Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Fête de l’Assomption de la Vierge Marie
Jeudi 15 août 2013 - Notre-Dame de Paris
Ouverture
Les chrétiens se réunissent pour célébrer l’Assomption de la Vierge Marie. En France, depuis le vœu de Louis XIII, des générations de nos ancêtres ont confié notre pays, leur propre sécurité personnelle et l’avenir des leurs et de leurs descendants à l’intercession de la Vierge glorieuse. Nous participons à cette ferveur populaire avec une joie particulière en ce 850e anniversaire de la cathédrale Notre-Dame de Paris. La même ferveur se manifeste en beaucoup d’autres hauts lieux spirituels de notre pays, notamment à Lourdes. Nous nous unissons à l’espérance qui a jeté tant de chrétiens sur les routes de nos sanctuaires, sur les places de nos villes et nos villages. Nous nous unissons à vous tous qui vous joignez à notre prière grâce à l’eurovision, habitants de France, de Belgique, de Suisse, des Pays-Bas, d’Irlande, d’Espagne et du Canada. Nous préparons nos cœurs à accueillir cette espérance en nous reconnaissant pécheurs.
Homélie
– Ap 11, 19 a et 12, 1-6a.10 ab ; Ps 44, 11-16 ; 1 Co 15, 20-27a ; Lc 1, 39-56
Marie, figure du salut de l’humanité
La vision de l’Apocalypse nous présente la femme couronnée d’étoiles qui enfante le Messie : « l’enfant mâle, celui qui sera le berger de toutes les nations. » Dans le drame qui se joue entre la femme qui enfante et le dragon, symbole de Satan et de l’esprit du mal, c’est le salut de l’humanité qui est figuré et la victoire de Dieu qui « enlève l’enfant auprès de son trône. » Cette vision est une prophétie de la victoire de la foi sur les forces du mal. Une vision d’espérance et de force : « Voici maintenant le salut, la puissance et la royauté de notre Dieu et le pouvoir de son Christ ! » L’avenir des hommes n’est pas voué à la fatalité et aux forces du mal. Il y a une espérance de vie et de bonheur.
Au long de l’histoire, l’ingéniosité humaine a permis de surmonter beaucoup de fléaux dont l’humanité était affligée. Et pourtant, nous constatons une concomitance du « mieux-vivre » et du « malaise de vivre » ? Les formes de salut dont nous bénéficions sont peut-être authentiques et appréciables, mais elles laissent de côté la question fondamentale du sens de la vie et de la plénitude du bonheur ? N’est-ce pas le signe que l’on a trop souvent et trop facilement confondu les conditions de vie avec le sens de la vie ?
L’enjeu de la vie humaine n’est pas simplement la nourriture, la paix, la sécurité, la santé et le bien-être. L’enjeu, c’est la vie elle-même et sa confrontation à la maladie et à la mort. Aujourd’hui, de la plupart des maladies on peut guérir, -ou du moins soulager la souffrance-. Mais de la mort on n’en guérit pas, c’est notre commune épreuve. La victoire du Christ sur la mort est le seul salut qui affronte l’épreuve irrémédiable. Pour participer à cette victoire du Christ sur la mort il n’y a pas deux chemins, il n’y en a qu’un : c’est la foi au Ressuscité.
Vous qui êtes venus si nombreux célébrer l’Assomption en cette Année de la foi, rendez grâce à Dieu pour la foi qui vous a conduits ici. Même si vous la sentez faible, vacillante ou incertaine, appuyez-vous sur elle pour confier à Dieu, par l’intercession de Notre-Dame, toutes les misères qui vous affligent et qui affligent ceux que vous représentez ici. Regardez autour de vous la foule qui vous entoure et qui devient un signe de la foi vécue en ce jour. Regardez la joie de cette part de l’Église réunie ici ce matin. Avec Élisabeth nous aussi nous pouvons dire : « Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu’à moi ?… Heureuse celle qui a cru à l’accomplissement des paroles qui lui furent dites de la part du Seigneur. »
Cette joie de la foi est en même temps l’aboutissement de nos espérances et le point de départ d’une nouvelle manière de vivre. En effet, à quoi bon éprouver la question cruciale du sens de la vie si cette expérience ne se concrétise pas dans une décision pour orienter notre vie sur les chemins où le Christ veut entraîner ses disciples ? Nous ne sommes pas venus seulement nous réjouir de la victoire du Christ sur la mort, nous sommes venus nous associer au dynamisme propre de cette victoire, à l’amour pour les hommes que Dieu a manifesté en son Fils livré pour le salut des hommes.
Alors, Frères et Sœurs, il nous faut nous interroger sur la manière dont notre foi au Christ peut transformer notre vie, la rendre plus belle et plus fructueuse. Notre communion dans l’amour du Christ nous appelle et nous incite à chercher comment réorienter sans cesse notre vie selon l’amour, l’amour de Dieu et l’amour de nos frères. Comment être chrétien en 2013, en France, en Europe et partout dans le monde ? Permettez-moi de vous suggérer quelques questions pour éclairer votre réponse à cette question.
Dans notre vie personnelle, qu’est-ce qui compte le plus ? Pour quoi sommes-nous réellement prêts à des sacrifices ou à des combats ? Comment situer l’argent, la sécurité financière et les droits sociaux par rapport aux impératifs du service, de la solidarité et du partage ? Comment s’exprime notre foi chrétienne, quelle est la place de la prière personnelle, de la participation à l’Eucharistie dominicale et à la vie de notre Église ?
Dans notre vie familiale, comment assumons-nous les engagements que nous prenons ; engagements conjugaux et engagements parentaux ? Comment notre fidélité nourrit-elle la confiance dans la parole donnée sans laquelle il n’y a plus de société civilisée possible ? Il ne peut rester qu’une société procédurière marquée par l’inflation des lois et des poursuites. Comment les jeunes de nos familles pourraient-ils envisager sereinement leur avenir s’il n’y a plus d’engagements qui tiennent ?
Dans notre vie sociale, pouvons-nous prendre notre parti de l’écart croissant entre les citoyens qui jouissent de la sécurité des droits sociaux et ceux qui sont marginalisés et poussés à l’exclusion ? De quel prix payons-nous nos sécurités ? Ou plutôt à qui les faisons-nous payer ? Comment supporter que le débat politique se dévalue dans une surenchère d’invectives sur les questions les plus graves ? Comment accepter que nos médias se laissent enfermer dans cette logique du spectacle, alors que de grandes questions s’imposent à l’humanité entière ?
Ne nous laissons pas prendre dans le piège des tourbillons médiatiques qui se développent sur eux-mêmes et deviennent une sorte de réalité virtuelle ! Ne nous laissons pas enfermer dans une société pharisienne où les procureurs se multiplient à l’envi ! Ne nous laissons pas entraîner dans les délires d’une surenchère de violence verbale ou physique. Laissons l’amour de Dieu dilater nos cœurs aux dimensions de l’humanité. Apprenons du Christ à nous faire le prochain de l’homme qui voit sa vie se perdre au bord des chemins de l’histoire et faisons-nous proches de lui plutôt que de vouloir l’éloigner et le séparer de nous-mêmes et de notre société.
Une société fraternelle et responsable est possible si chacun de nous est résolu à aimer davantage et à se donner tout entier par amour comme la Vierge Marie nous en a donné l’exemple. Que Notre-Dame entende aujourd’hui nos prières, qu’elle en soit porteuse devant Dieu et qu’elle intercède pour nous !
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris