Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Sainte-Marie des Batignolles – 3e dimanche de l’Avent – Année A

Dimanche 15 décembre 2013 – Sainte-Marie des Batignolles (17e)

Les interrogations de Jean-Baptiste sont aussi nos interrogations. Qui attendons-nous ? Est-ce bien celui qui est venu annoncer le Salut par la Conversion que nous attendons ? C’est dans la patience et la fermeté que nous sommes initiés à demeurer car il est proche.

 Is 35, 1-6a.10 ; Ps 145, 7-10 ; Jc 5, 7-10 ; Mt 11, 2-11

Frères et Sœurs,

L’éloge que Jésus fait de Jean-Baptiste n’est pas seulement le bon service d’un cousin à son cousin. Ce que Jésus déclare sur Jean-Baptiste, c’est qu’il est un prophète authentique et même le plus grand des prophètes. Sa prédication inspirée par Dieu vise à préparer un chemin à celui qui vient. Cependant, celui qui est le plus grand des prophètes, d’après ce que nous dit Jésus, ne peut pas s’empêcher de se poser des questions. Certes, il a reconnu dans le Christ celui que Dieu a envoyé, il l’a baptisé, il a vu descendre sur Lui la puissance de l’Esprit, et pourtant, il se pose la question : est-il vraiment le Messie ? Ou bien faut-il en attendre un autre ? Est-ce que celui pour qui il a prêché, pour qui il a préparé le chemin, correspond bien à ce que Dieu veut pour l’humanité ? Va-t-il manifester de façon visible la puissance de Dieu au milieu des hommes ? Et dès l’instant que Jean-Baptiste se pose cette question au fond de sa prison, il ne peut pas ne pas s’interroger sur ce qui lui est arrivé, lui le plus grand des prophètes, lui qui a annoncé la venue de Jésus, lui qui a appelé les hommes à la conversion, et dont la parole libre face au pouvoir l’a conduit en prison. Si Jésus est vraiment le Messie, comment se fait-il qu’il n’a pas empêché cette arrestation ? Comment se fait-il qu’il n’a pas soutenu visiblement la puissance de la parole de Jean-Baptiste ? Ne serait-il lui-même qu’un émissaire qui annonce quelqu’un d’autre ? Ou bien faut-il chercher ailleurs celui qui va sauver le monde ?

Cette question est constitutive de la foi chrétienne. Pour nous, Jésus est-il vraiment le Sauveur, l’unique Sauveur ? Ou bien devons-nous en attendre un autre ? Devons-nous en chercher un autre ? Devons-nous courir le monde à la recherche de celui qui pourra apporter le salut, c’est-à-dire à nos yeux, celui qui imposera par la force, la force morale, sa volonté au cœur des hommes ? Or, ce n’est pas ce que Jésus a fait. Jamais Jésus n’a imposé sa volonté au cœur des hommes, toujours il a cherché à ouvrir devant leurs yeux et devant leurs pas un chemin de liberté. Les signes qu’il a donnés et qu’il rappelle ici, « les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » (Mt 11, 5), ces signes ne sont pas donnés pour contraindre, ils sont donnés pour susciter, pour éveiller la liberté, pour renforcer dans le cœur des hommes le désir du Salut.

Ainsi, les signes ne définissent pas d’avance la réponse que l’on peut apporter au Christ. Ils servent à susciter la foi, à la fortifier, à lui donner sa pleine dimension, et c’est pourquoi Jésus ajoute : « heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi » (Mt 11, 6), parce que ces signes peuvent être l’occasion non pas d’un acte de foi mais d’un acte de rejet. Là où l’on voit que l’amour accomplit son œuvre, qu’il vient au secours des hommes, qu’il touche leurs cœurs et leurs corps, bref qu’il donne un signe de salut, on voit aussi se dresser ceux pour qui l’amour n’est pas le premier objectif de la vie, et on les voit rejeter, avec plus ou moins de violence, ce signe du salut apporté.

