Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe à Ste Colette pour les 20 ans de la paroisse – Baptême du Seigneur – Année A

Dimanche 12 janvier 2014 - Ste Colette-des-Buttes-Chaumont (Paris XIXe)

Avec le baptême de Jean, Jésus est désigné comme "Fils bien-aimé de Dieu". Par notre propre baptême, nous devenons fils de Dieu par adoption. Chacune de nos existences a du prix parce qu’elle reflète l’existence du Fils de Dieu parmi les hommes.

 Is 42, 1-4.6-7 ; Ps 28, 1-4.9-10 ; Ac 10, 34-38 ; Mt 3, 13-17

Frères et Sœurs,

Avec le baptême de Jésus, nous sommes invités à méditer sur la troisième étape de la manifestation du Fils de Dieu. La première étape, c’était la nativité dans la nuit de Bethléem où les anges sont allés annoncer aux bergers qu’un Sauveur était né. La deuxième étape, c’était l’Epiphanie avec les mages qui arrivaient d’Orient pour découvrir et vénérer le Roi d’Israël. Et la troisième étape c’est, à la veille de l’entrée de Jésus dans sa vie publique alors qu’il est maintenant adulte, avec le baptême de Jean, la manifestation de Celui qui est le « Fils bien-aimé de Dieu » (Mt 3, 17).

Jésus est né comme le sauveur du monde, il a été vénéré comme le Roi des Juifs, et il est maintenant désigné comme le Fils bien-aimé du Père, celui en qui le Père a mis tout son amour. Il n’est pas simplement un Sauveur, comme on a pu en attendre beaucoup, il n’est pas simplement le pasteur d’Israël, comme il y a eu un certain nombre de rois qui l’ont été. Il est le Fils bien-aimé, le Fils unique, envoyé dans le monde pour que le monde connaisse la miséricorde de Dieu et que le monde puisse reconnaître en Lui celui qui apporte le salut. « Dieu a envoyé la parole aux fils d’Israël, pour leur annoncer la paix par Jésus-Christ » (Ac 10, 36) nous disent les Actes des apôtres, et cette paix, c’est Lui, Jésus, qui est le Seigneur de tous.

Mais nous voyons bien à travers le récit de l’évangile que cette révélation que Jésus est le Fils de Dieu, n’est pas simplement le fruit d’une réflexion qui nous aurait conduits à le reconnaître, elle est une manifestation d’en-haut, ce qui est signifié par l’ouverture des Cieux : « les cieux s’ouvrent, et l’Esprit de Dieu descend comme une colombe et vient sur Lui » (Mt 3, 16). Cela veut dire que cette Parole : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé » (Mt 3, 17) vient de Dieu lui-même, c’est Dieu qui désigne Jésus comme son Fils bien-aimé. Ce n’est plus simplement un ange, ce ne sont plus simplement les mages, mais c’est Dieu lui-même qui le désigne comme son Fils bien-aimé et fait apparaître cette relation unique entre Dieu et Jésus à travers la vision du symbole de la colombe qui représente l’Esprit qui planait sur les eaux au début de toute chose et qui continue de planer sur l’humanité.

Chacune et chacun d’entre nous, quand il est baptisé dans le Christ, reçoit aussi ce don de l’Esprit devient un enfant bien-aimé du Père. Nous ne sommes pas fils de Dieu de la même manière que le Christ, nous le sommes par adoption, mais nous le sommes réellement cependant puisque Dieu a voulu que nous puissions entrer dans sa famille et devenir ses enfants bien-aimés.

Jésus de Nazareth, inconnu de la plupart des gens qui étaient là, sauf de Jean-Baptiste, apparemment un homme comme les autres, comme nous l’avons chanté tout à l’heure, « un homme au milieu des hommes », et en même temps cet homme comme les autres est porteur de quelque chose de tout à fait extraordinaire, il est réellement la présence de Dieu à l’humanité. Cette présence de Dieu va se manifester tout au long de sa vie publique dont nous allons suivre le parcours au long de notre année liturgique. À mesure que nous allons poursuivre la lecture de l’évangile de saint Matthieu, nous entendrons ses discours, nous rappellerons les gestes de salut qu’Il a faits, les miracles qu’Il a opérés, les signes qu’Il a donnés : le Royaume de Dieu s’est fait proche et il nous faut nous convertir. Cette manifestation de Dieu à travers une existence humaine, parmi les existences humaines, est aussi le chemin dans lequel nous sommes appelés à entrer. Nous qui sommes baptisés dans le Christ, nous sommes, comme le disait un texte ancien, l’épître à Diognète, au milieu des hommes, sans rien qui nous distingue d’eux, ni notre apparence, ni nos habits, ni notre langue. Nous sommes des hommes et des femmes au milieu des hommes et des femmes, et pourtant nous ne vivons pas tout à fait comme tout le monde. Nous ne faisons pas n’importe quoi, justement parce que l’existence humaine a pris pour nous une valeur sans commune mesure en raison de l’incarnation du Fils de Dieu. Nous sommes apparemment comme tout le monde, et pourtant, de façon invisible à l’œil nu, nous avons reçu une identité particulière. Nous nous reconnaissons comme enfants de Dieu. Nous savons qu’à travers notre manière de vivre, nous manifestons quelque chose de Dieu. Nous sommes au milieu des autres comme Jésus le dira en particulier dans l’évangile de saint Matthieu, comme une lumière, « vous êtes la lumière du monde » (Mt 5, 14). Une lumière n’est pas faite pour être mise sous le boisseau, mais pour éclairer tous ceux qui sont dans la maison, alors nous sommes lumière de Dieu au milieu du monde. Nous sommes le sel de la terre. Nous sommes le Corps du Christ aujourd’hui. Toute notre existence est transformée par cette conviction que Dieu nous a appelés, qu’il a fait de nous ses enfants et qu’Il nous appelle à être au milieu de notre société des signes de quelque chose qui ne se voit pas à l’œil nu. Signes de quoi ? Signes de ce que l’homme, tout homme, chaque homme, chaque femme, tout être humain a infiniment plus de valeur que quoi que ce soit dans le monde, que nous soyons vertueux ou pécheurs, beaux ou moins beaux, en pleine santé ou malades, avec l’usage de nos membres ou handicapés, comme un certain nombre parmi vous, riches ou pauvres. Chacune de nos existences a du prix aux yeux de Dieu, parce qu’elle est le reflet de l’existence du Fils parmi les hommes. Et c’est pourquoi nous pensons que chaque vie humaine mérite d’être vécue, et doit être encouragée, soutenue, accompagnée jusqu’à son terme et non pas rejetée comme un déchet de l’humanité. Cette conviction que nous avons de la valeur inestimable de toute existence humaine constitue pour nous un devoir dans notre manière de vivre, une charge dans notre relation avec les autres, un appel pour que, à travers l’annonce de Jésus Christ, nous fassions apparaître l’espérance qui éclaire chaque existence humaine.

Frères et sœurs, en ce jour de fête nous rendons grâce à Dieu qui nous a permis de connaître le chemin dans lequel Il nous appelle. Nous rendons grâce à Dieu qui nous donne son Esprit pour vivre comme des enfants de Dieu, et nous supplions le Seigneur qu’Il nous donne sa force pour être fidèles à la lumière que nous avons reçue.

Amen.

+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.

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