Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Ordinations de sept diacres permanents
Samedi 9 octobre 2010 – Cathédrale Notre-Dame de Paris
– Voir l’album-photos.
– Fête de saint Denis, évêque et martyr
– Is 52, 7-10 ; Ps 95 ; 1 Th 2, 2b-8 ; Jn 10, 11-15
Frères et Sœurs,
Tout à l’heure, la cohorte des diacres a accompagné l’Evangile dressée au milieu de nous et porté en procession. Les diacres sont ordonnés pour annoncer la Bonne Nouvelle du Salut et pour la mettre en œuvre dans la vie des communautés chrétiennes et dans notre monde, ce monde auquel ils sont complètement liés par leur profession, leur vie de famille, et tout ce qui constitue le tissu ordinaire d’une existence humaine.
Nous venons d’entendre Jésus proclamer cette Bonne Nouvelle : « Je suis le bon pasteur, le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10, 11). C’est l’annonce d’une espérance pour tous les hommes de tous les temps.
« Que survienne le loup, il s’empare des brebis et les disperse » (Jn 10, 12). Nous connaissons bien les loups d’aujourd’hui, ceux qui menacent l’existence des hommes ici bas : la misère, les divisions, la famine, les pandémies, les maladies, les échecs... Tous les hommes, de façons diverses, cherchent à se sauver au milieu de ces périls. Ils se tournent de tous côtés, mais trouvent-ils un bon berger prêt à donner sa vie pour ses brebis ? Ou ne rencontrent-ils que des organisations, certes bien intentionnées, mais pas décidées à aller jusqu’au don de soi ? A mesure que s’exacerbe le désir d’être protégé de tous les risques, les différentes structures de gouvernement s’engagent toujours plus fortement à se faire notre pasteur. Mais nous découvrons que ces pasteurs ne sont pas le Bon Pasteur, non parce qu’ils seraient inefficaces, mais parce que leur efficacité est d’un ordre instrumental et ne vient pas du don de soi-même. Nous le savons, il ne suffit pas de se donner l’image d’une société protectrice, ni que les états promettent de se faire les défenseurs de chacun, pour assurer à tous les secours de la Providence et le Salut, que seule donne l’offrande de soi-même.
Au milieu de cette société, l’Église a reçu du Christ une mission qui lui est propre : celle d’incarner à travers les temps et les espaces la mission pastorale de Jésus lui-même. Tous les membres de l’Église sont associés par leur baptême à ce ministère du Christ, Prêtre, Prophète et Roi. Par Lui, ils portent le signe messianique du Salut au cœur des circonstances de la vie des hommes.
Mais comment l’annonce de cette Bonne Nouvelle confiée aux chrétiens n’est-elle pas perçue comme un messianisme, une idéologie ou une promesse électorale parmi d’autres ? Son authenticité et sa puissance de transformation du monde ne lui sont pas garanties par une force de communication et de conviction particulière. Elles lui viennent de l’incarnation dans la vie des hommes de la présence du bon pasteur qui offre sa vie pour ses brebis. La promesse de l’Evangile que proclame l’Église et que vivent les chrétiens n’est pas une voie ou une solution humaine de plus, parce qu’elle est la promesse de Dieu lui-même. Dieu s’est engagé envers l’humanité dès la création, il a renouvelé cette promesse dans l’Alliance avec le peuple d’Israël, et il a étendu cette Alliance particulière aux nations par la venue de son Fils et le don de son Esprit. La Christ bon berger n’est pas un mercenaire cherchant à tirer profit des brebis. Il est la Parole et la présence de Dieu offertes comme un don gratuit, comme une grâce.
Le signe de cette gratuité nous est donné dans le corps de l’Église par le ministère apostolique reçu du Christ, comme l’écrit saint Paul aux Thessaloniciens : nous annonçons l’Evangile, « non pas pour en tirer profit ou pour plaire aux hommes » mais pour manifester la gratuité de Dieu (1 Th 2, 4-5). Ce signe sacramentel est porté dans le corps ecclésial par les ministères ordonnés : les évêques, les prêtres et les diacres. Et en vous ordonnant diacre aujourd’hui, je vous donne part d’une façon spéciale à ce ministère qui authentifie la gratuité de la promesse de Dieu. Nous faisons don de notre vie toute entière pour que cette promesse s’accomplisse et soit vivante au cœur du monde.
