Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à l’église paroissiale palestinienne de Beith Sahur (Bethléem) – Commémoration de l’annonce aux bergers

Jeudi 24 octobre 2013 - Beith Sahur - Bethléem

Avec l’avènement du Messie, Isaïe avait annoncé la disparition de toute forme de mal sur cette terre. Or nous constatons que le mal continue de sévir. Si Jésus est bien le Messie promis, c’est désormais à nous qu’incombe la responsabilité de travailler au Règne de Dieu, de donner des signes messianiques de paix.

 Voir le compte-rendu du pèlerinage en Terre Sainte à l’occasion de l’inauguration du mémorial Jean-Marie Lustiger.

 Is 11, 1-10 ; Ps 71 ; Lc 2, 8-20

Frères et Sœurs,

Les bergers, qui ont reçu dans la nuit de Bethléem le message des anges et qui se sont déplacés pour aller voir ce qui leur avait été annoncé, ont posé un acte de foi dans la lumière qu’ils avaient reçue.

Mais ce qui leur avait été annoncé, c’était l’avènement du Sauveur, c’était le fils de David promis, c’était le Messie. La naissance du Messie à Bethléem est une épreuve de la foi non seulement pour les bergers mais encore pour tous ceux qui attendaient l’accomplissement de la promesse de Dieu. Car ce que le prophète Isaïe avait annoncé sur la venue du Prince de la Paix, sur la disparition de tout mal sur sa terre et sur sa montagne, bref sur l’avènement d’un monde nouveau d’où seraient exclues et disparues la violence et la haine pour faire place à la paix et à la concorde, tout cela qui avait été annoncé comme l’œuvre du Messie à venir ne s’est pas accompli. Ni du temps de la vie de Jésus, ni après son ascension pendant le temps que nous vivons, les lions ne sont devenus végétariens, les hommes n’ont arrêté de se battre les uns contre les autres. Le mal continue de sévir contre l’humanité. L’épreuve de la foi n’est pas simplement l’épreuve qui consiste à reconnaître le Messie dans cet enfant nouveau-né couché dans une mangeoire, l’épreuve de la foi, c’est l’épreuve pour comprendre le sens des derniers temps que nous vivons depuis 2000 ans.

Comment pouvons-nous croire que Jésus est le Messie promis et venu, alors que les signes de la venue du Messie ne sont pas rassemblés ? Comment pouvons-nous croire en cette terre à la disparition de la violence, à l’avènement de la paix, alors que c’est toujours la haine et la guerre qui dominent les relations entre les hommes ? Et quel sens pouvons-nous donner à cette personnification des titres du Messie, si justement l’avènement du règne de Dieu n’est pas accompli ?

C’est la question qui est posée à notre propre foi, c’est la question du sens que l’on peut comprendre, donner et vivre à ce temps que nous vivons entre l’avènement du fils de Dieu dans la chair, dans la nuit de Bethléem, et la fin de l’histoire. Quel est le sens de ce temps où continue de sévir la mort ? Il faudra probablement plus que le message des anges pour nous convaincre d’aller voir si ce qu’il vient d’annoncer s’est bien réalisé, il faudra plus que le message des anges pour comprendre comment le Christ a pu annoncer l’avènement du Royaume, envoyer ses disciples annoncer cet avènement, et laisser se dérouler le temps de l’histoire avec la violence humaine.

Cela veut dire que croire dans cet enfant nouveau-né, trouvé dans une mangeoire, c’est en même temps reconnaître et accepter une mission pour le temps de l’histoire. Si Jésus est vraiment le Messie, si l’Esprit qu’il a envoyé sur ses disciples est vraiment l’Esprit de Dieu, si la mission qu’il leur a confiée vient vraiment du Père, alors c’est à nous de travailler à l’avènement du Règne de Dieu en ce monde, c’est à nous de donner des signes messianiques de la paix, c’est à nous de construire les conditions de la paix pour que l’annonce faite aux bergers soit authentique et que notre foi ne soit pas vaine.

C’est donc pour nous à la fois un moment de joie très intense que de venir sur les lieux où Jésus est né, où sa naissance a été annoncée aux bergers, où les pauvres se sont rassemblés autour de lui pour l’adorer, et un moment de grave responsabilité pour que cette annonce et l’événement qui y correspond ne soient pas simplement de l’ordre du conte de fée, mais de l’ordre de la réalité historique. C’est à nous, son Église en ce temps, que Dieu confie la mission de faire passer l’annonce de la Bonne nouvelle, d’un message illusoire à une réalité constatable. C’est notre mission à travers les siècles, c’est notre mission en ce temps. Nous sommes appelés à combattre de toutes nos forces et de tous les moyens dont nous disposons pour que le message annoncé aux bergers devienne, à travers les situations différentes des pays et des siècles, quelque chose de vrai, que les hommes puissent constater.

Nous savons que notre mission n’est pas achevée, que nous avons encore beaucoup à faire pour que cette réalité prenne chair de façon évidente.

Nous rendons grâce au Seigneur de ne pas nous laisser décourager par la violence, la haine, la mort et le mal, mais de nous appuyer sur ce que les berges ont vu et entendu, pour que nous aussi nous puissions garder ces événements dans nos cœurs, y appuyer notre foi et rendre témoignage.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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