Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Ordinations sacerdotales
Cathédrale Notre-Dame de Paris - samedi 27 juin 2009
– Voir le compte-rendu.
(Ac 12, 1-11 ; 2 Tm 4,6-8.17-18 ; Mt 16, 13-28)
Enguerrand, Luc, Éric, Pierre-Benoît, Laurent, Albin, Geoffroy, Stéphane, Olivier, Nicolas,
Il n’est jamais banal d’être ordonné prêtre. Mais être ordonné prêtre au moment de la clôture de l’année Saint Paul et au moment de l’ouverture de l’année sacerdotale marquant le cent cinquantième anniversaire de la mort de saint Jean-Marie Vianney, curé d’Ars, est une circonstance assez exceptionnelle pour colorer votre ordination d’une manière particulière.
Il est certainement stimulant d’entrer dans le ministère sacerdotal sous le double patronage de l’Apôtre des nations et du patron des curés du monde. Mais saint Paul autant que saint Jean-Marie Vianney nous ramènent, l’un comme l’autre, à celui qui est le seul fondement de notre mission et de notre ministère, Jésus, le Christ, notre Seigneur. Car nous avons un seul vrai et bon pasteur qui n’est ni Paul, ni Jean-Marie Vianney, ni aucun autre modèle.
Le seul « pasteur de nos âmes », c’est le Christ lui-même. Ce n’est pour imiter aucun modèle que vous allez être consacrés, sinon le modèle de Jésus qui « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’à l’extrême. » (Jn. 13, 1)
Pour beaucoup de nos contemporains et peut être de vos amis ou de vos proches, la démarche que vous avez engagée, il y près de dix ans, reste énigmatique.
Comment comprendre que des hommes qui ont une bonne formation et une bonne profession, parfois des responsabilités importantes dans leurs entreprises, et, en tout cas, une vie sociale réussie, décident un jour de tout quitter : métier, perspectives familiales et autres projets pour s’orienter vers une vie de service dans l’Église catholique romaine ? Si on réfléchit à votre décision comme à une option personnelle que vous auriez faite parmi tant d’autres possibilités, elle reste largement inexplicable, voire déraisonnable.
Comment justifier par une option personnelle toujours révocable ce qui relève d’un engagement définitif dont la seule raison est de répondre à un appel. Le Christ lui-même nous a donné la clef de cet alliance mystérieuse : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous produisiez du fruit et que votre fruit demeure. » (Jn. 15, 16)
L’histoire de chacune de vos existences pourrait être passée au crible de l’analyse sans qu’à aucun moment l’observateur puisse désigner tels événements, telles circonstances, telles personnes dont on pourrait dire : « Voilà la cause. » La seule cause réelle est le regard aimant de Jésus qui s’est posé sur chacun d’entre vous et sa voix qui vous a dit secrètement : « Suis moi. » Certes, quand vous relisez vous-même votre propre histoire, comme vous avez eu tant d’occasions de le faire au cours de vos années de formation, vous reconnaissez que ce regard et cette voix vous ont atteints par des intermédiaires humains : des personnes qui ont croisé votre route, des événements qui vous ont marqués et pour lesquels vous rendez grâce. Mais vous ne pouvez dire sérieusement d’aucun de ces intermédiaires qu’il serait la cause de votre engagement dans le ministère sacerdotal. La seule explication raisonnable que l’on puisse retenir, c’est l’histoire d’une amitié profonde qui s’est nouée entre vous et le Christ.
Le Christ est non seulement à l’origine de votre cheminement jusqu’à ce jour. Il est aussi le compagnon fidèle de chacune de vos journées comme il sera le compagnon de toute votre vie. C’est lui qui parle à votre cœur au long de vos temps de prière et c’est lui aussi que vous voulez annoncer aux hommes comme leur espérance. Votre vie de prêtres, nul ne peut vous en prédire ni la forme ni le contenu. Elle se développera à travers l’évolution de votre vie et à travers l’évolution de la vie de l’Église et de la société.
