Homélie du cardinal André Vingt-Trois – 24e dimanche du Temps Ordinaire – Année C

Dimanche 15 septembre 2013 - Notre-Dame de Paris

Les paraboles de la miséricorde exposées par le Christ et rapportées par saint Luc expriment la passion de Dieu pour aller à la recherche de ce qui est perdu, sans condition préalable, dans un acte d’amour dont lui, le Christ, est la manifestation éclatante et définitive. Dieu ne rejette jamais un pécheur qui se convertit.

 Ex 32, 7-1.13-14 ; Ps 50, 3-4.12-13.17.19 ; 1 Tm 1, 12-17 ; Lc 15, 1-32

Frères et Sœurs,

Quand Jésus participe au repas des publicains et des pécheurs, et qu’il suscite le scandale des scribes et des pharisiens, il veut manifester d’une façon particulièrement éclatante le sens de sa mission parmi les hommes. Il est venu dans le monde non pas pour les bien-portants mais pour les malades, non pas pour les justes mais pour les pécheurs. A travers sa venue dans le monde, c’est la plénitude de la miséricorde de Dieu qui est manifestée aux hommes. Comment pourrait-il mieux manifester cette miséricorde qu’en se plongeant au milieu des publicains et des pécheurs, manifestant par-là les destinataires prioritaires de sa présence et de son action ?

L’opposition des scribes et des pharisiens exprime, d’une façon peut-être polémique mais en tout cas très convaincue, que l’appartenance au Peuple Élu, au peuple des Justes, ne peut pas coexister avec des contacts qui entacheraient l’alliance avec Dieu. Comme si la justice devant Dieu consistait à appartenir à telle ou telle catégorie, fut-elle celle que Dieu lui-même a définie par son alliance en lui donnant la Loi de vie. Mais le récit du livre de l’Exode nous montre comment, dès l’origine, alors que Moïse vient à peine de recevoir les commandements, le Peuple Élu qui a été sauvé de l’Égypte, entraîné dans le désert pour parvenir à la terre que Dieu lui a promise, s’est détaché de Lui, s’est fabriqué une idole, a voulu changer de Dieu. Ainsi, à travers cet exemple tout à fait emblématique mais renouvelé tant et tant de fois au cours de l’histoire d’Israël, le peuple alerté par les prophètes, appelé à vivre de la Loi, est à-même de mesurer lui-même les limites de sa fidélité. Et si les scribes et les pharisiens sont si pointilleux sur les risques qu’ils courraient à fréquenter les publicains et les pécheurs, c’est peut être plus un signe de leur faiblesse qu’un signe de leur certitude d’être déjà des saints. Jésus n’entre pas dans cette logique. Il n’est pas venu pour condamner le monde, pour soumettre le monde à un jugement de condamnation, Il est venu pour sauver le monde, pour appeler le monde au Salut.

Mais le salut auquel le Christ nous appelle, et dont Il ouvre pour nous le chemin, n’est pas un salut qui se réaliserait en dépit de ce que nous vivons, en dépit de ce que nous faisons et sans aucune collaboration de notre part, comme s’il suffisait que Jésus s’asseye à la table des pécheurs pour que brusquement ils ne soient plus pécheurs. Ce serait une interprétation tout-à-fait exagérée de considérer que ces paraboles que le Christ donne en illustration de sa pratique seraient un encouragement à justifier le péché. La miséricorde de Dieu n’est pas un blanc-seing pour ne pas nous inquiéter de ce que nous faisons, c’est une garantie pour motiver chez nous le désir de vivre mieux. Cette passion de Dieu pour aller à la recherche de ce qui est perdu, cette passion de Dieu pour rendre la vie à ce qui était mort, que nous voyons s’exprimer à travers ces trois paraboles, par l’inquiétude du berger, par la recherche fébrile de la femme, par l’attente anxieuse du père, cette passion de Dieu d’accueillir et d’attirer les hommes à Lui est la condition préalable et nécessaire pour que nous puissions faire retour sur nous-mêmes et prendre conscience de ce qui nous sépare de Lui. Le fils dans l’abandon est en pays païen à garder des porcs. Il se met à réfléchir et à penser au bien-être de la maison de son père pour motiver sa détermination à rejoindre cette maison et à se reconnaître pécheur.

C’est cette certitude de l’amour de Dieu manifesté à travers les siècles et de façon éclatante et définitive dans l’incarnation du Fils unique, c’est cette certitude de la miséricorde infinie de Dieu qui peut toucher nos cœurs et nous faire mesurer le chemin qui nous reste à parcourir pour revenir à la maison du Père, c’est cette certitude de la miséricorde de Dieu qui est l’argument principal capable de déterminer notre conversion. Bien sûr, nous le voyons pour le fils prodigue, la réflexion lui vient de ses malheurs, de la misère qu’il connaît, de l’abandon où il se trouve, mais cette réflexion aboutit immédiatement à faire mémoire de la maison du père qu’il a quittée. Il se peut que nous-mêmes nous soyons conduits à réfléchir sur notre vie à travers les conséquences de ce que nous vivons, les malheurs qui nous accablent ou les tracas qui nous habitent. Mais ce ne sont ni la misère, ni les malheurs, ni les tracas qui suffisent à provoquer dans le cœur de l’homme une détermination suffisante pour changer de vie et se mettre en route. Ce qui va déterminer et mettre en œuvre la force nécessaire au changement de vie et à la conversion, c’est la certitude que Dieu ne rejette jamais un pécheur qui se convertit, que Dieu attend les bras ouverts pour le serrer sur son sein et l’appeler à nouveau son enfant. C’est dans cette certitude que l’évangéliste saint Luc veut faire progresser ses auditeurs en leur faisant état de cette proximité de Jésus avec les publicains et les pécheurs, non pas évidemment pour approuver le comportement des publicains et des pécheurs, mais pour montrer qu’il y a un amour plus grand que notre cœur, une miséricorde plus grande que nos faiblesses, une tendresse plus forte que notre péché, pouvant arracher l’homme à son malheur en le remettant sur le chemin de la vie.

Frères et sœurs rendons grâce à Dieu qui nous fait recevoir ce message de miséricorde et d’espérance. Rendons grâce à Dieu si ce message de miséricorde et d’espérance touche nos cœurs et nous conduit à nous regarder tels que nous sommes en espérant que nous pourrons, nous aussi, retourner chez le Père et lui dire : Père, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils, traite-moi comme un serviteur, alors il tuera le veau gras et il organisera la fête pour l’enfant qui était perdu et retrouvé, pour le fils qui était mort et qui est revenu à la vie.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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