Homélie de Mgr André Vingt-Trois - Messe de rentrée des étudiants d’Île-de-France 2007
Cathédrale Notre-Dame de Paris - Mercredi 14 novembre 2007
Mercredi 14 novembre, les étudiants d’Île-de-France étaient rassemblés en la Cathédrale Notre-Dame de Paris autour de Mgr André Vingt-Trois.
Les participants étaient moins nombreux que les années passées à cause de la grève des transports. Mgr André Vingt-Trois a invité les jeunes à faire preuve de générosité, à s’impliquer dans les structures représentatives de leurs universités et à transformer le monde en prenant leur part de responsabilité :
Chers amis,
Je voudrais que chacun et chacune d’entre nous puisse entendre cette parole prononcée par le Christ sur lui : « Relève-toi, ta foi t’a sauvé ». Car cette parole prononcée par Jésus sur le lépreux samaritain purifié est la reconnaissance de la démarche par laquelle cet homme a reconnu d’où lui est venue la santé.
Pouvons-nous, tels que nous sommes aujourd’hui, nous interroger et nous demander si nous sommes vraiment convaincus que c’est la foi au Christ qui apporte le salut aux hommes et leur ouvre les chemins du bonheur. Les neuf autres, ceux qui ne sont pas revenus pour remercier le Christ d’avoir été purifiés, avaient cependant un début de foi puisque, sur sa parole, tous les dix étaient allés voir les prêtres pour faire constater leur guérison. Mais à mesure que la purification s’est opérée en eux, ils ont oublié d’où elle venait. Ils ont pu s’imaginer que, peut-être, chemin faisant, - j’allais dire : il y a eu un miracle ! -, peut-être, chemin faisant, des forces mystérieuses étaient venues les guérir qui n’avaient rien à voir avec le Christ. Toujours est-il que seul le dixième est revenu reconnaître celui qui les a guéris.
Combien de chrétiens aujourd’hui, de chrétiens plus ou moins convaincus comme nous le sommes tous, de chrétiens dans leurs moments de ferveur et de chrétiens dans leurs moments de tiédeur, de chrétiens avec leurs temps de supplication devant le Christ et de chrétiens oubliant le Christ lorsque les choses vont mieux, de chrétiens qui ne savent plus d’où vient le bien qui leur arrive, de chrétiens qui ne reconnaissent plus dans la personne de Jésus de Nazareth celui qui est la source de leur bonheur et de leur vie, combien de chrétiens ont commencé à marcher et ont oublié le chemin qui conduit au Christ !
J’évoque la foule assez nombreuse de ceux qui se considèrent en disponibilité par rapport à la foi, - c’est-à-dire, selon notre langage moderne, non pas disponibles pour croire mais rendus disponibles en ne croyant plus -, ceux qui se considèrent en disponibilité par rapport à la foi et sont entrés dans le temps de l’amnésie, de l’oubli, de l’ignorance. Mais faut-il les blâmer ? Faut-il les juger ? Faut-il les condamner ? Nous, comment gardons-nous le souvenir vivant du Christ agissant dans notre vie ? Quel rôle la foi joue-t-elle dans notre vie ? Que change à notre manière de vivre le fait d’être chrétiens ou d’essayer de l’être ou de désirer l’être ? Comment échappons-nous à la schizophrénie qui fait que, d’un côté, l’on vit comme tout le monde, et de l’autre on essaie de rester accroché à une relation avec le Christ, mais une relation avec le Christ tellement localisée, - on pourrait dire enfermée dans un espace défini de notre être et de notre vie -, que nous ne voyons plus comment cette relation avec le Christ peut pénétrer les différents secteurs de notre existence, qu’il s’agisse de notre vie personnelle, de nos loisirs, de notre vie affective ou de notre vie laborieuse ? Comment pourrions-nous croire vraiment la parole du Christ selon laquelle c’est la foi qui sauve si cette foi qui sauve est inopérante dans le cours de nos journées, si même la relation avec le Christ est devenue davantage une absence qu’une présence, si nous voyons se succéder les jours et s’éloigner la lumière à mesure que nous avançons plutôt que de voir notre chemin s’éclairer davantage par la parole du Christ ?
