Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Notre-Dame pour les bienfaiteurs du diocèse de Paris – Épiphanie du Seigneur

Dimanche 5 janvier 2014 - Notre-Dame de Paris

La visite des mages à Bethléem est interprétée comme un signe de l’ouverture de l’Alliance aux nations païennes. C’est en scrutant le monde par les réflexions de leur intelligence qu’ils sont parvenus au Messie. Nous sommes invités à accueillir les questions des païens pour leur apporter la lumière de la révélation qui éclairera leur chemin.

 Is 60, 1-6 ; Ps 71, 1-2.7-8.10-13 ; Ep 3, 2-3a.5-6 ; Mt 2, 1-12

Frères et Sœurs,

Très tôt la tradition chrétienne a interprété la visite des Mages à la grotte de Bethléem comme un signe de l’ouverture de l’Alliance conclue entre Dieu et son peuple -le peuple élu, le peuple d’Israël- à toutes les nations. Venus de l’Orient lointain, étrangers à la tradition biblique, ils ne disposaient pour arriver à Jérusalem que de cette étoile qui symbolise probablement ce que l’intelligence humaine peut capter de la lumière du monde. Et le récit de l’évangile que nous venons d’entendre définit comme une sorte de prototype de la situation apostolique de la mission ecclésiale.

En effet, les prêtres, les scribes et les anciens qui détenaient la connaissance de la tradition biblique disposaient de tous les renseignements nécessaires pour reconnaître la naissance du Messie. Et ils connaissaient même le lieu où cette naissance devait se produire. Ils avaient hérité ce savoir de la prédication prophétique au cours des siècles qui annonçait la venue d’un Sauveur, d’un nouveau berger pour le peuple d’Israël. Mais nous avons encore en mémoire le récit de la nativité à Bethléem, cette naissance quasi-ignorée, sinon de quelques bergers attirés par les anges, c’est-à-dire par Dieu lui-même, pour venir reconnaître le Sauveur dans cet enfant emmailloté dans une mangeoire. Aussi, cette tradition prophétique qui doit être la clef pour comprendre la mission du Messie, reste comme impuissante, en tout cas à reconnaître son avènement et sa naissance. De l’autre côté, nous avons les mages - pour autant que l’on sache ce que représente ce titre - que l’on peut supposer désigner des hommes voués à l’étude, à la recherche, au questionnement sur le monde, des hommes qui ne disposent que de traditions païennes, dans lesquelles peut-être ils ont relevé quelques propos qui pouvaient annoncer que le roi d’Israël allait venir, mais sans savoir de qui il s’agissait. Ces hommes, guidés par leur intelligence et leurs recherches, viennent interroger ceux qui savent. La raison païenne honnêtement curieuse du sens du monde est représentée par ces mages qui interrogent Hérode et son personnel sur la venue du Messie. Et c’est par ce questionnement externe que les renseignements internes possédés de longue date par la tradition juive, prennent leur actualité. C’est pour répondre à ce questionnement des païens que les prêtres, les scribes et les anciens rassemblent les éléments de ce qu’ils savent pour dire qu’il doit naître à Bethléem.

Cette interaction entre la tradition reçue par la voix des prophètes et par l’Ancien Testament et la recherche humaine du sens du monde constitue comme la charnière à travers laquelle s’accomplit ce que saint Paul désigne dans l’épître aux Ephésiens, comme le mystère révélé en Jésus-Christ : l’Alliance est ouverte aux Nations païennes. Ce mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au même partage de la promesse dans le Christ Jésus par l’annonce de l’Évangile. Voilà l’événement novateur que saint Paul décrira dans une autre de ses épîtres en disant que par la mort du Christ sur la croix, la haine a été abolie et le mur qui séparait dans le Temple le parvis des Juifs et le parvis des païens a été détruit, pour ne former qu’un seul peuple. Cet événement de la rencontre du paganisme dans ce qu’il avait de plus curieux et de plus motivé pour chercher quelque chose, de la révélation divine telle qu’elle avait été donnée par Dieu à Israël constitue le choc par lequel la naissance de Jésus à Bethléem ouvre aux païens « la porte de la foi » (Ac 14, 27), comme dira le Livre des Actes des Apôtres.

Cette réflexion suscite en nous des questions, des projets peut-être, sur la manière dont nous-mêmes nous vivons cette Alliance. Pour la plupart d’entre nous, nous ne sommes pas héritiers de la promesse faite à Israël. Nous y avons été associés gratuitement, nous faisons partie de ces nations païennes pour qui la Porte de la foi s’est ouverte et qui ont été intégrés à la plénitude de l’Alliance. C’est donc, comme saint Paul nous y invite, une première démarche d’action de grâce qui doit nous habiter. Nous n’avons pas été abandonnés dans l’histoire du monde, Dieu a mené à son terme son projet d’alliance en l’ouvrant à toutes les nations, nous en sommes les bénéficiaires et nous devons, chaque jour, remercier le Seigneur de nous avoir donné cette chance de pouvoir entrer dans la promesse, de pouvoir nous aussi être associés au même héritage, au même corps, par l’annonce de l’Évangile.

Ensuite, cette découverte que nous faisons de la fécondation de la révélation divine par les questions de l’intelligence humaine, doivent nous faire réfléchir sur notre manière de comprendre la mission auprès des païens. Nous avons aujourd’hui - nous qui sommes membres du Corps du Christ, et qui sommes associés à la promesse -, nos païens, comme les Juifs avaient leurs païens. Nous aussi, nous sommes confrontés à cette situation où les questions qui surgissent de l’expérience humaine réfléchie viennent interroger notre foi : où est-il Celui dont vous avez dit qu’il serait le roi des Juifs ? Mais pour que nous fassions ce travail d’annonce, de proclamation, d’invitation du Christ à le reconnaître, il faut que nous soyons provoqués, bousculés, par le questionnement de celles et de ceux qui nous entourent, en tout cas de ceux qui s’inquiètent de savoir où va l’homme et pourquoi il est sur cette terre.

C’est pourquoi la mission est toujours associée à ce travail d’écoute, et d’accueil des questions du monde, de sympathie et de bienveillance envers les questionnements de bonne foi, parce que ces questionnements nous provoquent à un inventaire de ce que nous avons reçu, nous obligent à relire et à interpréter à nouveaux frais la révélation qui nous a été faite, à tirer de notre trésor ce qui peut aider les hommes à vivre. Cette rencontre de la foi et de la raison ne peut pas être une rencontre essentiellement conflictuelle. Elle est une rencontre où l’un et l’autre se provoquent et s’attirent pour contribuer à faire briller la lumière du Christ sur le monde.

Prions donc le Seigneur qu’Il nous rende attentifs et accueillants aux questions des hommes, pour que nous soyons capables de puiser dans la richesse de la révélation, les lumières qui pourront éclairer leur chemin.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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