Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Messe pour le 50e anniversaire de la consécration de l’église Ste Claire - 27e dimanche du Temps Ordinaire - Année C

Dimanche 6 octobre 2013 - Sainte-Claire (Paris XIXe)

La foi, c’est la vie de Dieu en nous, réalité non quantifiable mais qui rend possible des choses extraordinaires, parce que c’est Dieu lui-même qui agit dans le cœur des hommes.
C’est cet esprit d’amour qui rend possible la vie d’une communauté riche de sa diversité, donnant ainsi un signe de la présence de Dieu en ce monde.

 Ha 1, 2-3 et 2, 2-4 ; Ps 94, 1-2.6-9 ; 2 Tm 1, 6-8.13-14 ; Lc 17, 5-10

« Seigneur, augmente en nous la foi » (Lc 17, 5), c’est ce que nous avons demandé à Dieu tout au long de cette Année de la foi qui va s’achever à la fin du mois de novembre, c’est ce que nous demandons souvent dans notre prière personnelle. Quand nous nous tournons vers le Seigneur à travers les différentes circonstances de notre vie, il nous semble à certains moments que si notre foi était plus forte, plus vivante, plus musclée nous serions mieux armés pour affronter les difficultés de l’existence et que sans doute, nous aurions plus de moyens de faire face aux difficultés. Et la réponse du Christ doit nous faire réfléchir. Il ne pose pas la question en terme de quantité, « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : ’Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous obéirait. » (Lc 17, 6) La puissance de la foi n’est pas une question de quantité, ce n’est pas comme si on avait un indicateur ou un compteur avec l’aiguille qui monte chaque fois que notre foi augmente et l’aiguille qui descend quand notre foi diminue ! La foi, c’est la vie de Dieu en nous. C’est une réalité qui n’est pas quantifiable et dont la force ne dépend pas du sentiment que nous avons d’avoir la foi. Nous sommes chrétiens, nous essayons d’être chrétiens, et nous essayons de vivre selon la parole du Christ. C’est cela qui est l’élément essentiel, si nous nous appuyons sur le Seigneur, même si c’est de façon très imparfaite, même si c’est d’une façon même marginale par rapport à toutes nos autres recherches, si nous nous appuyons vraiment sur le Seigneur, alors il peut réaliser des choses extraordinaires dans notre vie, comme de déplacer des arbres et d’aller les planter dans la mer.

Cette puissance de la foi qui est à l’œuvre nous incite à vivre dans l’espérance, c’est-à-dire à comprendre que l’accomplissement de notre vie, l’épanouissement de notre vie, la sérénité de notre vie, dépendent de cette confiance que nous avons dans la présence et dans la force de Dieu. « Augmente en nous la foi », cela veut dire pour nous d’abord : fais-nous mieux comprendre, découvrir, que ce qui change le monde ce ne sont pas nos idées, ce ne sont pas nos efforts, ce ne sont pas nos travaux, c’est la puissance de Dieu qui transforme le cœur des hommes. Quand le serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, il a le sentiment qu’il a fait le travail de son patron, que c’est grâce à lui que la ferme va pouvoir vivre, et il découvre que cela n’est pas comme cela que les choses se passent, car nous avons travaillé, nous travaillons à l’œuvre de Dieu, mais nous devons être convaincus que ce n’est pas la quantité de notre activité, le volume de nos efforts qui vont changer le cœur des hommes et changer le monde, c’est Dieu lui-même qui change le cœur du monde et qui change le monde. C’est donc pour nous l’occasion de prendre conscience que notre point d’appui le plus fort, le rocher sur lequel nous pouvons appuyer notre vie, c’est notre foi en Dieu, c’est la certitude que Dieu est vivant, que Dieu est présent, que Dieu est venu, qu’il vient dans notre cœur comme nous l’avons reçu au moment du baptême, ou comme nous le recevons au moment de la communion, ce Dieu dont saint Paul dit à Timothée qu’il l’a reçu par l’imposition de ses mains, comme tous ceux qui ont été baptisés et confirmés ont reçu la vie de l’Esprit par l’imposition des mains.