Ainsi, il s’agit pour nous de nous interroger au cours de ce chemin que nous sommes appelés à préparer pour accueillir la venue du Seigneur, sur ce que nous attendons, ou plutôt sur celui que nous attendons. Attendons-nous Jésus de Nazareth, Sauveur du monde ? Ou bien attendons-nous vaguement un prophète, ou un sage, quelqu’un qui délivre un message pour notre situation présente compte tenu de la culture qui nous entoure, un message plutôt consensuel, qui ne fait pas de malheureux, qui ne suscite pas de question vitale, qui ne dérange personne, mais qui embellit un peu la vie, un message de paix comme on dit, c’est-à-dire un message qui ne nous touche pas mais qui nous justifie ? Si c’est cela que nous attendons, alors nous ne serons pas déçus ! Nous aurons un Jésus « prédicateur guimauve », qui nous confortera et nous donnera le sentiment que nous sommes de bons disciples de Jésus, Jésus qui répand à flot les bons sentiments mais qui ne pose pas de questions sur la manière de vivre. Or ce n’est pas cela que Jésus est venu faire ! Il est venu annoncer une vie nouvelle, il est venu annoncer le Salut par la conversion, c’est-à-dire par un choix délibéré de notre liberté, non pas de nous laisser porter uniquement par les courants qui nous entourent ou par les désirs qui nous habitent, mais de nous laisser emporter par la puissance de l’amour qui éclaire notre intelligence et nous rend capables de réfléchir sur notre vie, d’identifier ce qui nous éloigne véritablement de la paix et ce qui fait de nous des témoins de l’amour ou non.

Je vous conseille, dans les jours ou les semaines qui viennent, de méditer avec beaucoup d’attention le message du pape François pour la Journée mondiale de la paix du 1er janvier. Le Pape met justement en évidence que la paix dépend de la relation de fraternité que nous sommes capables d’établir avec les autres. Cette relation de fraternité n’est pas une relation d’aveuglement qui nous conduirait à ne plus distinguer ce qui est bien de ce qui est mal et à tout approuver pour faire grandir un consensus. Une relation de fraternité, c’est une relation authentique où nous essayons d’être qui nous sommes. Cette relation de fraternité bouscule notre manière de vivre, nos attitudes, nos faiblesses, nos renoncements, et peut-être notre lâcheté. Si nous voulons progresser dans ce chemin pour donner aujourd’hui les signes que les hommes peuvent comprendre, que celui que nous attendons est bien le Sauveur -comme Jésus donne aux disciples de Jean-Baptiste les signes pour identifier le Messie-, il nous faut réfléchir un peu sur ce que peuvent être ces signes, comment dans notre vie nous pouvons donner le signe que Celui que nous suivons n’est pas seulement « un roseau agité par le vent » (Mt 11, 7) ou un prédicateur illuminé qui attire les foules, mais vraiment quelqu’un qui transforme le cœur de l’homme et le fait grandir. Nous pouvons reprendre la Lettre de saint Jacques qui nous donne des éléments pour identifier les attitudes et les manières d’être qui vont constituer un signe. « Ayez de la patience » (Jc 5, 7). La patience, nous savons combien la patience est nécessaire parce que nous avons besoin de laisser du temps, non seulement à notre propre conversion, mais aussi à la manière dont les autres se situent vis-à-vis de nous. La patience, c’est la capacité de croire que la puissance de Dieu peut transformer les hommes non selon nos choix, mais selon le choix de la liberté de tout homme. « Soyez fermes » (Jc 5, 7). La fermeté, nous savons que c’est une vertu qui n’est pas très prisée aujourd’hui. Pourquoi devons-nous être patients et fermes ? Parce que le Seigneur est proche ! Comment pouvons-nous convaincre que nous attendons vraiment la prochaine venue du Christ si notre vie ne reflète pas cette conviction et cette espérance ? « Ne gémissez pas les uns contre les autres » (Jc 5, 9). Comment pouvons-nous espérer faire grandir la fraternité si nous sommes sans cesse en train de nous regarder les uns les autres avec un œil de juge ou de convoitise, ou avec jalousie, ou simplement avec l’indifférence de ceux qui passent sans voir leur prochain ? « Le juge est à notre porte, prenez pour modèle d’endurance et de patience les prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur » (Jc 5, 9-10).

Que le Seigneur nous donne de connaître cette patience et cette endurance, qu’Il nous donne la grâce d’affronter et d’assumer jour après jour les contraintes incontournables de notre vie, non pas comme des catastrophes, mais comme des occasions et des signes de reconnaître Celui qui vient et qui ne sera remplacé par aucun autre.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

Homélies

Homélies