Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe d’installation du Père Matthieu Rougé à St Ferdinand-Ste Thérèse-de l’Enfant-Jésus - 24e dimanche du Temps Ordinaire – Année C
Dimanche 15 septembre 2013 – St Ferdinand-Ste Thérèse-de l’Enfant-Jésus (Paris XVIIe)
Les paraboles de la miséricorde ne sont pas une sorte de passeport pour l’immoralité mais un appel à la conversion fondé sur la certitude que Dieu veut sauver le monde. Dans une paroisse, le ministère du curé consiste à mettre en œuvre ce témoignage de foi, de miséricorde et d’accueil.
– Ex 32, 7-1.13-14 ; Ps 50, 3-4.12-13.17.19 ; 1 Tm 1, 12-17 ; Lc 15, 1-32
Frères et Sœurs,
N’est-ce pas une grâce exceptionnelle de célébrer l’installation canonique de votre nouveau curé à la lumière de ces trois paraboles par lesquels Jésus essaye de faire comprendre le sens de sa mission et les gestes par lesquels Il réalise cette mission. Vous vous en souvenez, la cause première de ces paraboles, c’est la contestation des pharisiens et des scribes qui Lui reprochent de faire bon accueil aux pécheurs et de manger avec eux, c’est-à-dire d’avoir table commune avec les pécheurs. N’avaient-ils pas, ces scribes et ces pharisiens, la vision d’un peuple de Dieu protégé de toute contamination, épargné par les faiblesses que connaît l’humanité et qu’ éprouvait le peuple de Dieu lui-même, si nous nous en référons au récit de l’Exode qui nous rappelle l’épisode célèbre du Veau d’Or et de la propagation de l’idolâtrie alors même que Dieu venait de sceller l’Alliance avec son peuple ? Cette vision sous-jacente, et peut-être toujours tentante, d’un peuple épargné, purifié, protégé de toutes les influences mauvaises qui l’entourent, cette image renaît constamment derrière non seulement nos théories sur l’Église mais derrière notre pratique de la vie de l’Église. Il est donc très important que, régulièrement, nous soyons remis en face de la mission du Christ, telle qu’Il l’a conçue lui-même et de la vision de Dieu que cette mission du Christ doit manifester parmi les hommes. Le Dieu dont Jésus-Christ est l’envoyé est un Dieu passionné par le désir de retrouver l’humanité rassemblée, un Dieu habité par l’angoisse de retrouver celui qui a été perdu, un Dieu travaillé par le désir d’aller au-devant de ceux qui se sont éloignés de Lui.
Il n’est pas nécessaire de développer longuement ces aspects de la miséricorde de Dieu, il suffit de les rappeler pour que se lève spontanément en nous le souvenir de tant de paroles et de tant de gestes du Christ manifestant cette disposition du cœur de Dieu à la miséricorde. Ce qui est plus important sans doute, c’est que nous ayons conscience que cette profession de foi dans la miséricorde de Dieu est le fondement même de la conversion. Il nous faut comprendre, à travers en particulier l’image du fils qui est parti dilapider son bien, comment cette espérance -et pour les plus heureux cette foi- que Dieu qui les appelle va les accueillir à bras ouverts, peut être une motivation pour entrer dans le chemin de la conversion. Car ce serait une erreur grossière d’interpréter ces paraboles de la miséricorde comme une sorte de passeport pour l’immoralité. Jésus ne nous dit pas que Dieu approuve le péché, Il ne nous dit pas qu’Il encourage l’idolâtrie, Il nous dit que l’amour de Dieu est suffisamment ouvert et passionné pour que quiconque le souhaite puisse y trouver sa place en revenant vers Lui, c’est-à-dire au sens propre du mot : en se convertissant. Mais la motivation de la conversion, ce qui va ébranler celui qui s’est éloigné de Dieu, ce qui va faire monter en lui ce que nous percevons de nostalgie dans la pensée du fils pensant aux serviteurs qui mangent à leur faim dans la maison du père, c’est cette certitude que Dieu veut sauver le monde, que Dieu est passionné par ce désir de sauver le monde, au point d’avoir envoyé son Fils, son unique, pour opérer ce salut du monde.
La mission de l’Église n’est donc pas d’étendre sa bénédiction à tous les modes de vie, à toutes les attitudes, à tous les travers de la faiblesse humaine, elle est de témoigner que cette miséricorde de Dieu est suffisamment puissante pour que chacune et chacun puissent, sans crainte, se tourner vers Lui et échapper aux travers de son existence. C’est un appel à la conversion, à entrer dans la joie du festin que le père organise pour son fils revenu à la vie, c’est un appel à croire que la liberté et le cœur de l’homme sont plus grands que ses fautes. La mission de l’Église est d’être le témoin de cette miséricorde, c’est-à-dire de manifester par sa vie, par l’exemple que donnent ses membres, que la communion avec Dieu est la source d’une joie infinie, mais d’une joie ouverte à tous ceux qui veulent bien y recourir par le changement de leur vie. Évidemment, dans une communauté particulière comme l’est une paroisse, le ministère du curé et des collaborateurs est précisément de mettre en œuvre ce témoignage de la puissance de la foi, de la profondeur de la miséricorde de Dieu, de la disponibilité du Père à accueillir tous ses enfants qui se tournent vers Lui.
Beaucoup d’entre vous, sans doute, n’ont jamais eu la faveur de pénétrer dans la sacristie de l’église Saint-Ferdinand-des-Ternes, et donc je vais vous confier un secret que vous pourriez découvrir tout seul… Dans cette sacristie il y a, au-dessus du meuble qui contient les objets de la liturgie, un magnifique joug, comme on en mettait autrefois sur les bœufs d’attelage – je parle pour les très anciens qui savent qu’il a existé un jour des bœufs d’attelage en France – un joug magnifique, verni, qui évoque très clairement le ministère pastoral ! C’est une évocation de la représentation que Jésus lui-même en a donnée à ses disciples : « prenez sur vous mon joug… Mon joug est facile à porter et mon fardeau léger » (Mt 11, 30). C’est un joug : on le porte sur les épaules. Il pèse, comme le joug du Christ pèsera sur ses épaules et il ne sera pas léger. Si le Christ peut parler d’un joug facile à porter et d’un fardeau léger, c’est parce qu’Il parle du dynamisme de l’amour qui animera son cœur quand Il portera sa croix, et qu’Il veut infuser ce dynamisme de l’amour à ceux qu’Il a choisis comme ses disciples. Ce joug qui pèse sur nos épaules est en même temps la source d’une grande joie. Ce n’est pas un joug qui écrase celui qui en est chargé, c’est un joug qui le stimule et qui le met debout pour accomplir la mission qu’il reçoit. Je souhaite que la mission que je confie au Père Matthieu Rougé d’annoncer l’évangile dans cette portion de la ville de Paris, de sanctifier les fidèles, d’être témoin de la foi et d’exercer la responsabilité pastorale soit pour lui un joug facile à porter et un fardeau léger, d’autant plus qu’il est déjà assuré qu’il ne portera pas ce joug dans la solitude mais qu’il sera très profondément accompagné et soutenu par l’ensemble de ses paroissiens.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.