Chacun des prêtres jubilaires qui vous entourent aujourd’hui pourrait vous dire après 70, 65, 60, 50, 25 ou dix ans de ministère comment le Seigneur l’a conduit au long de ces quelques année ou de ces trois quarts de siècle. Tous vous diraient comment ils ont affronté les péripéties d’une histoire humaine parfois dramatique. Ils vous diraient surtout comment le Christ leur a permis de renouveler sans cesse le premier don de leur amour. Ils témoignent que la fidélité du Christ n’est pas une illusion.
Elle a été le fondement de leur propre fidélité. Jésus l’a promis à ses disciples et il tient ses promesses : « Je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » (Jn. 15, 11).
Votre joie, cette joie du Christ, cette joie de l’amour, n’est jamais exempte d’épreuves, pas plus que la vie d’aucun être humain. Elle n’est pas la joie de l’insouciance ou de l’indifférence. Elle est la joie de celui qui se donne par amour et qui se reçoit par amour. Les troubles, les drames, les malheurs frappent notre humanité de toutes sortes de façons. Alors même que nos sociétés imaginaient avoir atteint la tranquille certitude d’une prospérité à l’abri de tout danger, alors qu’elles rêvaient au mythe d’une vie sans risque, elles se trouvent brusquement confrontées à de nouvelles expériences de précarité. Quand on pensait que l’État avait inventé une nouvelle providence, on découvre ce qu’elle a d’illusoire et d’incertain. Oui, l’homme a besoin de sécurité et il la cherche, mais où la cherche-t-il ? Nous sommes des témoins nécessaires de la fragilité de ce monde, « car elle passe la figure de ce monde » (I Cor. 13, 7), en même temps que nous annonçons la fidélité de l’amour de Dieu pour les hommes et du bonheur qu’il leur apporte dès cette vie.
Nous sommes doublement témoins de l’amour et de la fidélité de Dieu. Nous en sommes témoins structurellement par l’engagement irrévocable de notre vie dans l’Église pour l’annonce de l’Évangile au service des hommes. Le Dieu que nous servons et que nous annonçons est un Dieu qui ne reprend pas ce qu’il donne, comme nous ne reprenons pas l’engagement que nous prenons.
Mais nous en sommes aussi témoins par la manière personnelle dont chacun de nous assume son existence et traverse les événements avec la sérénité de la foi sans se laisser dominer par les impressions spontanées. Un tel ministère serait une supercherie ou une illusion s’il ne se nourrissait pas de la communion quotidienne et aimante avec le Christ qui en est à la fois la source et le garant. Il serait une aventure présomptueuse si nous imaginions de le vivre seuls comme un destin exceptionnel.
Dans quelques instants, après avoir invoqué l’intercession de tous les saints, par l’imposition de nos mains, vous serez consacrés pour ce ministère, en même temps que vous serez agrégés au presbyterium du diocèse de Paris, accueillis avec joie par vos frères prêtres. Croyez-moi, c’est une grâce très particulière d’entrer dans ce collège des prêtres parisiens. C’est un corps vivant et stimulant d’hommes tout entiers donnés à leur mission.
C’est une véritable fraternité qui les unit à leur évêque et qui les unit entre eux. Vous en connaissez assez pour savoir qu’ils ont des personnalités très différentes, chacun avec ses talents et ses limites, mais tous unis dans la communion du Christ pasteur. En priant avec eux et pour eux je rends grâce à Dieu qui m’a appelé à en être l’évêque, le père et le frère.
