de l’autre est le germe de la barbarie.

Dans une première démarche, les pays riches devraient prendre une plus claire conscience qu’ils ont leur part de responsabilité dans les blessures de l’histoire qui ont provoqué et continuent à provoquer d’immenses migrations, notamment depuis l’Afrique ou le Moyen-Orient. Et aujourd’hui, certains choix politiques demeurent source d’instabilité dans ces régions. Une deuxième démarche devrait les amener à aller au-delà de la peur de l’étranger, des différences de cultures, et à se mettre courageusement à façonner le visage nouveau que les migrations donnent déjà à nos sociétés occidentales.

Au lieu de voir dans l’étranger une menace pour notre niveau de vie ou notre culture, accueillons-le comme un membre de la même famille humaine. Et nous découvrirons que, si l’afflux de réfugiés et de migrants crée, certes, des difficultés, il peut aussi être une chance. De récentes études montrent l’impact positif du phénomène migratoire pour la démographie et l’économie. Pourquoi tant de discours soulignent-ils tellement les difficultés, sans jamais mettre en valeur les aspects positifs ? Ceux qui frappent à la porte de pays plus riches que le leur poussent ces pays à devenir solidaires. Ne les aident-ils pas à prendre un nouvel élan ?

Je voudrais situer ici notre expérience de Taizé. Elle est humble et limitée, mais très concrète. Depuis novembre dernier, en relation avec la préfecture, la communauté de communes dont fait partie notre village et des associations locales, nous hébergeons à Taizé onze jeunes migrants du Soudan (dont la plupart du Darfour) et de l’Afghanistan, tous venus de la « jungle » de Calais. Leur arrivée a éveillé un impressionnant élan de solidarité dans notre région : des bénévoles viennent leur enseigner le français, des médecins les soignent gratuitement, des voisins les emmènent faire des sorties dans la région et des promenades à bicyclette… Ainsi entourés d’amitié, ces jeunes qui ont traversé de tragiques événements dans leur vie sont en train de se reconstruire. Et un tel contact simple avec des musulmans change le regard de ceux qui les côtoient.

Dans le village, ces jeunes ont aussi été accueillis par des familles de divers pays – Vietnam, Laos, Bosnie, Rwanda, Égypte, Irak –, arrivées à Taizé au fil des décennies, et qui font aujourd’hui partie intégrante de notre environnement. Tous ont connu de grandes souffrances mais apportent à notre village une vitalité grâce à la richesse et la diversité de leurs cultures.

Si une telle expérience est possible au niveau d’une petite région, pourquoi ne le serait-elle pas à une échelle beaucoup plus vaste ? On a tort de penser que la xénophobie est le sentiment le plus partagé ; souvent, il y a surtout beaucoup d’ignorance. Dès que les rencontres personnelles sont possibles, les peurs font place à la fraternité. Celle-ci implique de se mettre à la place de l’autre. La fraternité est le seul chemin d’avenir pour préparer la paix.

En assumant ensemble les responsabilités qu’appelle la vague migratoire, plutôt qu’en jouant sur les peurs, les responsables politiques pourraient aider l’Union européenne à retrouver une dynamique qui s’est émoussée.

Toute une jeune génération européenne aspire à cette ouverture. Nous le constatons, nous qui depuis de longues années recevons sur notre colline de Taizé, pour des rencontres internationales d’une semaine, des dizaines de milliers de jeunes de tout le continent. À leurs yeux, la construction de l’Europe ne trouve son vrai sens que si elle se montre solidaire avec les autres continents et les peuples les plus pauvres.

De nombreux jeunes Européens ont peine à comprendre leurs gouvernements, quand ceux-ci manifestent une volonté de fermer les frontières. Ces jeunes demandent, au contraire, qu’à la mondialisation de l’économie soit associée une mondialisation de la solidarité, et que celle-ci s’exprime en particulier par un accueil digne et responsable offert aux migrants. Beaucoup d’entre eux sont disposés à y contribuer. Osons croire que la générosité a aussi un rôle majeur à jouer dans la vie de la cité.
Source : Taizé et La Croix

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