Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame pour la fête du Séminaire de Paris, du Chapitre de la cathédrale et des donateurs de l’Œuvre des Vocations, et installation des nouveaux chanoines – Solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie
Lundi 9 décembre 2013 - Notre-Dame de Paris
La réponse de la Vierge Marie à l’Ange manifeste l’ouverture totale de sa disponibilité à l’action de Dieu, comme conséquence de sa plénitude de grâce. Nos réponses aux appels de Dieu se réalisent au contraire de façon progressive à mesure que nous laissons Dieu saisir notre liberté.
Ouverture
Frères et Sœurs,
Comme nous venons de le chanter avec cœur, nous sommes ici pour rendre hommage à l’Immaculée Conception de la Très Sainte Vierge Marie. C’est une grande fête pour l’Église entière, c’est une grande fête pour le diocèse de Paris, et ce soir c’est une fête pour nous de célébrer l’Immaculée Conception avec le Chapitre des chanoines, dont elle est la patronne, et pour qui c’est l’occasion, comme chaque année, de recevoir les nouveaux chanoines, de célébrer avec les séminaristes, puisque Notre-Dame est la patronne du séminaire, et de célébrer avec vous, frères et sœurs qui êtes venus spécialement ce soir, en particulier les bienfaiteurs de l’Œuvre des Vocations qui se joignent à notre prière.
Tous ensemble, en célébrant Marie conçue sans péché nous prenons mieux conscience que nous sommes pécheurs et nous nous préparons à célébrer cette eucharistie en reconnaissant notre péché et en implorant la miséricorde de Dieu.
Homélie
– Gn 3, 9-15.20 ; Ps 97, 1-4.6 ; Ep 1, 3-9.11-12 ; Lc 1, 26-38
Frères et sœurs,
J’ai souhaité que cette année pastorale soit consacrée à l’Appel, et samedi 30 novembre dernier, dans cette même cathédrale, j’ai ouvert cette Année de l’Appel avec les représentants des différentes communautés parisiennes comme un temps fort du chemin dans lequel Jésus nous invite à le suivre pour devenir témoins de la Bonne nouvelle. Et je suis heureux ce soir de pouvoir confier cette Année de l’Appel à l’intercession de la Vierge Marie, dont l’expérience telle qu’elle vient de nous être rappelée par l’évangile de saint Luc, nous présente comme une sorte de prototype de l’appel que Dieu adresse aux hommes et de la manière dont les hommes peuvent répondre à cet appel.
Aussi, il convient que chacune et chacun d’entre nous, devant l’évocation de ce que nous appelons l’Annonciation, reviennent sur ses propres expériences d’appel. À quelque étape que nous en soyons de notre vie - que nous approchions du terme qui se conclura par un dernier appel, ou que nous en soyons encore au printemps, comme vous qui êtes séminaristes et qui êtes entrés dans un chemin de réflexion, de prière et de discernement pour répondre à ce que vous espérez être l’appel de Dieu -, l’appel de Dieu est toujours un événement nouveau. Il est toujours une provocation adressée à notre liberté, une demande pour savoir si nous sommes prêts, non pas à assumer par nous-mêmes la tâche que Dieu veut nous confier mais à nous en remettre dans la foi à ce que Dieu peut faire lui-même à travers notre vie : « qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1, 38). Cette réponse de la Vierge Marie qui formule, d’une façon à la fois très simple et très profonde, l’ouverture totale de sa disponibilité à l’action de Dieu est la réponse à l’annonce que l’Ange lui a faite « rien n’est impossible à Dieu » (Lc 1, 37). Mais nous mesurons bien l’écart qui peut exister entre cette réponse de la Vierge Marie et nos propres réponses. Je dis nos “propres réponses” car nous sommes appelés à différents moments de notre vie, d’une façon différente selon l’étape où nous en sommes arrivés, et à chaque fois nous sommes sollicités pour donner une réponse nouvelle. La réponse d’un enfant n’est pas celle d’un jeune homme et celle d’un jeune homme n’est pas celle d’un père de famille, et celle d’un père de famille n’est pas celle d’un vieillard. Mais toutes sont des réponses, car toutes s’inscrivent dans une vision de l’histoire qui n’est pas simplement la lecture que nous pouvons faire de notre propre histoire, c’est-à-dire une évocation des épisodes précédents que nous avons vécus. Dans le meilleur des cas, c’est-à-dire si nous faisons cette relecture dans la foi et à la lumière de la Parole de Dieu, cette relecture peut devenir une action de grâce, mais elle demeure toujours dans l’indéfini d’une liberté qui est appelée à se donner, qui peut se reprendre et qui doit s’approfondir dans la fidélité. Or ce que nous découvrons dans l’expérience mariale de l’appel et de la réponse, c’est que la plénitude de l’offrande de sa liberté que Marie fait, n’est possible que dans la mesure où elle-même a été préservée du péché, c’est-à-dire dans la mesure où elle est « comblée de grâce » (Lc 1, 28), comme nous dit le texte de l’évangile de saint Luc.
Pour nous, la plénitude du don de notre vie, c’est le couronnement d’une existence au cours de laquelle nous apprenons le don. Nous découvrons peu à peu ce que signifie se donner tout entier, non pas parce que nous retiendrions parcimonieusement notre générosité mais parce qu’elle n’atteint sa plénitude que lorsque nous sommes totalement purifiés du péché, c’est-à-dire quand nous sommes totalement délivrés de notre existence historique, car tant que nous serons dans l’histoire nous serons des pécheurs. Aussi avons-nous quelques difficultés parfois à tenir en même temps la vision que saint Paul nous a donnée tout à l’heure dans l’épître en nous parlant de ce qu’il faut bien appeler la prédestination, c’est-à-dire comment Dieu, dès avant la Création du monde, est en action pour produire des enfants de Dieu. Cette volonté originelle de Dieu, qui va s’accomplir progressivement à travers la Création et à travers l’histoire des hommes, a décidé de toute éternité ce que nous ne savons pas et que nous découvrons progressivement dans le déroulement de l’histoire. Ce n’est seulement que par une complication mentale ou un sophisme de l’esprit que nous nous faisons peur de temps en temps, en essayant d’opposer cette volonté originelle de Dieu à l’exercice réel de notre liberté. Dieu, dès avant le commencement du monde, saisit dans un présent éternel non seulement l’acte de création par lequel il va enclencher l’histoire humaine, mais encore la désobéissance qui va constituer l’acte fondateur du péché, mais encore la Rédemption qui va s’accomplir dans la mort et la résurrection du Christ, mais encore la plénitude du don de l’esprit pour rassembler l’humanité tout entière dans la famille de Dieu. Et de cet éternel présent, nous, hommes et femmes qui cheminons dans les brumes de l’histoire humaine, nous découvrons peu à peu comment il s’accomplit à travers chacune de nos vies, sans jamais d’aucune façon forcer notre adhésion, nous enfermer dans une perfection préétablie qui de toute façon ne résisterait pas à la réalité du mal qui existe en ce monde. À travers ce que les exégètes ont appelé le protévangile dans le livre de la Genèse, qui annonce déjà, non seulement le combat entre le serpent et la femme, mais la victoire ultime de la femme et de sa descendance, nous découvrons qu’au premier moment de l’infidélité, la miséricorde et la résurrection sont annoncées dans le vouloir de Dieu. Cette conviction que Dieu façonne des saints au long des siècles, à travers nos existences et à travers nos pauvres réponses, est fortifiée par la figure de la Vierge Marie dans la plénitude de son adhésion qui n’est entravée par aucune retenue et par aucun péché. Elle est aussi progressivement développée pour prendre peu à peu la totalité de notre vie dans l’acte d’offrande du Fils donnant sa vie au Père par amour de ses frères.
Frères et sœurs, tout le drame de l’histoire des hommes, ce drame de vie et de mort constitué par le péché est comme absorbé par avance dans la miséricorde de Dieu, sans que cependant nous soit épargné le combat par lequel nous devons ouvrir notre vie à la plénitude de la sainteté. Et comment entrerions-nous dans ce combat si nous n’étions pas convaincus de la victoire finale ? Comment irions-nous lutter contre nos désirs pervers, contre les tentations multiples, contre la haine qui traverse les relations entre les hommes si nous n’étions pas convaincus que la mort a été vaincue dans le Christ ? Comment cela pourrait-il se faire si ce n’était pas Dieu qui le faisait et si notre coopération n’était pas elle-même le fruit de la grâce en nos cœurs ? Aussi cette vision de la lutte qui habite le cœur de chaque homme, qui est l’élément constitutif de notre liberté, comme aussi le combat qui traverse l’histoire des hommes les uns avec les autres, comme aussi les méfaits des puissances du mal à travers le monde, tout cela ne nous décourage pas, tout cela ne nous démobilise pas, tout cela ne nous écrase pas, mais au contraire sollicite en nous un renouveau de l’acte de foi. Aussi, en invitant l’Église de Paris à vivre une Année de l’Appel, c’est naturellement dans la prolongation de l’Année de la Foi que je me suis placé, comme une sorte de réponse à cette Année de la Foi, comme une sorte de prise de conscience de la volonté initiale de Dieu qui veut rejoindre tous les hommes et qui a besoin de nous, non pas par faiblesse, mais parce qu’il veut que le don de son amour soit exprimé à travers des existences humaines dans un langage, dans des gestes et dans des actions qui sont humainement intelligibles pour nos contemporains.
Ainsi frères et sœurs, présentons à Dieu à la fois la faiblesse et la fragilité de notre détermination, la force et la puissance de notre espérance. Nous savons que c’est par sa grâce que nous pouvons vivre l’impossible, c’est-à-dire la sainteté jour après jour, en communion avec ceux et celles qui nous ont précédés et dans l’anticipation de l’accomplissement plénier de la volonté de Dieu.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.