Leur générosité et la fécondité de la grâce de leur ministère est au service de la belle vitalité des communautés chrétiennes de notre diocèse. Celles-ci sont très différentes, mais toutes animées par la foi. Dans les paroisses d’où vous venez, comme dans celles où vous avez vécu votre temps de formation, et comme dans celles où je vous envoie aujourd’hui, vous pouvez constater que l’appel à la mission, que notre Église renouvelle de génération en génération, ne tombe pas dans le vide. Il trouve un écho réel et motivé. Nous l’avons encore vécu cette année au cours des Assises Diocésaines pour la Mission. Nous allons le vivre encore dans les années qui viennent avec le projet : « Paroisses en mission ». Je suis heureux pour vous que votre ministère commence dans ce climat dynamique et j’en rends grâce à Dieu. Vous ne vous engagez pas pour devenir les druides d’une tribu en voie d’extinction. Vous vous engagez pour être les pasteurs d’une Église vivante et missionnaire.
Pour terminer je voudrais m’adresser à vous, frères et sœurs, qui êtes venus entourer ces nouveaux prêtres de votre amitié et de votre prière, et tout d’abord remercier leur famille qui ont veillé sur eux par de longues années d’amour et de soin. L’an dernier, avant que le Pape ne décide d’une année sacerdotale pour le monde entier, j’avais plus modestement invité le diocèse de Paris à vivre une « année du prêtre » et je me réjouis que, dans beaucoup d’endroits, cette proposition ait été l’occasion pour les chrétiens de réfléchir au ministère des prêtres et d’en parler entre eux.
Nous avons la chance d’avoir devant nous une deuxième année offerte par le Saint Père. Nous pourrons ainsi continuer la réflexion et l’échange. Nous devons mieux mesurer le rôle irremplaçable du prêtre dans la mission de l’Église. Nous devons mieux comprendre le service que les prêtres rendent à l’humanité. Nous devons désirer que de nombreux hommes répondent à l’appel du Christ. Nous devons prier pour soutenir leur réponse. Nous devons demander à Dieu d’appeler parmi les jeunes de nos familles, pas de la famille d’à côté.
Aux jeunes qui sont ici ce matin, à ceux qui nous écoutent à la radio ou qui nous regardent sur KTO, je voudrais rappeler les paroles que le Pape Benoît XVI leur adressait ici même, il y a bientôt un an. « Paul avait compris la parole de Jésus – apparemment paradoxale – selon laquelle c’est seulement en donnant (« en perdant ») sa propre vie qu’on peut la trouver (cf. Mc 8 ,35 ; Jn 12, 24) et il en avait conclu que la Croix exprime la loi fondamentale de l’amour et est la formulation parfaite de la vraie vie. Puisse l’approfondissement du mystère de la Croix faire découvrir à certains d’entre vous l’appel à servir le Christ de manière plus totale dans la vie sacerdotale ou religieuse ! »
Oui, la Croix du Christ est le signe de l’amour fidèle de Dieu pour les hommes. Elle est le signe du don que Jésus fait de sa propre vie pour notre vie et notre bonheur, pour notre salut. Elle est un appel adressé à chaque chrétien pour entrer dans ce mystère d’amour. Elle est un appel particulier pour celles et ceux qui vont tout quitter pour le service de l’Évangile. C’est à l’intérieur du Mystère de la Croix qu’aujourd’hui de jeunes hommes sont appelés à devenir les prêtres du Seigneur pour témoigner de la foi, de l’espérance et de la charité.
C’est à l’intérieur du Mystère de la Croix qu’en septembre prochain, seize nouveaux séminaristes commenceront leur formation vers le sacerdoce pour notre diocèse de Paris. Toi qui as entendu un jour cet appel, reçois le à nouveau et vérifie que ta réponse est toujours d’actualité dans l’amour que Dieu te donne. Toi qui l’entends pour la première fois, ne le laisse pas s’enfouir sous l’indifférence ou la crainte. Porte le avec joie dans la prière et parles en avec un prêtre pour qu’il t’aide de ses conseils. Aujourd’hui, le monde a besoin de vous pour connaître le Christ. Demain plus encore le monde aura besoin de vous pour vivre de l’espérance.
Le Christ veut continuer à donner les clés pour lier et délier et pour conduire les hommes à la liberté du Royaume. Ne lui faites pas défaut. Ne manquez pas le rendez-vous de la grâce et du service.
+André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris