Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame – 1er dimanche de l’Avent – Année A

Dimanche 1er décembre 2013 - Notre-Dame de Paris

Bien qu’annoncée par les prophètes, la naissance de Jésus dans ses conditions concrètes a été une surprise. Dans la monotonie des jours qui se succèdent, nous pouvons à notre tour laisser passer Noël mais surtout laisser passer Jésus qui revient chaque jour dans notre vie par différents chemins.
En méditant sa Parole, en appelant sa venue, en ouvrant notre vie à sa rencontre, nous sommes toujours prêts à l’accueillir.

 Is 2, 1-5 ; Ps 121, 1-9 ; Rm 13, 11-14a ; Mt 24, 37-44

Frères et Sœurs,

Bien que la venue du Messie ait été annoncée de longue date par les prophètes, la naissance de Jésus à Bethléem a été une surprise car personne n’attendait que le Messie de Dieu prenne chair de cette façon, dans la pauvreté d’une crèche, dans le silence de la nuit, dans l’isolement, à part quelques bergers prévenus par les anges pour venir l’adorer. C’est dire que l’on peut connaître et avoir reçu l’annonce de la venue du Fils de Dieu, et pourtant, son arrivée est toujours une surprise.
Nous savons que nous allons célébrer la nativité le 25 décembre. La date est fixée, on ne va pas la changer ! Les semaines pour nous y préparer sont fixées. Qu’est-ce qui pourrait se passer qui ne soit pas prévu ? Qu’est-ce qui pourrait se passer que les publicitaires n’aient pas anticipé ? Que les marchands n’aient pas préparé ? Que tout le monde n’ait pas déjà organisé pour partir : qui en vacances, qui pour rejoindre la famille, etc. ? Tout a été préparé, tout est conçu pour que les choses se déroulent comme prévu. D’une certaine façon, cette vision que nous avons de la célébration de la nativité se coule dans la monotonie des jours. Nous avons beau dépenser beaucoup d’argent et déployer beaucoup d’efforts et de talents pour nous donner l’impression qu’il se passe tous les jours quelque chose de nouveau, nous savons que la nouveauté sur l’écran de télévision ou dans le poste de radio ne correspond pas à une nouveauté dans notre vie. Que l’on soit un enfant qui va à l’école, que l’on soit un jeune étudiant, que l’on soit un adulte, ou que l’on soit un vieillard, chaque jour succède aux jours et demain sera comme hier. On est même en train de travailler avec plus ou moins de persévérance et de bonheur à banaliser le seul jour qui était un peu différent, le dimanche. Quand ce sera fait, il n’y aura plus aucune surprise possible, tous les jours seront pareils.

Au temps de Noé « on mangeait, on buvait, on se mariait » (Mt 24, 38), et de notre temps on pourrait dire à peu près la même chose, à quelques détails près. La vie coulait son cours, personne ne se doutait de rien, tout le monde avait trouvé son rythme et son sommeil. Ils ont été réveillés par le déluge ! Alors on peut dire que le déluge, c’est une histoire antique, cela n’a rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd’hui. Encore que les tsunamis japonais ou les ouragans philippins ne préviennent pas ! Même si on déployait des sciences très pointues pour prévoir, il y a encore des choses que l’on ne sait pas prévoir et qui arrivent. En tout cas, quand le Fils de l’homme viendra, nous n’en savons ni le jour, ni l’heure, il viendra comme un voleur, et donc il ne faut pas espérer que nous pouvons préparer sa venue. Il ne nous le demande pas d’ailleurs ! Ce qu’Il nous demande, c’est que nous soyons prêts nous aussi car « c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra » (Mt 24, 44), c’est à un moment imprévu, d’une façon imprévisible. Il vient, Il se manifeste dans notre vie, dans notre histoire humaine. Non seulement Il est venu dans la nuit de Bethléem, non seulement Il reviendra à la fin des temps, mais Il revient chaque jour, Il revient jour après jour, Il essaye de faire irruption dans notre vie par sa parole, par la présence de son esprit, par les événements auxquels nous sommes mêlés, par les personnes avec lesquelles nous vivons, Il frappe à notre porte.

Ces quelques semaines qui nous séparent de la Nativité sont, dans la tradition de l’Église, un temps de l’éveil, un temps du réveil. « C’est le moment, l’heure est venue de sortir de votre sommeil » (Rm 13, 11), c’est le moment de nous tenir éveillés. Comment pouvons-nous nous tenir éveillés pour la venue du Christ ? Va-t-il falloir chercher dans tous les sens ? Courir d’une église à une autre ? Fouiller d’un livre à un autre ? Être à la poursuite de phénomènes extraordinaires dont on pense qu’ils manifestent la présence du Christ ? Bref, faut-il entrer dans une fébrilité de l’attente ?

Je voudrais vous proposer simplement trois pistes pour nous tenir éveillés jusqu’à ce qu’Il vienne. La première c’est d’accueillir sa Parole, comme nous le faisons dans la liturgie quand nous célébrons l’eucharistie ou les vêpres. Nous entendons la parole du Christ et je voudrais vous suggérer simplement au long de la semaine de retenir une de ces paroles que vous avez entendues le dimanche. Peut-être cette phrase de l’épître aux Romains « c’est le moment, l’heure est venue de sortir de votre sommeil » (Rm 13, 11), ou bien cette phrase de l’évangile : « Tenez-vous donc prêts vous aussi, c’est à l’heure où vous n’y penserez pas que le Fils de l’homme viendra » (Mt 24, 44). Reprendre jour après jour l’un ou l’autre verset de l’Écriture qui va venir occuper votre attention et recueillir votre cœur, tourner votre disponibilité intérieure vers le retour du Christ.

La deuxième piste, c’est chaque jour de prier avec conviction pour appeler le retour du Christ. « Viens, Seigneur Jésus, nous t’attendons », c’est tout simple, vous marchez, vous êtes dans le métro, l’autobus, le train, vous montez un escalier, une pensée « Viens, Seigneur Jésus, nous t’attendons ».

Troisième piste, ouvrir votre vie. Comment ouvre-t-on sa vie ? Comment pourrait-on accueillir le Christ dans une vie ouverte si notre cœur et notre attention sont fermés à ceux qui nous entourent ? Chaque jour essayer d’aller vers quelqu’un, sortir de notre isolement, et en sortant de notre isolement aider quelqu’un d’autre à sortir de son isolement. Bref, au lieu de vivre comme des gens juxtaposés, figés dans la monotonie des rôles et des fonctions, faire la démarche imprévue, celle qui ne fait pas partie des codes de la vie sociale, dire une parole, échanger un sourire, une poignée de main, et quand cette première barrière aura été franchie, devenir capables de s’intéresser réellement à ceux qui nous entourent.

Et si nous faisons avec persévérance cet effort de méditer la Parole du Christ, d’appeler sa venue et d’ouvrir notre vie à sa rencontre, alors nous nous préparons pour qu’au moment où Il viendra, et auquel nous ne pouvons pas penser, nous soyons capables de l’accueillir et de le reconnaître.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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