Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Messe lors de la retraite des prêtres parisiens au Foyer de Charité de Tressaint – 3e Dimanche du Temps Ordinaire – Année A
Dimanche 26 janvier 2014 - Foyer de Charité de Tressaint à Dinan (22104)
Le déplacement de Jésus en Galilée, l’appel des premiers disciples, la découverte du ministère de guérison de Jésus au début de sa vie publique sont autant de signes qui nous invitent à aller à la rencontre de tous les hommes, en particulier les plus désespérés pour nous en faire proches et témoins du salut que Jésus est venu apporter.
– Is 8, 23B-9, 3 ; Ps 26, 1.4.13-14 ; 1 Co 1, 10-13.17 ; Mt 4, 12-23
Frères et Sœurs,
Avec ce troisième dimanche du temps ordinaire, nous entrons dans la lecture continue de l’évangile de saint Matthieu qui va se dérouler tout au long de cette année liturgique. Cette entrée est comme une sorte de portique qui nous prépare à ce que nous allons entendre au long des dimanches, à savoir : comment Jésus annonce la bonne nouvelle et donne les signes du salut. Dans cette ouverture, nous découvrons trois éléments constitutifs de la mission publique du Christ. Le premier : son déplacement géographique vers la Galilée ; le deuxième : l’appel des quatre premiers disciples ; et le troisième élément : le contenu même de l’action de Jésus.
Le déplacement géographique de Nazareth à Capharnaüm n’est pas en lui-même un déplacement très considérable, mais ce qu’il veut signifier, c’est qu’en se rendant en Galilée pour ouvrir sa mission, le Christ réalise ce que le Seigneur avait dit par le prophète Isaïe, à savoir, que le peuple qui habitait dans les ténèbres verrait se lever une grande lumière, c’est-à-dire que cette Galilée, carrefour des païens, comme l’avait dit Isaïe, est un lieu où le peuple d’Israël est confronté à d’autres peuples, à des gens qui n’adhèrent pas à l’alliance et sont considérés comme des païens, et qu’Israël doit vivre sa fidélité à la loi au milieu des peuples païens. Il est évidemment significatif que l’évangile de saint Matthieu fasse commencer la vie publique et la mission de Jésus dans cette situation de confrontation et/ou d’espérance, et/ou de désespoir. Les habitants du pays de la mort sont des gens voués à la mort. Sur ces habitants du pays de la mort, une lumière va resplendir pour éclairer non seulement le peuple d’Israël dans sa situation de confrontation aux païens, mais aussi les païens à partir de ce qu’Israël porte au milieu d’eux.
Quand Jésus appelle les quatre premiers disciples, il ne fait pas autre chose que de mettre en œuvre, d’une façon embryonnaire et fragmentaire, ce que sera la mission de l’Église dans la suite de sa propre mission. De même que ces pêcheurs sont habitués à s’avancer au large pour ramasser des poissons et les ramener à terre, il s’agit maintenant de continuer d’aller au large, mais non plus à leur compte. Il faut qu’ils continuent à ramasser, non plus des poissons mais des hommes, et qu’ils les ramènent non pas seulement sur le rivage du lac mais dans le royaume des cieux qui est en train d’advenir. C’est le même dynamisme qui porte Jésus de Nazareth à Capharnaüm au milieu de la Galilée des Nations, et qui doit porter ses premiers disciples à aller au-devant des hommes pour les rassembler et les conduire vers le royaume. Mais pour quoi faire ? Pour quoi rassembler ces hommes ? Que va-t-on faire avec eux ? Jésus parcourant toute la Galilée enseignait dans leur synagogue, proclamait la bonne nouvelle du royaume, « guérissait toute maladie et toute infirmité » (Mt 4, 23). Voilà ce qu’il faut faire avec les hommes : il faut parcourir leur Galilée, parcourir ce pays mélangé de peuples de toutes sortes, carrefour des nations, il faut enseigner dans les synagogues, proclamer la bonne nouvelle du royaume et guérir, donner les signes du salut, la guérison des maladies et des infirmités.
Ces trois aspects que l’évangile de saint Matthieu met en évidence aujourd’hui, éclairent la situation qui est la nôtre, maintenant. Nous aussi, comme Jésus le fait en allant de Nazareth à Capharnaüm, nous sommes invités de façon récurrente à aller à la rencontre des peuples, des hommes et des femmes qui peuplent notre terre, de celles et de ceux qui sont plongés dans le pays de la mort, dans les ténèbres, avec peut-être une lueur d’espérance, qu’un jour la lumière pourra éclairer leur vie, ou peut-être le commencement du désespoir, qu’il n’y a rien à attendre en ce monde. C’est au-devant de ces hommes et de ces femmes qui ne sont pas préparés comme l’était Israël à accueillir le royaume des cieux qui se fait proche, que nous sommes appelés à nous propulser, à sortir des cercles où déjà il nous semble que tout est joué, pour aller là où tout est en question.
C’est pour cette marche vers les peuples, vers les hommes vers les femmes, vers ce pays carrefour des nations, que le Christ aujourd’hui, comme il l’a fait au bord du lac de Galilée, appelle des hommes et des femmes pour qu’ils deviennent des rassembleurs, des pêcheurs d’hommes, qui vont à la recherche de celles et de ceux qui attendent une parole d’espérance. Cette mission confiée à celles et à ceux qu’il appelle, de parcourir la Galilée des nations, de parcourir les sociétés, les groupes, les rassemblements humains, pour y proclamer la bonne nouvelle du royaume, peut être entendue et acceptée si à la suite du Christ nous donnons les signes du monde nouveau que nous annonçons, c’est-à-dire si les chrétiens, les disciples de Jésus, se mettent au service de toute maladie et de toute infirmité du peuple, sinon pour les guérir si nous n’en n’avons pas le pouvoir, du moins pour les soulager et ne pas les abandonner à leur peine et à leur solitude. C’est ce chemin de l’annonce de la bonne nouvelle et des signes du monde nouveau que nous sommes appelés à donner, qui va se dévoiler devant nous à mesure que nous allons suivre le chemin du Christ pendant les dimanches qui viennent. Nous allons entendre ce que veut dire proclamer la bonne nouvelle du royaume, nous allons comprendre ce que veut dire : « guérir toute maladie et toute infirmité » (Mt 4, 23). Jésus, en se faisant proche de tout homme pour lui apporter le salut, s’est fait proche de nous pour nous faire entrer dans son action, dans sa mission et en lui, nous demande à notre tour de nous faire proches de nos frères. Oui c’est le Christ qui est crucifié pour nous, c’est le Christ qui est le centre, la source et le terme de toute vie chrétienne, de toute mission. Qu’il soit au cœur de chacune de nos vies !
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris.