Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe d’installation du Père Stanislas Lemerle curé du St Esprit – 29e dimanche du Temps ordinaire – Année C
Dimanche 20 octobre 2013 - Saint-Esprit (Paris XIIe)
La foi ne se réduit pas au catéchisme, c’est aussi une manière de vivre qui se définit par rapport à une personne qui s’est engagée à notre égard. La persévérance dans la prière est un des moyens de manifester notre foi. Le ministère des prêtres vient soutenir la prière de la communauté.
– Ex 17, 8-13 ; Ps 120 ; 2 Tm 3, 14 - 4, 2 ; Lc 18, 1-8
Frères et Sœurs,
Elle est redoutable la question par laquelle se termine l’évangile que nous venons d’entendre. « Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur terre ? » (Lc 18, 8) Car évidemment, cette question s’adresse aux auditeurs de Jésus, en l’occurrence ses disciples, mais à travers eux, elle s’adresse à tous ceux qui leur ont succédé et qui ont reçu, à travers les générations précédentes, l’annonce de la Bonne nouvelle, l’appel à la foi et, pour certains, une éducation et un apprentissage les aidant à découvrir le sens de cette foi et l’appel qu’elle représente dans notre manière de vivre.
Depuis déjà fort longtemps les sondages et les statistiques se multiplient pour nous expliquer que la foi disparaît. Bien sûr, je n’ose pas vous dire, à vous, combien de fois je suis interpellé par des gens qui me disent que les églises sont vides ! Je les invite toujours à m’accompagner un dimanche sans crainte que, quel que soit le quartier où je vais et l’église dans laquelle j’entre, ils se trouvent devant une église vide. Évidemment, vous allez dire que lorsque l’archevêque vient, tout le monde vient se réunir autour de lui ! Mais il n’y a pas seulement cela. La vitalité et la force du peuple chrétien sont une réalité, qui n’est pas seulement une réalité épisodique mais une réalité continue, et c’est à ce peuple chrétien que la question est posée : allez-vous être fidèles à la foi que vous avez reçue ? Allez-vous la nourrir, la fortifier et la développer ? C’était le sens et l’objectif de l’Année pour la Foi décidée par le Pape Benoît XVI et qui va se terminer dans quelques semaines. Nous avons essayé dans le diocèse de Paris, et je ne doute pas que cela été le cas dans la paroisse du Saint-Esprit, de profiter de cette Année de la Foi pour stimuler, au moins une réflexion, et si possible aussi des changements, des améliorations, des progrès dans la manière de vivre la foi.
Qu’est-ce que c’est la foi ? C’est bien difficile à dire ! On peut toujours affirmer que la foi, c’est d’abord adhérer, reconnaître, accepter un certain nombre de vérités sur Dieu et sur l’homme, si bien que peu à peu, on finit par croire que la foi se réduit à un catéchisme. Le catéchisme donne un contenu doctrinal à la foi, il ne se substitue pas à la foi. On peut apprendre par cœur un catéchisme, comme un certain nombre d’entre vous qui ont atteint le même âge que moi ont eu l’occasion de le faire dans leur enfance, on peut être très performant dans l’apprentissage des questions et des réponses, et surtout, d’ailleurs, ce qui était plus important que le fait de les retenir, la capacité de les restituer, car c’était cela l’objectif… on peut très bien posséder le contenu doctrinal, le contenu des idées de la foi, mais il reste que la foi n’est pas seulement un contenu doctrinal ou un ensemble d’idées, c’est une manière de vivre qui se définit par rapport à une personne, Dieu, lequel, comme vous le savez par votre expérience et par ce que nous en dit l’Écriture, « nul ne l’a jamais vu » (Jn 1, 18). Et c’est précisément pour cela que notre relation avec Dieu relève de la foi, c’est-à-dire d’un acte de confiance pour reconnaître dans cette personne que nous n’avons jamais vue, dont nous n’avons jamais eue une expérience sensible, celui qui s’est engagé à l’égard de l’humanité, et donc à notre égard.
Cette expression de notre confiance à la parole de Dieu n’est pas aveugle car elle s’appuie sur les signes qu’il a donnés de sa présence et de son action à travers l’histoire du peuple d’Israël comme nous le rappelait le Livre de l’Exode, à travers la vie, les actes, la mort et la résurrection de Jésus, à travers des générations de chrétiens qui ont constitué l’histoire de l’Église. Nous savons que Dieu intervient dans l’histoire des hommes, et c’est toute la question de la foi. Faisons-nous confiance à cette intervention de Dieu dans l’histoire des hommes ? Sommes-nous suffisamment convaincus que Lui, et Lui seul, peut venir en aide à notre existence ? L’obstination de cette veuve qui prie le juge indigne, est une figure que Jésus nous donne pour nous révéler une représentation de la persévérance de la prière. Celui qui croit, c’est d’abord celui qui reconnaît la présence de Dieu dans sa vie et dans l’histoire du monde. Il la reconnaît suffisamment pour se tourner vers lui et pour lui adresser ses supplications ses remerciements, lui présenter sa vie comme le terrain sur lequel il le supplie d’agir. Mais cette persévérance dans la prière, signe visible pour nous de la foi, n’est pas seulement la persévérance individuelle de chacun d’entre nous, c’est la persévérance de l’Église qui prie sans cesse à travers chacun de ses membres, à travers le corps ecclésial réuni en communauté, comme nous le sommes aujourd’hui, ou rassemblé dans des communautés de prière, comme le font les moines et les moniales. Dans cette foi de l’Église, le ministère apostolique, le ministère des prêtres joue un rôle déterminant. Les prêtres en effet sont ordonnés à recueillir cette prière de l’Église, à la présenter à Dieu, à la stimuler, à la nourrir, à la soutenir et à lui fournir sans cesse un nouvel élan.
Vous avez certainement en mémoire le récit de la prière de Moïse au cœur de la bataille. Moïse étendait les bras et priait Dieu, et tant que ses bras étaient levés, le camp d’Israël avait le dessus, et quand ses bras fatigués tombaient, le camp d’Israël avait le dessous. Aussi a-t-il fallu pour maintenir la permanence de cette prière tout au long du combat étayer Moïse ! On lui a fourni un siège pour s’appuyer et des points d’appui pour reposer ses bras et ne pas les laisser tomber au risque de voir Israël vaincu. Cette représentation très imagée, très figurative, nous aide à comprendre qu’il n’y a pas de possibilité humaine d’être seuls à persévérer dans la prière. Même si c’est la fonction essentielle de Moïse, même si c’est la force de sa foi qui s’exprime à travers cette prière, il ne peut y avoir de durée dans la permanence du combat humain que si ce dernier est appuyé sur ceux qui l’entourent et le soutiennent. C’est ainsi que le prêtre qui doit stimuler cette prière de la communauté, qui doit la porter avec persévérance, qui doit en être à la fois le guide et le soutien, ne peut exercer son ministère que s’il s’appuie sur une communauté chrétienne participant à sa mission. Et c’est pourquoi dans l’exercice de ce ministère, il recourt à la collaboration responsable et active de tous les membres de la communauté chrétienne.
Nous sommes invités, par les circonstances, par le temps que nous vivons, en tout cas c’est qui nous est dit aujourd’hui, à être les témoins de la permanence de l’amour de Dieu pour les hommes, les témoins de sa présence et de son action, et à devenir des intercesseurs pour l’humanité. Nous nous trouvons dans un quartier qui a une histoire, qui a un présent, qui a une grande diversité de populations et de convictions sur la vie de l’homme, sur son avenir. Et dans cette société qui n’est pas toute orientée vers Dieu, nous avons la mission d’être ceux qui intercèdent de façon permanente pour le bien de tous les hommes. Cette mission, nous ne pouvons pas l’accomplir sans que notre vie elle-même en soit transformée.
Dire que la foi s’exprime par la prière, cela veut dire que la foi suppose que nous soyons capables de prendre du temps. Et nous savons que ce temps est la donnée la plus précieuse et la plus rare, soit personnellement, soit en famille, soit dans des groupes auxquels nous participons. Nous sommes donc invités à développer cette capacité à prendre du temps pour nous remettre ensemble devant Dieu et reconnaître que c’est Lui qui est le centre de notre activité, le centre de notre vie.
C’est ce discours que nous sommes chargés de proclamer à temps et à contretemps, en faisant, comme saint Paul y invite son disciple Timothée, à la fois des reproches quand il nous semble que l’assoupissement et la tiédeur gagnent le cœur des croyants, mais aussi par des encouragements pour stimuler le dynamisme de la foi et de la charité, avec une grande patience et le souci d’instruire. C’est ce ministère que je confie au Père Stanislas Lemerle, au Père Bruno Guespereau et au Père Christophe Martin au milieu de vous, pour qu’ils soient les témoins de l’endurance et de la permanence de la foi, les acteurs de son développement et de sa fécondité.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.