Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Ste Rosalie pour les 50 ans de l’érection de la chapelle en paroisse - 25e Dimanche Temps Ordinaire - Année C

Dimanche 22 septembre 2013 - Ste Rosalie (Paris XIIIe)

L’épisode du gérant malhonnête ne nous est pas rapporté par Jésus pour nous inciter à la malhonnêteté mais comme un encouragement à réfléchir sur ce qui est le plus important pour nous. Ne risquons-nous pas de devenir des serviteurs manipulés par nos biens et esclaves de ce qui devrait nous libérer ?

 Am 8, 4-7 ; Ps 112, 1-2.5-6.7-8 ; 1 Tm 2, 1-8 ; Lc 16, 1-13

Frères et Sœurs,

Nous comprenons bien en entendant cet évangile que Jésus ne veut pas nous donner en exemple la malhonnêteté ! S’il cite en exemple ce gérant malhonnête et si son maître fait son éloge, ce n’est pas parce qu’il est un voleur, c’est parce qu’il a fait montre de jugement et d’astuce, il a été habile. Et ce que Jésus veut nous donner en exemple, ce n’est pas la malhonnêteté du gérant mais c’est le processus de son raisonnement. Il se dit capable de travailler, mais s’il avait été capable de travailler, il n’aurait pas été là. Mendier, il aurait honte. Alors comment va-t-il survivre ? Comment faire s’il ne peut plus profiter de l’argent de son maître ? Alors il trouve cette astuce en réduisant les dettes des débiteurs et en récupérant la marge qui en résulte pour lui. C’est cette habilité que le maître va louer, car elle montre que cet homme est capable de raisonner pour comprendre ce qui est le plus important pour lui. Ce qui prend la première place, c’est de savoir comment il va vivre, ce qu’il va manger, comment il va subsister, comment son avenir sera assuré. Et s’il doit pour cela extorquer des fonds à son maître, évidemment, ce n’est pas cela que Jésus nous encourage à faire, mais plutôt à réfléchir sur ce qui est le plus important pour nous, ce qui compte pour notre avenir. Qu’est-ce qui compte pour notre survie ? Autrement dit, dans quels moyens mettons-nous notre confiance ? Ce raisonnement nous amène au cœur de l’enseignement de du passage de l’évangile de saint Luc qui est la condamnation portée sur l’argent trompeur. Et c’est à chaque fois en insistant sur le fait que l’argent est trompeur que Jésus veut attirer notre attention.

En quoi l’argent est-il trompeur ? Il n’est pas trompeur par rapport à ce qu’il nous permet d’acquérir, ou à ce qu’il nous permet de faire. Il est trompeur parce qu’il nous fait déplacer le centre de gravité, l’objectif vers lequel notre vie est orientée. Il est trompeur parce qu’il nous laisse croire que nous pouvons accumuler des biens, et comme le laisse entendre ce passage de l’évangile, accumuler des biens par n’importe quel moyen, y compris les moyens malhonnêtes. Il nous fait comprendre que l’argent nous trompe, nous donne l’illusion que nous allons pouvoir assurer notre existence, notre avenir, notre subsistance simplement par l’accumulation de biens. Alors que la véritable question est : de qui sommes-nous les serviteurs ? De qui dépendons-nous ? À la remorque de qui et de quoi mettons-nous notre vie ? C’est cette question qui est au cœur du choix que les disciples doivent faire pour suivre le Christ.

Vous vous rappelez que dimanche dernier nous avons médité sur la parabole de l’enfant prodigue et du père qui l’accueille. Jésus a voulu nous présenter la volonté de Dieu de sauver ce qui est perdu, de rendre la vie à ce qui est mort. Mais pour être sauvé par cet amour du Père, pour être rendu à la vie, pour que notre vie se développe, il y a des choix à faire. En qui mettons-nous notre confiance ? Sommes-nous comme ces membres du Peuple d’Israël que le prophète Amos condamnait, parce qu’ils écrasaient le pauvre et anéantissaient les humbles du pays, parce qu’ils faussaient les mesures pour exploiter ceux qui avaient recours à eux ? Ou bien sommes-nous comme ceux que Paul décrit dans l’épître à Timothée : des gens qui essayent de vivre dans le calme et la sécurité, en hommes religieux et sérieux ? Voilà un choix. Essaye-t-on de « s’arranger » avec sa conscience, de « s’arranger » avec l’honnêteté, de « s’arranger » avec la vérité ? Ou bien accepte-t-on d’être de ces hommes et de ces femmes qui réfléchissent et qui choisissent ce qui est bien, ce qui correspond à leur vocation quand ils connaissent pleinement la vérité et qui acceptent de renoncer à un certain nombre d’avantages, de renoncer aux moyens de la richesse, de renoncer à la puissance que l’argent nous donne les uns sur les autres pour devenir vraiment des compagnons du Christ et de ne pas servir deux maîtres ? La richesse, l’argent, sont des moyens mis à notre disposition, que nous pouvons utiliser, que nous pouvons accroître. Mais une question demeure toujours : pour quoi faire ? Dans quel but ? Vers quel objectif cheminons-nous avec cet argent et cette richesse ? Sommes-nous devenus nous-mêmes esclaves de ce qui devrait être un moyen dans notre vie ? Sommes-nous devenus non pas des maîtres qui gèrent leurs biens, mais des serviteurs manipulés par leurs biens et esclaves de ce qui devrait les libérer ?

« Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent » (Lc 16, 13). A quoi donnez-vous la première place ? J’ai lu cette semaine dans un magazine qu’il y avait, -je crois à New York- une statue du trader modèle, sorte de Veau d’or de l’âge contemporain devant lequel les gens passaient avec admiration et envie ! Est-ce que ce sont les statues des traders ou les modèles du monde « people » qui fascinent notre regard ? Ou bien est-ce que c’est le visage de notre véritable maître, c’est-à-dire Dieu, le visage de Dieu tel qu’il s’est révélé dans le Christ et qui veut appeler tous les hommes pour qu’ils soient sauvés en arrivant à connaître pleinement la vérité ?

Frères et sœurs, nous célébrons le cinquantième anniversaire de la paroisse Sainte-Rosalie. Nous avons bien conscience d’être les acteurs d’une histoire, à un moment de l’histoire. Nous sommes les héritiers d’hommes et de femmes qui ont construit cette communauté depuis plus d’un siècle, et en particulier depuis cinquante ans. Comment sommes-nous héritiers de l’esprit de charité qui a perduré au-delà de la vie active de Sœur Rosalie et de l’abbé Le Rebours ? Comment sommes-nous vraiment les porteurs aujourd’hui d’un choix de vie qui est le contenu de notre vraie prière ? « Je voudrais donc qu’en tout lieu les hommes prient en levant les mains vers le Ciel, saintement, sans colère ni mauvaises intentions » (1 Tm 2, 8). Que ce lieu qui est non seulement le bâtiment où vous vous rassemblez, mais le lieu communautaire où votre paroisse se construit autour de l’eucharistie, soit un lieu où Dieu a vraiment la première place, un lieu où vous levez les mains vers le Ciel pour prier avec confiance et sans colère.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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