Cet esprit de Dieu qui habite nos cœurs n’est pas un esprit de crainte, un esprit de peur, mais un esprit de force, d’amour et de raison. C’est sur cet esprit que nous appuyons notre vie, c’est par cet esprit que nous conduisons notre vie et c’est sur cet esprit que nous comptons pour que notre vie porte du fruit. Ceci est vrai de la vie de chaque chrétien à travers le monde, et nous avons aujourd’hui, grâce aux moyens de communication multiples, quantités d’informations sur la vie des chrétiens dans le monde, nous avons des informations très préoccupantes qui concernent les chrétiens de Syrie ou du Moyen-Orient, nous avons des informations très préoccupantes de chrétiens persécutés dans différents pays d’Asie, où je rappelle qu’il y a peu de temps, 80 personnes ont été tuées à la sortie de la messe. Nous avons des informations sur les communautés à travers le monde, en Afrique, en Amérique, en Océanie, mais je dirais, d’une certaine façon, ce monde, cet univers si vaste et si diversifié, nous l’avons présent ici, puisqu’il y a tant de visages, tant de cultures, tant de pays qui sont représentés par les membres de votre communauté. Et c’est un premier signe de cet esprit d’amour et de raison que nous donnons dans notre société où il semble que la capacité d’accueillir et de recevoir des gens très différents de nous pose une question. Nous essayons, nous ne sommes pas toujours parfaits dans le succès, jour après jour, semaine après semaine, de faire en sorte que nos communautés chrétiennes donnent le signe d’une communion qui dépasse la ressemblance et la similitude. Vous êtes ici de différentes couleurs, de différentes cultures, de différentes traditions, de différentes histoires aussi, et la force de notre foi, c’est que nous nous situons les uns par rapport aux autres, non pas en raison de la couleur, de la culture, de l’histoire, mais simplement en raison de la présence effective de ceux et de celles que le Seigneur nous donne comme des frères, alors qu’ils ne sont pas nos frères.

Le Seigneur nous donne de nous reconnaître comme des frères et des sœurs et de vivre une vie de communauté qui ne fait pas de différences entre les personnes et qui les accueille du mieux qu’elle peut. C’est cet esprit d’amour et de raison qui doit guider notre vie. C’est pour donner ce signe de la présence active de l’amour de Dieu dans le tissu de la société humaine que jadis, comme le Père de Raucourt l’a rappelé tout à l’heure, le curé de Saint-François d’Assise des Buttes-Chaumont a promu la construction de cette chapelle qui est devenue ensuite une paroisse, un signe dans un quartier où toutes les populations sont mélangées et cohabitent du mieux qu’elles peuvent. Nous sommes appelés par le Christ à constituer une communauté familiale, à vivre une relation de frères et de sœurs entre des gens aussi différents. Vous ne vous voyez pas ! Mais aujourd’hui vous avez la possibilité de vous voir un peu en regardant les prêtres qui vont concélébrer autour de moi ! Voyez, il y en a de toutes les couleurs si je puis dire ! Il y en a de tous les pays, de tous les continents, et ils vont concélébrer avec moi comme prêtres du Seigneur et comme membres actifs de l’Église du Christ. Ils seront pour nous le signe de cette communion que nous sommes chargés de vivre et de mettre en œuvre. Il reste que si nous avons de « la foi gros comme une graine de moutarde », ce qui doit être quand même le cas de beaucoup d’entre nous, nous pouvons changer quelque chose dans notre monde. Et surtout, nous devons ne pas avoir honte de rendre témoignage à Notre Seigneur, non pas parce que ce témoignage nous mettrait en valeur, mais parce que justement, malgré nos faiblesses, malgré nos difficultés ou nos lacunes, malgré nos pauvretés, la puissance de l’évangile fait que nous pouvons surmonter un certain nombre des difficultés de la vie collective et que nous pouvons donner un signe d’amour et de charité qui dépasse largement nos sympathies, nos capacités personnelles. Ce n’est pas parce que nous serions meilleurs que nos voisins que nous serions capables de faire cela, c’est parce que nous sommes habités par l’amour de Dieu.

Alors en rendant grâce pour les cinquante ans de cette paroisse, dépositaire de l’Évangile dans ce quartier de Paris, de la Porte de Pantin, nous restons fidèles à la foi que Dieu a déposée dans nos cœurs, grâce à l’Esprit Saint qui habite en nous, nous laissons fructifier cette puissance de vie et d’amour et nous la laissons transformer nos cœurs, pour qu’à notre tour nous devenions signes de cet amour de Dieu parmi les hommes.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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