Comme diacre, vous portez ce don de grâce d’abord par la proclamation de la Parole, comme l’un d’entre vous vient de le faire, après que l’Évangile ait été apporté au milieu de nous par l’ensemble des diacres. Vous proclamez la Parole dans la liturgie eucharistique, et plus largement par l’explication et le commentaire de l’Ecriture, par la prédication à laquelle vous êtes ordonnés, par toutes sortes de catéchèses dans les différents groupes que vous accompagnez.
A l’intérieur de la mission de service de l’Église, qui s’exerce dans toutes les circonstances de la vie des communautés chrétiennes, vous témoignez de cette promesse de Dieu en étant plus particulièrement attentifs aux plus délaissés de ces communautés, à ceux qui ont le plus besoin d’être accompagnés, entourés, réconfortés, encouragés et soutenus pour accueillir l’Évangile et le laisser transformer leur vie. Vous portez le souci des petits et des pauvres, de ceux qui sont blessés dans leur corps, leur cœur, leur âme, leurs affections. Vous exercez la douceur maternelle de l’Église à l’égard de ceux qui sont ses membres, mais aussi envers ceux qui ne connaissent pas le Christ et qui ont plus que tous besoin d’entendre la promesse de l’amour de Dieu.
Dans un monde frappé par toutes sortes de méfaits et marqué par la dureté des relations sociales et les angoisses que suscite l’avenir, l’annonce de l’amour devient une parole révolutionnaire. Le monde ne sera pas changé parce que les plus forts vont soumettre les plus faibles. Mais la puissance de Dieu suscite une force qui transforme la vie des hommes et des femmes fragiles que nous sommes, et nos existences deviennent le signe qu’un avenir de vie est offert à l’humanité, qui n’est pas condamnée à la tristesse et à la mort.
Serviteur de la Parole et serviteur de l’amour, le diacre est au milieu de l’Église celui dont la vie est ordonnée à manifester la tendresse, la miséricorde et l’espérance de l’Évangile, à travers les ministères qu’il reçoit. Cette mission qui vous est confiée manifeste l’orientation de votre vie, la disponibilité de votre cœur et la liberté de votre engagement. Et ceux d’entre vous qui sont mariés reçoivent aussi dans leur ordination une capacité nouvelle de témoigner de la puissance du sacrement de mariage, qui fait de vous le témoin de la fidélité et de la fécondité de l’amour, par le lien qui vous unit à votre épouse et aussi à vos enfants.
Chers frères, que cette mission que vous recevez aujourd’hui soit pour vous, pour vos épouses, pour vos familles, pour vos enfants et pour celles et ceux qui travaillent avec vous, le signe que la grâce de Dieu peut transformer le monde et que l’amour est une source d’espérance. Qu’elle vous donne de témoigner au sein des communautés chrétiennes où vous exercerez votre ministère, de ce que la Parole de Dieu n’est pas simplement un discours que l’on écoute, mais qu’elle peut transformer notre vie jusqu’au plus profond de notre liberté. Que votre ordination soit la source d’un renouvellement de l’engagement de tous les chrétiens dans la mission qu’ils ont reçue au moment de leur baptême et de leur confirmation.
Qu’en cette année que nous consacrons dans « Paroisses en mission » à la famille et à la jeunesse, votre ministère soit un signe de la capacité des familles à vivre selon l’Évangile du Salut et à l’annoncer dans le tissu de la vie familiale. Que votre présence soit une source de joie pour tous ceux que vous rencontrerez. L’annonce de votre ordination a été pour beaucoup de membres de votre famille, de vos relations, de vos amis ou de votre entourage professionnel, l’occasion de manifester quelque chose de souvent inattendu. C’est le signe que l’efficacité du sacrement déborde notre capacité de relations personnelles, et que la puissance de la grâce de Dieu donne une richesse et une fécondité que nous ne pouvons pas soupçonner, bien au-delà des limites de nos forces et de nos possibilités.
Frères et sœurs, unissons notre prière pour que ceux qui sont ordonnés aujourd’hui soient des fidèles serviteurs de l’Évangile, des signes vivants de la tendresse de Dieu pour les hommes, des ministres de l’Église qui lui permettent d’accomplir sa mission dans tous les secteurs de l’activité humaine. Qu’ils soient avec nous de fidèles héritiers de Denis, Rustique et Éleuthère, de ceux qui nous ont initiés à la foi et qui nous accompagnent de leur prière. Qu’ils soient pour notre Église qui est à Paris un ferment nouveau.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois
Archevêque de Paris