Ces questions que je formule devant vous à propos de la foi sont les questions que nous portons en essayant d’être chrétiens, disciples de Jésus, croyant en Dieu unique, Père, Fils et Saint-Esprit, au Dieu d’amour et de pardon. L’ensemble de ces questions a-t-il quelque chose à voir encore avec les événements auxquels vous êtes mêlés et qui marquent cette rentrée universitaire ou bien, là encore, sommes-nous dans deux univers complètement séparés ? Dans la journée, il y a les chocs, les rencontres, les débats, et le soir autre chose. Il y a la partie de notre vie où nous sommes branchés sur le Christ et la partie de notre vie où nous ne voyons plus le Christ. Permettez-moi de vous suggérer simplement deux questions à travers lesquelles notre volonté d’être chrétiens pourrait peut-être éclairer un peu notre chemin, sinon à travers les blocs, du moins à travers la rencontre des autres.
La première question est : que faisons-nous ? Non pas : que nous arrive-t-il ? Qu’est-ce qui nous est imposé ? Mais que voulons-nous faire ? Et je sais, pour l’avoir entendu sur plusieurs médias, que beaucoup d’étudiants sont convaincus qu’ils sont étudiants pour étudier. Cela peut paraître étrange mais c’est une réalité : l’objectif premier de ce temps d’études, selon leur jugement, c’est vraiment d’étudier et d’essayer d’utiliser au mieux, de la façon la plus profitable, les moyens dont ils disposent, même s’ils peuvent les juger insuffisants, même s’ils peuvent espérer qu’ils soient meilleurs, même s’ils peuvent se mobiliser pour qu’ils soient meilleurs mais non pas pour les empêcher de fonctionner.
La deuxième question est une question beaucoup plus large qui concerne toute notre vie collective, notre vie sociale. Nous vivons en démocratie ; cela veut dire que chacune et chacun doit être en situation de se faire entendre ou, du moins, de participer à l’expression de tous. Il n’est pas possible que l’on se contente de se lamenter sur le fait que telle ou telle minorité prend le pouvoir et impose sa manière de faire si, habituellement, on est soi-même absent des lieux, des organismes, des mouvements qui peuvent influer sur la vie collective. On ne peut pas se réfugier simplement dans le rôle de victime. Car se réfugier dans le rôle de victime, c’est vouloir dire qu’il n’y a pas de démocratie.
Vous savez aussi bien que moi quel est le pourcentage de Français qui participent effectivement à l’action collective que ce soit dans des partis politiques ou des syndicats. On ne peut pas à la fois abandonner le terrain du travail commun et nous plaindre ensuite que la stratégie et la tactique ne correspondent pas à ce que nous souhaitons. La démocratie, ce n’est pas seulement une fois tous les cinq ans, c’est tous les jours. Je crains que des situations que beaucoup de nos concitoyens déplorent aujourd’hui ne soient le fruit de leur absentéisme, du vide où ils ont laissé les lieux où se cuisinent la stratégie et la tactique, où s’imposent les décisions, où il n’y a pas de contestation. Mais la contestation n’est pas seulement le cri du ras-le-bol individuel ; c’est aussi l’organisation, la capacité de faire vivre des corps intermédiaires qui ne réduisent pas l’autorité sociale à des petits noyaux. C’est une responsabilité pour nous tous.
Être chrétiens dans ce monde n’est pas simplement nous mettre en prière à heures fixes, fût-ce plusieurs fois par jour ; c’est vraiment nous mêler des affaires de ce monde, parce que les affaires de ce monde transforment la vie des hommes, les rendent plus heureux ou plus malheureux, font grandir leur liberté ou leur capacité de vivre ou au contraire les restreignent, leur permettent d’atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés ou posent des barrages sur leur chemin Mais tout cela que, dans certaines cultures on peut attribuer à la fatalité et dans certaines conditions à la dictature, dans une démocratie, cela se discute, cela se transforme et cela se transforme.
Je voudrais que votre commencement de cette année universitaire ne soit pas sous le signe du désenchantement. Je voudrais que vos espoirs, votre désir d’avancer, de progresser, et pourquoi pas ? de réussir ne soit pas déçu. Je voudrais que votre générosité pour que le monde soit meilleur trouve à s’investir autrement que dans des bagarres de couloir.
Je voudrais que votre reconnaissance au Christ qui sauve attire sur vous la puissance de la parole du Christ : « Relève-toi ! » Relève-toi ! Ne te laisse pas conduire, ne te laisse pas égarer, ne te laisse pas brider. « Relève-toi ! Ta foi t’a sauvé » Amen.
+André Vingt-Trois
Archevêque de Paris